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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Drago Jancar
Six mois dans la vie de Ciril
Traduit du slovène par Andrée Lück Gaye
Editions Phébus

L'histoire se passe à l'époque actuelle, débute à Vienne en Autriche et se poursuit en Slovénie, à Ljubljana. Ciril Kraljevic, notre héros éponyme, a vingt-sept ans. Il est musicien et joue du violon dans un orchestre de klezmer (tradition musicale des Juifs ashkénazes d'Europe Centrale) qui se produit dans une cave. Il est un violoniste de talent, mais son talent n'est pas reconnu. Pour subsister, il joue aussi dans le métro. C'est là qu'il fait une rencontre qui va changer sa vie, en six mois, comme nous l'annonce le titre du roman. Un matin, Stefan Dobernik lui laisse une grosse somme dans l'étui de son violon. Très vite, ils vont se rendre compte qu'ils sont tous les deux Slovènes. Stefan va entraîner Ciril dans une odyssée qui est sensée faire de lui « un homme ». Tous deux vont rentrer en Slovénie. Stefan, est homme d'affaires et dirige une grosse société d'investissements et va faire de Ciril, d'abord son coursier auquel il va confier des missions de plus en plus secrètes, puis son conseiller. La vie matérielle de Ciril s'améliore au prix d'un certain nombre de compromissions qui l'obligent à s'interroger sur le sens de sa vie. Au prix aussi de l'abandon de son violon.
Notre « héros » n'est pas un héros. C'est un être rêveur, velléitaire, balloté par les circonstances et incapable de détermination. Il sent que la vie qui s'offre à lui n'est pas celle dont il rêvait, mais il ne sait pas dire « non ». Il ne sait pas ce qu'il veut. Ses relations avec les femmes sont aussi incertaines que celles qu'il entretient avec son art ou avec son travail : il croit aimer des femmes qui ont appartenu à son passé mais qui, comme Milena, ne l'admirent plus, ou ont continué à vivre sans lui, comme Ewa. En revanche, la relation qu'il vit avec la fille de Stefan Dobernik ne le satisfait pas … La jeune fille devient trop envahissante….Avec les femmes, il invente des romances qui n'existent pas vraiment et il se détourne de la réalité, comme si elle était pesante et étouffante.
Nous apprenons, au cours de notre lecture, que Ciril a fait des études d'ethnologie mais qu'il n'a pas réussi ses examens parce qu'il avait semblé remettre en question les compétences d'un de ses professeurs, celui qui enseignait l'architecture populaire. Ce dernier, furieux, a non seulement bloqué Ciril dans la poursuite de ses études mais l'a aussi traité de « Tabula Rasa », ce qui a complètement traumatisé le jeune homme fragile. Il est aussi hanté par les préceptes moralisateurs (chrétiens) que son père lui distillait tout au long de son enfance et qui ont contribué à faire de lui un éternel coupable… qui ne sait rien faire et qui ne fait rien de bon.
Toutefois, le texte n'est pas psychologisant…. Il s'agit plutôt d'un long poème sur le thème de l'insatisfaction, de l'échec, de l'inadéquation entre le rêve et la réalité. C'est une description onirique de la fragilité des hommes, de leurs faiblesses, de leurs incertitudes. le parcours de Ciril est décrit de manière parallèle à celui des hommes qui réussissent dans la société : Le Professeur « Toplar », l'ancien ami « Baryton » et enfin l'homme fort, Stefan. Mais notre sympathie est réservée à Ciril, à celui qui ne décide pas mais qui est une marionnette crédule entre les mains de ceux qui décident pour lui. Avec ironie, le personnage incarne dans ce très beau texte, toutes nos déceptions, toutes nos lâchetés, tous nos renoncements… Il est aussi question du rapport que les artistes entretiennent avec leur art, entre efforts et exaltations et parfois, abandon….
Le roman est construit selon une forme circulaire : tout se déploie et revient, et recommence et repart et se clôt…. Des cercles concentriques dessinent ces vies qui se croisent et ne se « rencontrent » pas. Ainsi, Ciril croise des personnages secondaires qui évoluent dans leur propre sphère : Ewa, dans son orchestre, « la chanteuse qui chante avec son âme » tourne dans son univers de chant et de danse et s'éloigne comme dans une bulle de savon ; Piscanec, lui aussi, évolue à côté, dans une autre bulle, l'ingénieur qui a tout perdu se relève de ses échecs pour aller travailler avec son frère ; Madame Adèle, emberlificotée dans ses disputes incessantes avec son mari se réfugie dans le chant et la musique de Puccini ; Feliks, la jeune femme exigeante finit par s'enfuir à Tahiti (peut-être ?) où elle rejoindra (se confondra avec) les jeunes nageuses de Gauguin dans le tableau « Fatate te miti » ; Madame Kopriva, l'ancienne logeuse, vient aussi faire son tour de piste avec ses brosses et ses balais. La circularité de l'oeuvre est non seulement due à ces personnages qui, comme des feuilles mortes dans le vent de novembre, tournoient sans fin et sans but les uns autour des autres mais aussi à de nombreuses marques du texte. Ainsi, des récurrences surgissent régulièrement …. Récurrences de mots, récurrences de phrases, récurrences de thèmes … Ces répétitions, à intervalles réguliers, soulignent l'aspect musical du texte qui se déploie comme un chant, émaillé de refrains, de rythmiques qui se répondent dans une savante mélopée en volutes gracieuses.
Toute l'oeuvre est parcourue d'une ironie légère, douce-amère. Il ne s'agit ici ni de cynisme, ni de sarcasme, mais plutôt d'un regard désabusé et bienveillant sur les humains qui se débattent dans un monde qui n'a pas beaucoup de sens. Cette ironie se manifeste à travers des interventions discrètes d'un narrateur omniscient mais parfois lui-même dubitatif… l'ironie du texte est aussi accentuée par de nombreuses ellipses qui seront ensuite comblées par des analepses (l'auteur revient en arrière pour détailler la manière dont les choses se sont passées) qui permettent de mettre en évidence l'aspect fortuit et aléatoire des événements qui s'emboîtent les uns dans les autres. de nombreuses prolepses (le narrateur « prévient le lecteur ») servent aussi à créer une atmosphère de douce suspicion….
Un mot sur la traduction :
Je ne connais pas le slovène et ne puis donc garantir la fidélité au texte. En revanche, le français utilisé est remarquable de finesse et de justesse et pourtant, on se sent dépaysé par une langue qui nous incite à penser autrement, à visualiser ces villes de l'Est et ses habitants, dont il est ici question !
Un mot encore sur l'édition :
Pas de fautes de frappe, pas de coquille -et de nos jours c'est devenu bien rare ! La typographie est élégante, comme la couverture. le papier est de bonne qualité : un joli bijou précieux !
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