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Critique de belcantoeu


Un livre à lire,... dont le titre dit tout, et plus encore avec son titre français qu'avec son litre original polonais «Mała Zagłada», textuellement Petit holocauste, qui n'a pas la même connotation qu'en français.
On connait Auschwitz, Oradour, Lidice, mais Sochy, en Pologne, près de Lublin, avec seulement 88 maisons au toit de chaume, incendiées le 1er juin 1943 à 5 heures du matin tandis qu'on massacrait la population, qui en a entendu parler? Outre les Juifs et les Tsiganes, la Pologne a aussi trinqué, dépecée par les deux moustachus qui concluent le pacte germano-soviétique pour se la partager. le 11 juillet, un mois après Sochy, ce fut le massacre de Volnhynie, puis celui de Wywloczka, autre village de ces Polonais, ces «sous-hommes». Auparavant, du côté allemand, il y avait eu l'opération Tannenberg (plus de 20.000 morts) et du côté soviétique du butin, les massacres de Katyń et quelques autres (22.000 exécutés et 60.000 déportés). Alors, c'est vrai, à côté, c'est une très petite extermination.
Les documents attestent que dès les années 1930, «bolcheviks et hitlériens ne cessent d'améliorer leurs techniques de mise à mort. On se rend visite, on partage les résultats de ces expériences... Les Russes vendent ainsi aux Allemands leur trouvaille d'asphyxie par les gaz d'échappement, procédé qui sera perfectionné par les seconds. Les rencontres entre le NKVD et la Gestapo ressemblent à nos conférences d'aujourd'hui...» (p. 177).
Le livre est écrit par Ania Janko, née en 1957. Elle aligne des faits, précis, froids, journalistiques, effrayants, avec des photos. le livre s'adresse à sa mère, Renia, qui avait 9 ans en 1943, a survécu dans trois orphelinats successifs, et a «transmis». Elle habitait la maison 57. le livre commence ainsi:
«Réfléchis, maman, ce que tu as connu n'est pas le pire. Juste un carnage et un incendie. Ni sévices, ni cruauté, ni maltraitance. Pas même un viol. Ils avançaient et tuaient dans la foulée. N'importe comment. S'ils rataient leur cible, ils tiraient à nouveau... ton père n'a souffert qu'un instant et ta mère pas du tout. Un quart de seconde et pfft, elle n'était plus de ce monde. Tes parents n'ont même pas vu brûler votre nouvelle maison... Une chance».
Le livre témoigne. Il est plein des prénoms et des noms d'adultes et d'enfants, ceux des maisons N° 1 à 88,... évoqués une par une, sauvées de l'oubli. Exemple: «Maison N° 88 appartenant à la famille Skóra Mikhailowski. Entièrement détruite par le feu. le père, la mère et les trois enfants sont tués. Seul le petit Lencio survit». le bilan des autres maisons figurent de même, avec les noms. L'auteure en avait déjà rendu compte dans un autre livre, «La Destruction des petits».
Avant l'auteure, Bronka, sa cousine, avait mis des numéros sur toutes les maisons incendiées pour les décrire une à une dans un poème sur Sochy. Bronka avait 9 ans. En 2018, elle en a 88.
Ceux qui n'étaient pas sortis ont été brûlés dans leur maison. Il y eut le procès de Nuremberg, et quelques procès locaux, mais les bourreaux de Sochy n'ont jamais été punis. Ce n'étaient pas des nazis mais des «Allemands ordinaires, trop vieux... heureux d'être à Zamosc plutôt qu'à Stalingrad. Lorsqu'ils ne tuent pas, ils mènent une vie normale. Ils vont au cinéma, au café, ils écrivent des lettres à leur famille».
Il y avait même quelques bons Allemands, auxquels le souvenir se raccroche, comme cet Allemand anonyme qui n'a pas pu tuer un enfant. Ou cet autre qui avait dit à au père de l'auteure de fuir.
Il fallait expulser 200.000 Polonais aptes au travail forcé, de la région de Zamosc, pour y implanter des Allemands. Pour ceux qui n'étaient pas aptes ou qui n'avaient pas les yeux bleus (passeport pour l'adoption), c'était le terminus. Ceux aux cheveux clairs, les Nordiques, on les privera de leur identité en les germanisant s'ils survivent au transport.
