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Critique de Apoapo


L'être humain, animal symbolique d'après Charles Sanders Peirce, est en quête de sens, surtout vis-à-vis de sa maladie. Et la médecine scientifique occidentale, dans son analyse et sa fragmentation des organes et des pathologies, est particulièrement mal équipée pour répondre à la question du sens des maladies. Cela n'est pas le cas d'autres cultures médicales de par le monde, ni même de notre propre tradition médicale préscientifique, qui porte encore les traces de métaphores corporelles jusque dans chaque langue spécifique. Ces premières pages quasi anthropologiques du livre donnent la mesure d'une remarquable ouverture d'esprit, de l'humilité et du respect à la fois pour les autres cultures et pour la parole questionneuse du patient.
Les récentes découvertes psycho-neuro-endocrino-immunologiques réintègrent les facteurs émotionnels dans la prévention et la guérison des maladies ; d'ailleurs j'ai découvert que les statuts fondateurs de l'Organisation Mondiale de la Santé, dès 1948, prévoyaient une définition triple de la maladie – physique, médico-biologique (« disease »), psychologique basée sur la ressenti du patient (« illness ») et sociale (« sickness ») - contribuant à une approche plus holistique du bien-être et permettant une quête du sens de la maladie également tripartie (cf. cit. 2). Toutefois, depuis le début du XXe siècle, et notamment grâce aux apports de Wilhelm Reich et de Georg Groddeck, a été développée la psychosomatique, qui tend à ne donner de toutes les maladies que des explications psychologiques voire psychologisantes, fondées sur les conflits émotionnels. La version la plus radicale et contemporaine de cette tendance est représentée par la Médecine Nouvelle Germanique de Ryke Geerd Hamer, en particulier au sujet des causes du cancer. Après une analyse assez détaillée de cette théorie, ainsi que de la théorie de « l'inhibition de l'action » par Henri Laborit, de la théorie de l'information et de l'intelligence du vivant exposée par Tom Stonier, l'auteur récuse ces radicalismes comme n'étant pas fondés sur une assise scientifique suffisante et il en dénonce à plusieurs reprises la dangerosité pour des malades qui les accepteraient avec crédulité, au prix de se culpabiliser s'ils ne parviennent pas à guérir en résolvant ses conflits émotionnels, et au risque de refuser les thérapies oncologiques traditionnelles. En plus, les théories psychosomatiques ont le défaut de fournir des explications symboliques standardisées et monofactorielles des cancers, alors que la recherche tend vers la multicausalité et la personnalisation (cf. en particulier le problème de l'alexithymie, cit. 3). Ensuite, en guise de synthèse, un chapitre (6) est consacré à la façon dont le cerveau dans ses trois composantes traite l'information en se servant en particulier de la croyance (un atout évolutif qui a ses limites...) ; il est ici question aussi de la logothérapie du neuropsychiatre autrichien Viktor Frankl. Ces chapitres sont rassemblés sous le titre : « La confusion du sens ».
Enfin une troisième partie, intitulée « Retour au bon sens », se compose des chapitres : « Aider », « Humaniser » et « Se responsabiliser », lesquels tracent les contours d'une médecine humaniste que l'auteur appelle de ses voeux et qu'il formule en grande partie sur la base de sa propre expérience, en s'appuyant sur de nombreux témoignages de ses patients. Il prodigue des conseils théoriques et pratiques à l'égard des patients, sommé de retrouver de la « fluidité » et de la « cohérence » dans leur existence à partir de leur condition de malade, mais aussi des recommandations adressées aux soignants. Cette partie comporte une vraie réflexion de philosophie de la maladie ainsi que, entre les lignes, une sévère critique sociale non seulement contre « l'industrie de la maladie » (nommée habituellement « industrie de la santé ») et contre l'organisation économique productiviste tout entière. Ainsi, ce qu'il définit la « responsabilisation » dépasse largement le principe de précaution et la prévention des maladies au sens qui leur est habituellement donné.
La conclusion, « … à l'harmonie collective » va jusqu'à proposer la métaphore que notre système économique (et pourquoi pas l'anthropocène dans son ensemble) serait un cancer pour la planète dont il n'est pas certain qu'elle puisse se guérir ou bien périr en entraînant l'humanité dans sa mort...
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