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Critique de gouelan


Je ou il
Flaubert personnage d'un roman.

Une enfance où il fait bon lire et observer. Gustave a le temps de s'émerveiller, de jouer avec sa soeur Caroline, de partir en vacances, de flâner dans la bibliothèque, d'écouter les histoires au coin du feu, de goûter les bons petits plats préparés par Julie. Il ne fait pas partie de ses enfants d'ouvriers qui usent déjà leur santé dans les usines, de ceux qu'il aperçoit, promenés en brouette comme des petits vieux dans l'hôpital de son père, par des bonnes soeurs en cornettes. Bien qu'il soit épileptique, il est chanceux.

Il peut même, à l'adolescence, jouer la comédie du désespoir. Peut-être fallait-il cela pour devenir un écrivain illustre. Regarder la réalité à travers la lunette des mots. La décortiquer, l'habiller de personnages, s'y prélasser, s'y fondre.
Il peut choisir son avenir. le droit ou l'écriture. le droit l'ennuie. Il préfère créer en toutes lettres une réalité de papier.

Mais que reste-t-il au moment de son dernier bain, de cette vie de voyage, toujours à la recherche de belles phrases, d'aventures amoureuses ? Parfois il perd le fil, son histoire se découd, la couverture gondole, les mots l'insultent. Les personnages lui demandent des comptes, ils se libèrent de leurs liens, de leurs boucles trop serrées, de leur boue d'encre noire, de leurs habits qui sentent le moisi entre les pages. Emma Bovary revient le plus souvent sur la scène de sa vie. Elle lui fait boire la tasse et bien plus encore. Emma c'est un peu lui, au fond. Elle veut vivre encore, à sa guise, quitte à n'être que pauvre, analphabète, vêtue de nippes, éleveuse de bovins.


Biographie romancée où Flaubert est ce personnage talentueux, frileux, boiteux, malmené. de sa baignoire sabot, il voit s'échapper sa vie.
Un regard en arrière :
« La vie au fur et à mesure effacée. Elle laisse une trace plus labile encore qu'une barque sur l'eau. »

Il se console à peine en pensant à ses romans qui continueront à le faire vivre à chaque fois qu'un lecteur en commencera l'histoire. C'est une part de lui. Un jour ou l'autre l'encre disparaîtra aussi. Les pages seront grignotées par le temps. Et puis les hommes n'auront plus le même langage. La morale le condamnera, (lui ce pédophile pour qui les petits garçons d'Orient comptaient pour rien), la mode le trouvera ennuyeux, se perdra au bout de ses phrases, de ses images jaunies.
« Non content de nous effacer le temps nous tourne en ridicule. »

Ce qui m'a plu dans ce roman, ce sont les voix de Flaubert et de Jauffret emmêlées, l'ironie à fleur de page. (Les lettres de leurs noms sont presque semblables). Régis Jauffret imagine les pensées de Flaubert, cet éternel jouisseur désespéré. Une vie de plume d'oie qui trempe dans la grenouille encrier, gratte le papier, oublie la réalité. le lecteur voit se dessiner un Flaubert un peu agaçant tout de même, un peu barbant (avec ses longues phrases, parfois délirantes), égocentrique. Un homme illustre quoi, d'un autre temps.


Ce roman jette un regard incisif sur la vie et la mort, qui ne font qu'une dans un même cri de solitude.
« On passe l'infime ration d'années qui nous est consentie à pousser devant nous la cage où nous sommes enfermés. »

C'est aussi une réflexion sur la création littéraire, le talent, l'obsession du mot, de la perle.
« La réalité attend d'être écrite pour être. »
Mais au fond la réalité n'attend rien de nous, elle est, un point c'est tout. En l'écrivant on l'imite, en la lisant on tente d'en comprendre sa couleur. Elle fuira toujours quoique les mots en disent. Les hommes passent, illustres ou non.

Je remercie Les Éditions du Seuil et Babelio pour ce roman d'une forme originale. Il me reste à lire le "chutier", écrit un peu petit je prendrai mon temps.

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