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EAN : 9782752910080
240 pages
Phébus (09/01/2014)
3.94/5   140 notes
Résumé :
Veronika Zarnik est de ces femmes troublantes, insaisissables, de celles que l'on n'oublie pas. Sensuelle, excentrique, éprise de liberté, impudente et imprudente, elle forme avec Leo, son mari, un couple bourgeois peu conventionnel aux heures sombres de la Seconde Guerre mondiale, tant leur indépendance d'esprit, leur refus des contraintes imposées par l'Histoire et leur douce folie contrastent avec le tragique de l'époque.

Une nuit de janvier 1944, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (67) Voir plus Ajouter une critique
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« L'air du paradis est celui qui souffle entre les oreilles d'un cheval – proverbe arabe ».

Je suis entrée dans ce livre en toute quiétude ayant déjà pu apprécier l'écriture de Drago Jancar lors de la parution « Et l'amour aussi a besoin de repos » et j'en suis ressortie bouleversée et éblouie.

Si certains auteurs possèdent une écriture distanciée, qui nous laisse de marbre, Drago Jancar est l'exact contraire. Et je dois saluer la traduction d'Andrée Lück-Gaye : l'héroïne du roman a dû l'ensorceler pour parvenir à tel rendu. J'ai eu les larmes aux yeux presque du début à la fin, touchée, remuée par la beauté du texte, par cette sensibilité qui s'en dégage, cette fine connaissance de l'âme humaine, cette nostalgie qui sied si bien aux slaves. Je suis et resterai toujours émerveillée par ces auteurs qui possèdent cette capacité de nous communiquer leurs émotions, de nous les approprier, à la manière d'un Zweig.

Dès les premières pages, l'intensité émotionnelle qui se libère de la plume de l'auteur est omniprésente, puissante, attachante. L'écriture est belle, douce et délicate, fluide, passionnée. le drame se situe à la fin d'une sinistre période, celle de la seconde guerre mondiale, en 1944, et porte en elle la dualité des relations humaines – l'amour et la haine.

« Que sont devenus Véronika et Léo Zarnik, disparus un matin de janvier 1944 de leur domaine de Podgorsko».

Le livre se partage en cinq chapitres. Chaque chapitre donne la parole à une personne proche de l'héroïne, Véronika Zarnik. Deux femmes, sa maman et la gouvernante, qui la chérissent et attendent son retour ; trois hommes qui l'auront soit aimée soit désirée mais qui se trouveront confrontés, à un moment ou à un autre, à leurs propres sentiments contradictoires. Tout le livre se concentre sur Véronika dont l'absence alimente toutes les suppositions, tous les espoirs, depuis la disparition du couple. C'est une remontée dans le temps, parfois douloureuse, chaque intervenant tentant de trouver une parcelle d'explication à cette disparition. L'âme de Véronika hante leur sommeil, leurs voix résonnent dans une polyphonie tragique.

Véronika est un être de passions qui ne se reconnait aucune limite. Elle se veut libre à l'image des chevaux qui courent dans les prairies. Elle monte à cheval, elle conduit, elle pilote, elle croque la vie à pleine dents, elle aime les êtres, les chevaux pour lesquels elle s'insurge contre leur sacrifice sur les champs de bataille, les animaux, la musique, l'Art en général. Imaginez-la promenant un alligator comme son animal de compagnie. Elle veut vivre comme si la guerre n'existait pas, d'ailleurs, elle refuse que l'on en parle devant elle. Elle reçoit dans sa demeure aussi bien des uniformes allemands, comme elle peut aider, avec son mari Léo, les partisans communistes, acquis au Maréchal Tito. Elle est si mystérieuse, si hors du commun, si sensuelle, qu'elle suscite attachement, tendresse, intérêt tant des femmes que des hommes.

Mais voilà, dans cette période de fin de guerre, où l'envahisseur est fragilisé, où les partisans reprennent le terrain, est-il possible de vivre dans l'insouciance sans tenir compte du contexte douloureux dans lequel est plongé la Yougoslavie, sous occupation allemande? C'est sans compter avec la versatilité de l'être humain.

L'analyse des personnages est profonde. Leurs sentiments, leurs contradictions, leurs motivations, leurs états d'âmes sont parfaitement disséqués, rendus. le récit est un beau plaidoyer contre la guerre à lui seul. Il souligne à quel niveau d'abjection, l'individu « sans histoire » peut se corrompre. C'est dans les toutes dernières pages que le voile sera levé.

