Amers en presqu'île de Crozon

Presqu’île de Crozon. Cela vous convient : vous aimez les confins qui s’ouvrent sur un insondable infini vous permettant de retrouver en vous l’enfant au coeur de diamant inaltérable, qui contemple ce monde. En l’occurrence, la Mer d’Iroise. Joli nom, qui rime avec turquoise. On imagine ainsi la couleur de ses eaux en permanence, tant avant le départ on en a contemplé des clichés d’été contrastant avec la noirceur du but du voyage : écrire sur l’île de Trébéron et l’île des Morts, de triste mémoire.
Dans la première de ces îles, à leur retour de lointains périples, on incarcérait autrefois les marins victimes de maladies contagieuses, afin d’en protéger les populations locales et les militaires du fort de Brest. Dans la seconde, on les enterrait, quand ils n’avaient survécu ni à leurs maux, ni aux conditions effroyables de leur détention. /…/
Au milieu du siècle dernier, lorsque le port abandonna sa fonction militaire, il fit place à un nouveau vapeur de loisirs amenant une foule bigarrée de Brestois et de visiteurs venus d’autres communes pique-niquer dans les bois alentour, au creux des criques et sur les plages. Ce monde aussi charmant que frivole se sentait si bien sur la lande côtière rase où s’épanouissaient la bruyère cendrée, les genêts et les ajoncs maritimes, ainsi que la scille printanière /…/ Ces évocations-là ne peuvent faire surgir dans l’imaginaire que de doux tableaux impressionnistes, dispersant d’imperceptibles touches de lumière dans l’ombre gris-mauve des nuages, sur les paillettes irisées des roches, sur les flots plissés de la rade, comme sur les foulards retenant les cheveux de romantiques ou lascives demoiselles. /…/
Mais aujourd’hui, il vente. Il pleut. Il fait froid. On frissonne. Les rêves d’une autre époque se dissolvent dans la bruine. /…/ Il ne reste à contempler, depuis un banc rivé au roc, face à la rade, que les deux îlots morbides. /…/ Alors, comme pour éviter l’horreur, d’autres visions tentent de s’imposer à votre esprit, évoquant une légende d’amour./…/
Et puis l’on se dit qu’il y a mille autres récits possibles concernant ces îles. Il y eut là tant de morts qui, chacun, avait une origine et un destin différents. Tant d’espoirs de voyages qui devaient changer le cours de leur existence. Tant de rêves encore purs, non souillés par la déception, par les fracas de l’adversité et du temps. Tant d’énergie dépensée pour ne récolter parfois qu’un baluchon explosant de souvenirs, épopées dérisoires à conter à des enfants aux yeux crédules, émerveillés et cependant volages./…/