Citations sur Philosophie de l'expérience : Un univers pluraliste (6)
Supposez, par exemple, qu’un philosophe croie à ce qu’on appelle le libre arbitre. Qu’un homme du commun, marchant dans le même sens que lui, partage aussi cette croyance, mais ne la possède que par une sorte d’intuition innée, cet homme n’en deviendra, en aucune façon, cher au philosophe : ce dernier pourra même rougir de se voir associé à un tel homme.
Une des principales caractéristiques de la vie est l’excès.
Elle [la Terre] ne possède pas ses propres muscles ou membres, et les seuls objets qui lui soient extérieurs sont les autres astres. À leurs égard, sa masse entière réagit par les modifications les plus subtils de sa démarche totale, et par des réponses vibratoires encore plus délicates de sa substance. Son océan réfléchit les lumières du ciel comme un puissant miroir, son atmosphère les réfracte comme une gigantesque lentille, les nuages et les champs de neige les combinent dans la blancheur, les forêts et les fleurs les dispersent dans les couleurs. La polarisation, l'interférence, l'absorption réveillent des sensibilités dans la matière que nos sens sont trop grossiers pour relever.
L’impression qu’éprouve un homme naïf s’installant en toute simplicité au milieu du flux des choses, c’est que les choses sont en déséquilibre. Les équilibres qu’atteignent nos expériences finies ne sont que provisoires. Les volcans en Martinique brisent l’équilibre wordsworthien avec la nature. Les accidents, qu’ils soient d’ordres moral, mental ou physique, brisent ces équilibres lentement construits de la vie familiale, des relations civiques ou professionnelles. Des énigmes intellectuelles déjouent nos systèmes scientifiques, et la cruauté ultime de l’univers de contrarier nos attitudes et nos espoirs religieux. L’univers ne reconnaît la valeur sacrée d’aucune de nos échelles du bien particulières. Il dégringole, il chavire, pour assouvir le vorace appétit de destruction du système plus vaste de l'histoire, dans lequel il s'est tenu un moment comme terrain d'atterrissage ou une pierre de gué.
Le théisme philosophique, à le prendre en un certain sens, fait donc de nous des êtres extérieurs à Dieu et lui restant étrangers ; ou bien, en tout cas, son rapport avec nous apparaît comme unilatéral, et non comme réciproque. Son action peut nous affecter ; mais il ne saurait jamais être affecté par notre réaction. Bref, notre relation avec lui n’est pas proprement une relation sociale. Naturellement, dans la religion des hommes du commun, on croit que cette relation a un caractère social ; mais ce n’est là qu’une des nombreuses différences qui existent entre la religion et la théologie.
Ce qui intéresse le philosophe, ce sont les prémisses particulières qui établissent le libre arbitre auquel il croit, le sens qu’on lui donne, les objections auxquelles on échappe, les difficultés dont il est tenu compte, – bref, toute la procédure, toute la synthèse, toute la mise en oeuvre, tout l’appareil technique accompagnant la croyance en question.