Ce livre possède un grand intérêt historique. Il m'a permis d'approfondir quelque peu mes connaissances sur ce pays mais surtout de m'y intéresser de plus près.

« A ce moment-là, un cheval a henni bruyamment, je suis presque sûr que c'était Vranac, peut-être était-elle passée le voir lui aussi, avant de partir pour toujours, peut-être était-ce de joie quand il l'avait sentie à proximité, quand elle avait probablement, comme elle le faisait toujours, posé sa main sur ses nasaux en disant, Vranac, maintenant je vais te seller. »

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Quelle difficulté !!!! Une critique de ce livre magnifique, lu dans le cadre d'un comité de lecture sur les Balkans, alors que je lis maintenant un autre livre sélectionné qui m'emporte : California dream...

Cette nuit, je l'ai vue m'a plu totalement : le fond, et la forme...
La forme d'abord... Très originale en tant que nous avons affaire à cinq narrateurs qui, tour à tour, nous présentent une perspective de l'histoire, mystérieuse, de Veronika.
D'emblée, l'histoire nous attache et fait de nous non pas de simples lecteurs qui se divertissent, mais des lecteurs actifs, qui cherchent malgré eux à anticiper l'histoire... En quelque sorte, le lecteur se voit contraint d'écrire un peu le livre : l'imagination est totalement ouverte et active... En effet, le lecteur se demande, impatient : mais qui est le narrateur ? Qu'est-il arrivé à Veronika et à son mari ? Ont-ils été tués ? Par les allemands ? Les partisans ? Comment ?
Une très belle écriture, pour un suspens mordant...
A propos du "fond" maintenant, il est essentiel de remarquer la forte présence des animaux : d'abord, le cheval. Symbole de la liberté et de l'amitié avec l'homme, jusqu'à la coappartenance :
"Les chevaux connaissent les pensées de leurs cavaliers, je ne dis pas de leur maîtres, de leurs cavaliers qui sont si souvent une partie de leur corps".
Ensuite, la grenouille écrasée qui hante et le rat. le rat, qui représente ici et encore la mort. Une mort qui ne tue pas, mais qui ronge.... le corps et l'esprit...

Personnages touchants dans une histoire très attachante, tragique et magistrale...



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«Moi, je regarde mon visage dans le miroir et je sais qu'il n'y a plus rien, plus de Veronika, plus de roi, plus de Yougoslavie, le monde a éclaté en morceaux comme ce miroir fêlé qui me renvoie des fragments de mon visage pas rasé.»
L'écriture mélancolique et subtile, si pleine de nuances, de Drago Jancar nous plonge dans la tourmente de l'Histoire de la Yougoslavie, lors de la Seconde Guerre mondiale, avec un beau personnage qui «ne voulait absolument rien avoir à faire avec ces temps horribles».
Beaucoup de finesse, une belle utilisation du roman polyphonique - même s'il est un peu frustrant de ne pas entendre la voix de Veronika, dont les cinq narrateurs font un portrait si séduisant.
C'est qu'elle en a du charme, la flamboyante et excentrique Veronika Zarnik, avec cette joie qu'elle met à franchir ces barrières, ces traits invisibles «jusque là et pas plus loin, là-bas ce n'est pas ton monde» qu'on lui met toujours, dit-elle. Si elle a un animal de compagnie, c'est un alligator, qu'elle emmène en promenade. Elle aime conduire, non seulement les voitures mais aussi les avions. Comme la vie à Ljubljana l'ennuie vu que «Tout le monde se connaît et personne ne s'aime», elle s'échappe, elle fait des fugues, d'abord seule pour voir la mer, et puis avec son professeur d'équitation, Stevo.
Mais celle qui nous est décrite comme «Une apparition merveilleuse dans cette époque sauvage» pourra-t-elle échapper aux convulsions de l'Histoire?
Une belle écriture, un personnage qui fait rêver, un dimension historique traitée avec subtilité, et intéressante pour quelqu'un qui comme moi n'y connaît rien à la Slovénie - bref, une lecture qui m'a bien plu.
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«Cette nuit je l'ai vue comme si elle était vivante» ainsi débute le beau roman de Drago Jancar hanté par une femme hors du commun, Veronika. 
Stevan Radovanovic rêve en cette dernière nuit de mai 1945. Major, commandant d'un escadron de cavalerie de la première brigade de l'armée royale yougoslave, allongé sur son châlit, dans un baraquement d'un camp de prisonniers, il croit voir Veronica dont il a été l'amant.

