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Critique de Garoupe


Et la santé part en fumée

Le récit de Marius Jauffret tient autant du pamphlet que du reportage et de l'enquête que du roman. Les trois premières catégories s'alimentent l'une l'autre. La dernière élève le récit au rang d'oeuvre littéraire.

Marius Jauffret s'est retrouvé interné à la demande d'un tiers, en l'occurrence son frère. Il présente un terrain favorable : alcoolisme, dépression, isolement… les raisons de se retrouver en hôpital psychiatriques ne manquent pas. de là à se retrouver « interné à la demande d'un tiers », il n'y a qu'un pas que ni Marius ni son frère ne pensaient franchir. Cela se fait presque à leur corps défendant en tout cas sans qu'aucun des deux n'ait conscience de ce qui se cache derrière cet internement. C'est là que l'enfer de Marius Jauffret commence…

Car ce processus enclenché par son frère ne pourra prendre fin que sur la décision du médecin qui le suit. Enfin, qui le suit… c'est vite dit tant celui-ci se livre à un exercice de petit chef sûr de son pouvoir et de sa suffisance, que ce soit vis-à-vis de Marius Jauffret ou des autres prisonniers, pardon !, pensionnaires de cet HP. Marius Jauffret, malgré une forte tendance à vouloir la ramener systématiquement, comprend vite où se trouve son intérêt : il se met, au sein du fumoir où tout le monde se retrouve plus ou moins (plus que moins) souvent, à observer ses coreligionnaires.

A partir de là, il dresse un double portrait : celui de l'institution qui le retient contre son gré et celui des internés. Ceux-ci le sont tout de même plutôt à raison qu'à tort mais cela n'enlève rien à la broyeuse qu'est devenue l'institution dans laquelle il tente de surnager et de laquelle ils souhaitent tous s'échapper.

Les portraits dépeints par Marius Jauffret sont sans concession. Et vertigineux. On est littéralement pris de vertige face au dialogue de sourd qui s'installe entre une institution (et avant tout ses représentants qui font cruellement preuve d'un manque d'humanité et d'empathie) et des êtres humains, certes désemparés et à la dérive) mais dépassés par ce qui leur arrive. Même si au bout d'un certain laps de temps, un certain fatalisme surgit immanquablement.

Marius Jauffret rend parfaitement compte à la fois de l'iniquité des traitements, qui font que si on ne rentre pas totalement fou dans cet HP on l'y devient sans coup férir, et de la déshumanisation aux forceps des internés. Ces derniers sont constamment rabaissés au rang d'animaux. Et pourtant, ils restent plus nobles que leurs matons… « Mais l'interné revient tôt ou tard à la niche. Son bifteck, c'est la mainlevée . La seule manière de l'obtenir est de faire allégeance au psychiatre ? Chacun se comporte en labrador docile redevable à son maître… » et plus loin « Enfermez le pire des sauvageons dans un hôpital psychiatrique, et en quelques jours il se métamorphosera en chat neurasthénique ».

Marius Jauffret pourrait se contenter de montrer l'entreprise de déshumanisation dont il est l'objet. Faisant fi de tout égocentrisme ou nombrilisme, il fait la part belle aux autre internés qui vivent la même chose que lui. A telle enseigne qu'on se demande qui sont les plus fous des internés ou des psychiatres.

Le récit est donc assez largement à charge contre ce que subissent les internés et contre le principe même de l'internement à la demande d'un tiers, celui dont la simple signature fait entrer la personne concernée en HP mais qui, dès qu'elle est apposée, ne vaut plus rien et ne suffira même plus à l'en faire sortir. de l'aveu même de l'auteur, celui-ci a pris deux ans pour ne plus avoir peur de se faire réinterner de force, pour avoir l'impression de reprendre un tant soit peu la maîtrise de sa propre vie. Les effets secondaires de cet internement sont terrorisants. Et Dieu sait qu'il n'y sera pas resté lui-même si longtemps que cela si on considère que certains internés peuvent y passer plusieurs années…

En plus de tous ces aspects, fondateurs du récit de Marius Jauffret, il n'en reste pas moins que ce livre est servi par un vrai style, certes favorisé par la hargne qui y est, comme si l'auteur avait écrit avec son propre sang, pour procéder à une indispensable catharsis à partager avec le lecteur. le souffle que cela apporte au livre ne demande qu'à s'exprimer maintenant dans des oeuvres plus de fiction.

Lien : https://garoupe.wordpress.co..
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