J'ai enfin conçu mon Irlande comme un ensemble, un Grand Tout auquel j'appartiendrais à jamais, et non pas comme le puzzle de clichés dont j'avais assemblé quelques pièces éparses - et il y avait de quoi rire: les pubs, la musique, les tourbières, et les autres clichés. Tout cela n'était que rapiéçages sur le manteau des idées reçues. L'Irlande, c'était plus que tout cela: une aura dont la Providence enveloppe les élus.
A quoi bon se presser puisque, du temps, il y en aura pour tout le monde, et toujours plus qu’il n’en faut.
Je me suis mis au goût du jour, qui veut qu'on tire profit de tout et de n'importe quoi.
Il valait mieux compter en heures qu’en kilomètres sur des routes sinueuses et étroites, creusées de nids-de-poule à vous cogner la tête au plafond, dans une région démunie de beaucoup de choses, mais pas du principal aux yeux de ses habitants : le temps sidéral dont Dieu, dans son immense générosité, a pourvu l’Irlande sans compter.
La généalogie est une espèce de litanie d’équations à inconnues multiples. Aussi passionnante qu’ennuyeuse. Passionnante quand on en résout une, mortellement ennuyeuse quand on ne peut rien faire d’autre qu’attendre des pièces officielles.
La beauté ne se traduit pas en chiffres. On ne regarde pas un tableau en pensant à sa valeur, ou bien alors on ne mérite pas de le posséder.
Pour les gens d’ici, un con de touriste, c’est un type qui n’arrête pas de dire sorry aux portes contre lesquelles il se cogne.
Le caractère irlandais, a philosophé Magali. Ils se figurent que la nature est inépuisable. Ils n’ont pas que des qualités, mais au moins ils ont le charme de leurs défauts. On ne peut pas en dire autant de tous les pays.
Quand bien même il y avait du poisson partout dans des eaux « libres », le saumon et la truite de mer des Anglais étaient autrement savoureux. On avait l’impression de se rembourser sur la bête de tout ce que l’occupant avait volé à l’Irlande.
Le tutoiement m’a fait tiquer un peu. J’aurais préféré garder mes distances avec cette fille. Mais se tutoyer, entre Français du même âge, n’était-ce pas naturel ? À quoi bon chercher midi à quatorze heures ?