Il est le premier à l'évoquer et à se dire aussi «... c'est la fin, la finis du royaume de Yougoslavie, la fin du monde.»

Ce sera également pour les quatre autres témoins qui viennent à sa suite la fin d'un monde, celui qu'ils aimaient, qui va réapparaître à travers leur souvenir de Veronika : Madame Josipina, sa mère, le docteur Horst Hubermayer, médecin militaire allemand, invité et ami de Veronica et de son mari, Jozi la gouvernante et Ivan Jeranek, un paysan employé au manoir.

Le Manoir de Podgorsko acheté en 1937 ou 38 par Leo Zarnik représentera un ilot dans la tempête, une bulle de paix maintenue provisoirement en dehors du conflit par l'art de vivre de Veronika et son mari qui y reçoivent des artistes et organisent des soirées sans se soucier des événements politiques.

Petit à petit au fil de ces différents témoignages, à travers le regard de ceux qui l'ont vu vivre, va se tisser la personnalité de Veronika et apparaître les indices qui mettront sur la voie de sa disparition et de celle de son mari une nuit de janvier 1944.

Pour chacun, les souvenirs qu'ils gardent d'elle reviennent les hanter alors que la guerre qui se termine a fait basculer leur vie, l'a définitivement bouleversée. Véronika représente la vie d'avant, avec sa douceur, sa beauté, la liberté et une part d'innocence qui n'est plus.
Si Veronica reste pour tous le symbole des jours enfuis, du temps de paix, elle sera restée quelles que soient les circonstances une femme libre, fidèle à elle-même, à son amour pour la vie. Chacun se sent coupable de n'avoir pas su la retenir ou mieux la protéger mais ils se disent aussi, dans le doute, qu'elle n'en a toujours fait qu'à sa tête.

Toute l'histoire trouble de la Yougoslavie, à cette époque un royaume, avant d'être lâchée en 1945 par les alliés pour tomber entre les mains de Tito, ressurgit à travers la troublante, libre et sensuelle Veronika qui symbolise la nostalgie de l'avant-guerre, de cette mitteleuropa avec son mélange de cultures différentes.
«... elle ne voulait absolument rien avoir à faire avec ces temps horribles. Même si elle ne pouvait y échapper, à cause des gens qui y étaient profondément mêlés de gré ou de force»
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L'histoire dramatique d'une femme et de son pays.

