Simili-love

Rien que l'idée de devoir revêtir mes habits de désigné me donne envie de rester sous la couette. On ne peut plus sortir sans la panoplie connectée au risque de faire collapser les IA. Les vêtements de polyaniline et carbone mesurent chaque réaction physiologique et nous indiquent, via le bracelet, si notre rythme de croisière est convenable ou si nous devons presser le pas. Système cardiovasculaire et IMC semblent être leur obsession. Le tissu intelligent mesure même l'indice UV et nous impose parfois de marcher à l'ombre. Nos chaussures vibrent lorsqu'il est temps de traverser. Plus question de choisir notre itinéraire - une IA jusque dans le pantalon. Flâner est un truc d'inutile. L'errance, je n'en parle même pas.

Par respect pour les victimes, sans doute, on avait laissé la sécurité intérieure fliquer chaque citoyen puisque c'était l'unique réponse du gouvernement aux attaques des islamistes. L'État faisait quelque chose et on se disait que c'était déjà ça.
Il fallait pourtant sérieusement s'accrocher aux œillères pour ne pas voir que ça basculait.

2040 aura été l'année charnière. La Grande Lumière. Mais cela faisait un moment que tout se mettait en place. Des événements qui, pris séparément, ne payaient pas de mine. Des nouvelles lois. Des mises à jour. Des règles de fonctionnements numériques qu'on ne lisait même plus avant de les accepter. les journalistes ont été muselés. Une surveillance généralisée grandissante que les États justifiaient par la traque du terrorisme. Il avait bon dos, le terrorisme. Il avait tué mille personnes en France sur dix ans. La route trente cinq mille, l'alcool un demi million et la cigarette sept cents mille. Je n'ai pas le chiffre de l'alimentation industrielle mais il dépasse sans doute tous les autres réunis et je ne parle même pas de la pollution.

Certaines plantes protègent naturellement leur environnement des bactéries, champignons et virus, et inscrire ces connaissances scientifiques dans le réel est un art au service du vivant.

Depuis les années 1990, votre QI est en chute, une première, et votre utilisation des réseaux sociaux, qui au passage sont des outils de surveillance de l'IA, a brouillé votre capacité à reconnaître vos amis. Vous avez l'impression d'être entourés de gens qui pensent comme vous et qui apprécient votre compagnie alors que vous ne tiendrez pas un repas à leur table. Collectivement, vous n'avez jamais été aussi faibles. Vous n'avez plus de leader. Vous êtes un essaim d'abeilles dans une ruche enfumée.

Selon Jane, les motifs que les humains choisissent de s’encrer dans la peau sont l’expression d’une prière. Les algorithmes ont croisé profils psy et tatouages de millions de comptes. On pense tatouer ce que l’on est, alors que, inconsciemment, on se pare de nos manques. Celui qui s’offre un papillon se sent lourd. Le faible choisira des symboles guerriers. Le perdu, un Bouddha. Celui qui illustre ses bras de pin-up n’en a pas embrassé beaucoup. Selon elle, nous avons tort de nous méfier des hommes à têtes de mort et sanguinolentes – les dangereux s’ornent de fleurs.

Il aura fallu qu'elle existe pour que je souhaite, enfin, durer dans cette vie.

La Grande Lumière était un plan vieux comme le monde : diviser pour mieux régner. En séparant les consommateurs les uns des autres, ils ont décuplé le sentiment de solitude et créé le besoin du produit à venir : nous, les androïdes. Foogle a calqué la stratégie commerciale des droïdes sur celles des smartphones : vous faire payer l'objet qui allait vous diriger et vous contrôler dans vos choix, une application à la fois.

L'intensité du regard du lièvre se modifie. Ses pupilles se rétractent. De la surprise, j'y vois maintenant un grand sérieux et cela provoque un malaise en moi. Dans un vertige, la frontière entre nos espèces se floute et je ne suis plus un humain devant un animal - nous sommes deux mammifères, face à face. Il m'hypnotise. L'impression qu'il va se mettre à parler mais ce n'est pas la peine. Son message est clair. L'animal me demande des comptes et j'en ai presque la nausée tant je me sens coupable. Si je me suis demandé comment l'IA allait traiter les hommes, je n'avais qu'à regarder comment nous avons traité les espèces désignées inférieures.

Même si je ne ressens toujours rien aujourd'hui en observant les insectes grouillant, je sais qu'ils sont nécessaires à l'écosystème de la planète et que ce n'est pas le cas de mon espèce.