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Critique de Cigale17


Née à Munich, Helena Janezeck est une romancière italienne dont la mère est une rescapée des camps. Pour La Fille au Leica, elle a reçu en 2018 le prix Strega, aussi prestigieux en Italie que le Goncourt l'est en France.

Le nombre de personnages auxquels l'auteur fait allusion tantôt par leur nom, leur prénom, leur surnom ou leur pseudonyme ne facilite pas la prise de contact avec cette histoire compliquée… le lecteur comprend que certains des protagonistes sont des gens célèbres, mais ne les connaît pas forcément. Pour ma part, j'ai dû faire de petites recherches avant de m'y retrouver !

Le prologue et l'épilogue se répondent. Dans le premier, trois photos prises par Capa et Taro sont décrites par un narrateur convoquant un « tu » qui n'est pas explicité. L'épilogue commente de la même manière deux photos où apparaît le couple Capa et Taro, ainsi que quelques autres images. Mais surtout, il raconte en partie l'histoire de la « valise espagnole » qui a permis de connaître et de mettre enfin en valeur le travail de photographe de Gerda Taro.

Le roman – il s'agit bien d'un roman, pas d'une biographie – raconte la brève histoire de Gerta Pohorylle (Gerda Taro), talentueuse photographe morte à 27 ans, dans un bête accident pendant la guerre civile espagnole, à travers les récits de trois proches témoins. le premier, Willy Chardack (I. Willy Chardack, Buffalo, N.Y., 1960, p. 21) dit le Basset, très amoureux de la jeune femme qui le considère comme un copain, est connu à l'époque de son récit parce qu'il a participé à « l'invention d'un petit moteur pour le coeur » ; mais au milieu des années 30, c'est un étudiant en médecine qui a fui son pays natal pour se réfugier à Paris parce qu'il est juif, comme l'ont fait beaucoup des personnages de cette histoire alors que les persécutions s'intensifient dans plusieurs pays d'Europe. le deuxième témoin (II. Ruth Cerf, Paris, 1938, p. 117), qui pose de temps en temps comme modèle, raconte son amitié et ses brouilles avec Gerda Taro, son admiration tempérée de pointes de jalousie et de jugements moraux, leur cohabitation, etc. C'est le seul des trois récits qui se déroule peu après la mort de Gerda. le troisième témoin (III. Georg Kuritzkes, Rome, 1960, p. 217), l'ami fidèle, l'amant prévenant et généreux, est probablement celui qui connaît le mieux Gerda Taro : il a fréquenté la jeune femme et sa famille avant l'exil et on comprend que c'est lui qui a forgé sa conscience politique de gauche. Il rejoindra les Brigades internationales et rencontrera brièvement Gerda près de la zone des combats.

On croisera au cours des trois récits divers personnages connus ou moins connus. le plus célèbre est sans doute Endre Ernö Friedmann, autrement dit Robert Capa, alias Bandi, talentueux photographe, dont tout le monde a vu le cliché du soldat républicain qui vient d'être frappé par une balle et qui commence à s'écrouler, compagnon de Gerda, son mentor pour ce qui concerne la photographie. Citons encore le photographe David Szymin, alias Chim, alias David Seymour, cofondateur de l'agence Magnum ; sans oublier Fred Stein, photographe lui aussi, qui prête aux autres sa salle de bains transformée en chambre noire. On apercevra aussi Hemingway, Steinbeck, Willy Brandt, Pablo Neruda, Nizan, Aragon et quelques autres… le livre se clôt par des remerciements et les crédits photographiques.

Les trois récits adoptent le même schéma, si j'ose dire : une sorte de fouillis temporel. On suit les pensées du personnage-témoin comme elles viennent, c'est à dire sans adopter une ligne cohérente, au gré des souvenirs et de l'enchaînement des idées : sauts dans le temps, sauts d'un personnage à l'autre, d'un lieu à un autre, etc. Bref, il faut s'abandonner à ce chaos sans chercher à reconstituer la ligne du temps sous peine de se lasser. Par ailleurs, les contradictions entre les témoins se font jour au fil de la lecture. le point sur lequel tous semblent d'accord, c'est le pouvoir de séduction de Gerda, dû à son charme, à sa beauté, à son intelligence et à sa vitalité.

La force du roman, me semble-t-il, c'est de nous faire découvrir Gerda par petites touches, parfois contradictoires, et par les yeux d'autres témoins que Robert Capa. On se rend pourtant compte, une fois le livre refermé, que l'on sait finalement fort peu de choses sur cette photographe. Qui la connaissait le mieux ? Je me dis que c'est en couple que Capa et Taro sont le plus attachants : amoureux, sûrs d'obtenir un jour le succès, déterminés à faire connaître les exactions des fascistes pour « forcer le monde libre à intervenir ». L'ambiance du Paris d'avant-guerre, l'antisémitisme latent ou manifeste, l'enthousiasme de tous ces jeunes gens malgré les difficultés qu'ils rencontrent et leur espoir en un monde plus juste m'ont particulièrement touchée.

J'ai été soulagée de lire ceci dans les remerciements : « Merci à ceux qui ont tenté de calmer ma frénésie de documentation, en me rappelant que j'écrivais un roman. » En effet, on se sent comme dans un documentaire dont l'auteur considère que vous avez en tête tous les éléments pour le comprendre alors que, en ce qui me concerne, c'était loin d'être le cas. Je me suis assez bien repérée dans les deux premiers récits, mais j'ai été complètement perdue dans le troisième malgré des notes de bas de pages plus fréquentes que dans les deux autres...

Merci à Babelio et à Actes Sud de m'avoir permis de découvrir ce roman.
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