Drago Jancar écrit un roman majestueux, passionné et grave : l'auteur slovane entrelace les faits historiques de l'ancienne Yougoslavie et le mystère d'une disparition.
La disparition de Veronika et son mari Léo Zarnik une nuit de janvier 1944 dans leur domaine de Podgorsko, au pied des montagnes.
J'ai ressenti ô combien Drago Jancar aime la Slovénie comme il aime son personnage flamboyant qu'est Veronika.
Par une force narrative puissante, l'auteur réussit à nous faire sentir la présence physique de Veronika alors qu'elle ne s'exprime jamais directement. Veronika ne vit que dans les souvenirs ou les témoignages des cinq narrateurs, très proches d'elle à un moment de sa vie.
Tous voient Veronika, mais elle est absente, elle est un rêve, un lieu inaccessible. Indépendante, non conformiste et passionnée, Veronika est insaissisable.
J'ai passionnément aimé ce roman de 200 pages lues en une soirée. Comme les ouvrages de Sandor Maraï, Drago Jancar ancre avec force l'effritement des repères culturels, sociétaux et politiques d'une Europe centrale du XXième siècle sur des individus pris au piège d'un mode de vie qui n'existe plus.
Ce très beau roman de Drago Jancar atteint ici la même perfection.
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critiques presse (2)
Lexpress
08 décembre 2014
Les cinq narrateurs du dernier roman du grand écrivain slovène Drago Jancar tentent d'élucider le mystère de la disparition d'un couple, dans un récit bouleversant.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Telerama
19 novembre 2014
A travers l'insaisissable Veronika, c'est toute une page historique de l'Europe centrale qui se dévoile. Un récit polyphonique nimbé de mystère.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (44) Voir plus Ajouter une citation
Le voile de l'oubli s'étend lentement sur le passé et sur mes souvenirs . Sur ma tête, il y a ces cheveux gris que je n'avais pas il y a cinq ans. Et quand je me regarde dans le miroir, je sais : ma vie a basculé de l'autre côté, du côté où sont tombés mes camarades, morts dans les marécages d'Ukraine, dans les chemins boueux de forêt, en Slovénie, là où, dans une embuscade, les balles des partisans ont fusé, fracassant les vitres des voitures et les visages, dans les plaines de Lombardie que nous avons traversées en quarante-cinq pour nous retirer vers les Alpes. Alors la mort frappait et détruisait avant d'aller guetter ailleurs. Cependant je ne la sentais pas comme maintenant, maintenant je sais qu'elle est en moi, dans mon corps qui claudique dans l'appartement et pendant les promenades matinales dans le parc où les oiseaux chantent très tôt le matin, où les insectes d'août bourdonnent quand je reviens, et ensuite dans la rue où les mains persévérantes des jeunes gens remplacent les briques et les poutres, murent des fenêtres et des portes, où on entend aussi des rires, des cris d'encouragement. Partout la vie renaît, mais en moi c'est la mort qui est installée, j'ai vu tant de gens mourir que maintenant je ne peux plus me réjouir de cet été où tout recommence, la mort, tel un rat, a fait son trou dans mon esprit et rien ne peut l'empêcher de se souvenir de la guerre, des années de service dans la Wehrmacht, de tout. Et qui me réveille au milieu de la nuit et me fait savoir qu'à chaque souffle, à chaque pas claudiquant de la salle de bains au lit, j'avance vers son néant. La mort, je ne l'ai pas connue quand elle était tout près de moi dans ces lointaines contrées, maintenant je la vois partout, dans les feuilles mortes pendant ma promenade matinale, dans les yeux d'un vieux chien qui se traîne derrière son maître.
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Maintenant je suis à Palmanova. Je regarde mon visage dans le miroir recollé, une partie de mon visage. Pour mon âge, j'ai eu très tôt les tempes grises. Il me manque une dent devant, ça fait vraiment laid ce trou et mes lèvres coupées autour. C'est un vrai miracle, je n'ai été blessé qu'une fois, juste à la fin, quelque part au-dessus d'Idrija, avant qu'on se replie dans la plaine du Frioul. Avant qu'on se retrouve dans ce camp de prisonniers, nous les combattants d'hier, côte à côte, aujourd'hui seulement prisonniers, grande foule de vingt mille soldats et officiers qui hier encore guerroyaient, mais qui, aujourd'hui, battent le pavé autour des baraques et entre les tentes. Armée vaincue. Armée de débâcle. Armée sans État. Avec la photo de son jeune roi sur le mur de la baraque, du roi qui n'était nulle part quand on se battait pour son royaume et qui, maintenant que son armée est en captivité, se promène avec son chien dans un parc de Londres. Ou boit du thé. Ou écoute à la radio les nouvelles du dernier discours de cet espion russe qui porte le nom bizarre de Tito, de ce caporal autrichien, de ce moujik croate qui a emménagé dans la maison royale de Dedinje. Quand je passe devant la photo du roi, je regarde par terre. Si je le regardais dans les yeux, je devrais lui demander où il était quand, nous, ses soldats, on pataugeait dans la boue et le sang. Son grand-père , son père, tous les deux avaient accompagné leur armée quand il l'avait fallu, emmitouflés dans leur capote en plein hiver balkanique entre les canons et les chevaux. Lui, pendant toute la guerre, s'est baladé dans un parc londonien, encore maintenant il se balade. Je ne peux pas le regarder dans les yeux sans ressentir de la colère, du mépris même. Je préfère regarder par terre, nous les vingt mille hommes qui se sont retrouvés honteux et humiliés à Palmanova. Et la nuit, on regarde les étoiles. Et on ne comprend pas ce qui nous est arrivé à tous.

