Lorsque Fidel Castro, au cours de l'été 1968, approuve l'intervention soviétique en Tchécoslovaquie, Franqui rompt avec le régime et s'exile en Italie. Son image disparait des publications. Et on l'efface même de cette très célèbre photographie historique. Il es tantôt gouaché de blanc et tantôt de noir. On peut voir au Musée de la lutte clandestine à Santiago de Cuba un fac-similé d'une page de journal révolutionnaire de l'époque où figure cette même photo mais avec Franqui dissout dans un fond noir !
" Je découvre ma mort photographique", écrit Carlos Franqui dans un poème. De tous les "effacés" de l'histoire, il est, à ce jour, le seul à avoir réagi littérairement et avoir essayé de traduire l'angoisse de la disparition photographique :
" Est-ce que j'existe ?
Je suis un peu de blanc.
je suis un peu de noir.
Je suis un peu de merde,
Sur la veste du tovarich Fidel."
Oreanda, près de Yalta en Crimée, en septembre 1971. Willy Brandt, chancelier d'Allemagne fédérale, rencontre Leonid Brejnev, premier secrétaire su parti communiste. On fume beaucoup. Les cendriers débordent. On boit beaucoup aussi, les bouteilles de champagne de Crimée s'accumulent. Ambiance cordiale, légèrement débraillée. A un moment précis, on fait entrer les photographes. Dans la presse allemande, on verra les bouteilles, les paquets de cigarettes, les cendriers pleins, la manchette débordante de Brejnev, les mains des divers autres participants. Sur le cliché de la Pravda on a fait le ménage, vidé la table de ses bouteilles trop voyantes et de ses mégots, éliminé les autres détails canailles et ramené la rencontre à un dialogue souriant.
Alain Jaubert - Sous les pavés