Aujourd’hui je bois pour échapper à cette impression de mort imminente. Pour m’extraire du monde extérieur, au moins jusqu’au lendemain.
(…) La plupart du temps, boire m’évite de subir mes cogitations de plein fouet. Elles se font plus vagues après quelques verres.
(…) Boire n’est pas un loisir. Boire est une nécessité sans saveur. L’alcool m’apporte une sérénité qu’il m’est impossible de trouver dans la lucidité, qui charrie inévitablement avec elle toutes les horreurs et les injustices de la société. Des injustices que j’absorbe et métabolise en acide sulfurique.
L’asile, c’est le miroir grossissant de la société, une loupe gigantesque.
L’asile est probablement le seul endroit où l’on s’étonne d’envier le prévenu qui peut plaider non coupable devant une cour d’assises.
En psychiatrie, le doute ne profite pas au malade. Il est frappé par la mesure de prévention.
Mais moi, le dépressif, l’excessif, le jouisseur solitaire, le handicapé social, je ris, je pleure, j’exulte, je me morfonds, je suis en haut de l’échelle ou au fond du puits, mais je suis vivant. Et j’ai le droit de vivre. Je ne suis pas une construction rectiligne.
Quand on souffre, on est injuste avec ceux que l’on aime.
J’ai l’habitude d’être aussi agréable à regarder qu’un cafard qui tombe du plafond de la cuisine. En société je suis la bête de foire, le pauvre type. Lors des dîners, je m’écroule sous la table, je raconte ma vie intime, je hurle. C’est un crime contre moi-même. Je dois me défendre. Je suis un multirécidiviste. Je réclame un procès contre moi-même afin de satisfaire mes victimes.
Quand on souffre, on est injuste avec ceux que l’on aime. La maladie n’étant pas vue comme une maladie, elle attire les foudres de ceux qui ne sont jamais passés par là. Un verre ou deux et vous êtes un homme libre, un bon vivant. Une bouteille et vous êtes un monstre, votre but est de véhiculer le mal. Vous avez bu parce que vous vouliez boire, et vous vouliez boire pour faire souffrir les autres. Jamais personne ne se dira que si vous avez trop bu c’est que vous ne pouviez pas faire autrement. Que boire trop peu vous fera tomber dans l’abîme du manque.
"Je fais parti des oubliés, des invisibles. Personne pour vous venir en aide car personne ne connaît votre existence. Votre pays vous a effacé de sa base de données. On vous règle votre compte en catimini. La justice ne vous concerne plus. La justice vous enjambe. Les règles du monde libre ont sauté lorsque vous avez franchi le SAS de l'asile. J'ai 25 ans et demain encore je prendrai part, avec des milliers d'innocents, au spectacle qui se joue sous les caméras de surveillance du HP, sinistre et froid comme une arme."
Très belle écriture qui nous nous permet de rentrer dans les affres de cet étrange maladie.
Bravo pour ce témoignage poignant . Respect .