«Les nouveaux propriétaires prenaient possession des maisons laissées béantes... Ils nourrissaient les animaux des autres et se couchaient dans les lits auxquels on avait arraché les autres pendant la nuit».
L'auteure témoigne, mais n'oublie pas les autres génocides: l'URSS, les Anglais, les Etats-Unis, l'Australie, les Hutus, les Turcs en Arménie, la Chine de Mao, le Cambodge «démocratique» de Pol Pot où périt 1/5ème de la population, les quatre soeurs de Freud qui ont péri dans les camps. Sochy à côté,... «une si petite extermination». L'auteure fait un rapprochement et se rappelle un souvenir d'enfance où il fallait exterminer les taupes.
Le seul objet familial qui ait échappé au massacre et à l'incendie, c'est une montre, qui figure en couverture du livre comme un effrayant symbole du temps. Il lui a fallu des années pour retourner à Sochy et pour témoigner. le village existe à nouveau. Cela fait penser à «Regain» de Giono mais dans un tout autre contexte.
Quelques autres citations:
«L'Allemand tire dans la tête de papa, puis dans celle d'Antoni ainsi que dans celle de Janina toujours allongée, tous les enfants voient que la balle ressort par l'oeil».
«Le sort des enfants de Sochy n'était pas fixé d'avance. Ceux qui périrent, ce fut par hasard ou selon le bon plaisir d'un soldat ou d'un policier allemand».
«Ils ont chargé les enfants dans un train et les cheminots s'en défaisaient comme cela venait».
«Les garçons de la Hitlerjugend, eux au moins, s'étaient exercés sur des chiens».
«En plus, c'était une erreur géographique, c'était un autre Oradour qui était visé, Oradour-sur-Vayres, situé à proximité... Ils ont massacré 642 personnes et réduit en cendres leurs demeures, tout ça parce qu'ils ne savaient pas lire une carte».
«Je ne vois en toi [la mère de l'auteure] que la fillette dont on a tué les parents, l'un après l'autre, devant ses yeux. Et qui a pris son petit frère et sa petite soeur par la main».
«Dans les magasins d'Auschwitz, il y avait... entre autres 115.063 vêtements d'enfants... inventoriés avant d'être expédiés par train, en Allemagne, un pays dans le besoin. Les poussettes pour enfants sont parties aussi. Vides».
Un jour de novembre 1943, on «avait fusillé 18.400 personnes, des Juifs... Ils tuaient par couches. Il parait que c'est plus rapide ainsi».
«On lui fera une injection de phénol dans le coeur... C'est le SS Hans Nierzwicki qui la tuera... Un médecin allemand aurait jeté son enfant devant elle dans un four en marche... Pour ressentir quelque chose et ne pas s'arrêter à un nombre, il faudrait aussi connaitre leurs prénoms et les entendre appeler Maman, juste avant l'injection».
«Le commandant du camp s'appelait Artur Schütz. C'était un ancien boxeur. Il tuait les enfants d'un seul coup de poing».
«On lui a pendu son père (nous l'avons pendu, nous Polonais). Ils ont dû (nous avons dû) s'y reprendre (nous y reprendre) par trois fois, car la chute du corps n'était pas assez brutale».
«Du balcon de sa villa, Amon s'exerçait à tuer d'un seul coup les mères tenant des enfants dans les bras. Il fallait que la même balle touche la mère et l'enfant. Affaire d'adresse».
«Nous avons été vendus aux Soviétiques, à Yalta, par les Alliés».
«J'ai décidé d'enfiler les mots pour les faire passer par les sépultures de mes ancêtres».
Merci de l'envoi de ce livre par Babélio et par les éditions Noir sur Blanc, maison helvético-polonaise qui traduit notamment des textes polonais en français et dont le but est de "faire connaître au public francophone la production intellectuelle de l'autre Europe". J'espère que ce témoignage sera largement diffusé, car il n'y a pas, et il n'y aura jamais de "petite extermination".
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