Au 122 rue de Provence, dans le 8ème arrondissement se trouvait le One-Two-Two, célèbre maison close, aussi luxueuse que le Sphinx et le Chabanais. L'établissement fut ouvert en 1924 par Marcel Jamet, un Breton qui fit ses armes à Buenos Aires, où les « travailleuses » françaises étaient alors en vogue, ainsi que par sa première femme Doriane (Fernande pour l'état civil). Réservé à une clientèle fortunée, le One-Two-Two avait pour particularité de proposer des chambres à thème pour le grand frisson: le tipi indien, la chambre des glaces, la cabine de l'Orient Express avec diffusion d'un fond sonore….On pouvait aussi y venir pour le bar et le restaurant (avec serveuses nues sous leurs tabliers). Acteurs français, chanteurs, industriels, têtes couronnées, stars hollywoodiennes, tous venaient y passer des soirées durant l'entre-deux-guerres. Puis vint l'Occupation. La clientèle changea…
L'histoire de la « Maison » nous est narrée par un témoin clé, Fabienne (Georgette pour l'état civil), une jeune femme dont les parents tenaient un hôtel et qui choisit la prostitution. Aimant l'argent et le luxe, Fabienne devint l'une des pensionnaires du 122, puis la gouvernante, et enfin la taulière en convolant en justes noces avec Marcel.
Fabienne aimait les riches et les puissants, les excentricités sexuelles d'une clientèle qu'une cinquantaine de femmes tentaient de satisfaire (environ 300 clients par jour, de 16 heures à 4 heures du matin). Et elle s'épanche très volontiers sur sa clientèle. L'ouvrage vaut surtout pour les anecdotes concernant le fonctionnement d'une maison de passe connue même à l'étranger. On venait au Chabanais ou au One Two Two comme on allait visiter les Champs Elysées. Mais c'est sans aucun doute les parties consacrées à l'Occupation (la plus longue), puis à la Libération qui sont les plus intéressantes, même si Fabienne a le patriotisme fluctuant et une éthique à géométrie variable. Elle espère la victoire de la France, râle parce que la populace prend la route en 1940 alors qu'elle et son mari se replient sur leur résidence secondaire. Mais très vite, les affaires reprennent. Fabienne va demander à la Kommandantur la réouverture de son établissement, acceptée certes, mais pour les troufions. Inacceptable pour Madame Jamet. Elle ne veut plus voir la soldatesque profiter des plus belles filles de Paris, et obtient que non seulement le 122 soit réservé aux officiers allemands mais aussi à une clientèle nationale triée sur le volet: « J'avais rendu le One Two Two à la France. »
Les années d'Occupation racontées par Fabienne valent leur pesant de tickets de rationnement. Elle vit dans une bulle- ses meilleures années- auprès de gentlemen germaniques: « Je me souviens de ces SS tout en noir, si jeunes, si beaux, souvent d'une intelligence extraordinaire, qui parlaient parfaitement le français et l'anglais», fait l'éloge des trafiquants du marché noir, (Joanovici,…), de ses chers amis Rudy de Mérode, (
Frédéric Martin, pour l'état civil, de la Gestapo de Neuilly, vol d'or et déportations)et le sympathique Otto qui avait sa table réservée (Otto Brandt pour l'état civil, empereur du marché noir)…. Elle apprécie moins les truands de la Gestapo française et de la Brigade nord-africaine de la rue Lauriston. Ils sont mal élevés et font des histoires...
A la Libération, des hordes de GI mal dégrossis vont souiller le 122, sans compter les Résistants qui volent et demandent des comptes… Puis vient l'année 1946 qui sonne la fin de la récréation. Les maisons closes ferment, Marcel et Fabienne ne peuvent plus vendre du pain de fesse (alors qu'on croise régulièrement dans Paris d'anciens trafiquants et collaborateurs qui vivent la belle vie), l'avenir s'annonce terrible pour les épouses et les femmes en général puisque les maisons » les « protégeaient » des agressions…
Devenue veuve et fauchée,
Fabienne Jamet prend plaisir à se remémorer sa jeunesse et les litres de champagne qui coulèrent au 122 de la rue de Provence, loin du vulgum pecus et de la politique, avec des pensionnaires qui multipliaient les passes mais qui vivaient comme des privilégiées, bien plus heureuses qu'à l'usine (!) Elle règle quelques comptes avec Martoune (
Marthe Lemestre pour l'état civil), qui gérait le Sphinx avec son mari et qui avait publié
Madame Sphinx vous parle,
La lecture de One Two Two est tout de même plaisante, et la mauvaise foi de la narratrice pas piquée des hannetons nous saute au visage.