Pages 24/25
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Je tremblais de tout mon corps. Pas à cause de ce que j’avais vu. Mais parce que je n’avais rien dit. J’aurais pu hurler que, bon Dieu, ça n’avait plus de sens. J’étais plus gradé, le lieutenant m’aurait peut-être écouté même si c’était lui qui commandait l’unité et que moi je n’étais que le médecin qui pouvait donner des ordres à l’unité sanitaire, c’est-à-dire à deux vieux infirmiers. Si j’avais hurlé sur lui devant les soldats, ce fou aurait été capable de diriger son pistolet sur moi. J’aurais au moins dû l’appeler à l’écart et lui parler. Pourtant je n’avais rien fait. J’étais épouvanté. C’était juste avant la fin de la guerre, nous savions tous que l’affaire touchait à sa fin, et je n’avais pas voulu ferrailler avec ce jeune homme enragé, dangereux. Lui aussi savait que c’était fini, c’est pourquoi les coups de feu de l’embuscade l’avaient jeté dans une telle fureur, il s’était senti vaincu et humilié parce que, maintenant il devait se retirer du pays, on tuait ses soldats. Et même s’il n’y avait eu qu’un seul blessé au cul, il aurait pu tout aussi bien être touché à la tête. En fait ils ne savaient pas tirer. Les soldats sautèrent dans leur camion, les moteurs continuaient de vrombir, on ne les avait pas éteints, on s’était seulement arrêtés, on avait tué quelques personnes et on continuait notre route. J’aurais dû faire quelque chose, au moins montrer clairement mon désaccord. Mais je n’avais rien fait. Je me réveille souvent à cause de cet incident. Ce ne sont pas les choses qu’on a faites qui nous accompagnent, mais celles qu’on n’a pas faites. Qu’on aurait pu faire ou au moins essayer, mais qu’on n’a pas faites.
Par la vitre, j’ai regardé le jeune lieutenant, il se lavait les mains sous l’eau qu’un soldat versait d’un bidon. Certainement qu’à ce moment-là, il n’a pas pensé que, juste avant la fin, il venait de se mettre sur la conscience le meurtre de cinq vieillards au bord d’une route, dans la plaine du Frioul. Il est possible qu’il y pense aujourd’hui. Comme moi je pense aux choses que je n’ai pas faites. La colonne s’est dirigée vers les sommets enneigés. A travers la vitre arrière, j’ai vu les enfants et les femmes sortir des maisons en courant vers la scène de cette mort insensée.
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De temps à autre, des lettres qui donnaient du mal au postier de Poselje, car l'adresse était en cyrillique, troublaient la vie tranquille de Podgorsko. Véronika ne les ouvrait pas. Mais ses mains tremblaient quand on les lui remettait. Ensuite, elles restaient sur la petite armoire du salon jusqu'à ce que Jozi les jette. Je comprenais qu'elle ne pouvait pas ouvrir les lettres de Stevo. Quand un jour on coupe, on coupe avec tout. Mais je savais que ça n'était pas facile pour elle. Elle l'aimait toujours. Peut-être craignait-elle qu'en un instant tout lui revienne si elle ouvrait une de ces lettres, peut-être avait-elle peur de se retrouver soudain dans une gare.

Page 83 - (Toujours un quai de gare! Que d'images projetons-nous dans une gare!)
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«J’étais seul et elle était une apparition merveilleuse dans cette époque sauvage. Quand je l’ai connue, il régnait là-bas un calme miraculeux, les oiseaux chantaient dans les arbres, les abeilles bourdonnaient sur les fleurs de sarrasin. Le pianiste, je crois qu’il s’appelait Vito, jouait Beethoven. Le peintre ronflait, complètement soûl. Je respectais son mari, c’était un homme pondéré toujours impeccablement habillé, lui-aussi d’une certaine façon, je l’aimais, mais c’était sa compagnie à elle que je désirais ardemment. Au fond, elle est le seul souvenir clair, presque lumineux de l’époque de la guerre, vraiment le seul, tout le reste, ce sont des convois militaires, des voyages à travers le continent, l’hôpital et ses blessés gémissants, la dernière année, les otages fusillés en Italie à qui je tâtais le pouls de la vie qui agonisait, touchant à sa fin ou déjà finie.
(...)
«Je ne la touchais plus. Même si j’en avais envie. Elle était intouchable. Attirante, mais intouchable.
C’est ainsi qu’elle est restée dans ma mémoire. Cette nuit, je la vois. Je sens sa présence même si je ne l’ai touchée qu’en lui prenant la main, je la sens comme si elle était ici, maintenant.»

(3ème témoin Horst Hubermayer, médecin allemand reçu au manoir de Podgorsko)
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Vidéo de Drago Jancar
Drago Jancar - Six mois dans la vie de Ciril .Drago Jancar vous présente son ouvrage "Six mois dans la vie de Ciril". Parution le 25 août aux éditions Phébus. Rentrée littéraire 2016. Traduit par Andrée Lück-Gaye. Retrouvez le livre : Notes de Musique : Bach: Sonate pour violon seul No. 2, BWV 1003 & Partita pour violon. Free Music Archive. Visitez le site : http://www.mollat.com/ Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Dailymotion : http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/1 Vimeo : https://vimeo.com/mollat Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Tumblr : http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Blogs : http://blogs.mollat.com/
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