INTRODUCTION par Robert Vinas
Le Moyen-Age catalan nous a légué (...), sous le titre générique des Quatre grandes Chroniques, quatre oeuvres fondamentales, considérées au-delà des Pyrénées comme les quatre piliers d'une littérature encore naissante, élaborées en un siècle, entre le troisième quart du XIIIe siècle et le troisième quart du XIVe : le Livre des Faits du roi Jaume 1er le Conquérant (avant 1276), les Chroniques de Bernart Desclot (1285-1290) et de Ramon Muntaner (1320-1325), et enfin la Chronique du roi Pere IV le Cérémonieux (vers 1350-vers 1385). Outre leur intérêt historique majeur, elles constituent un moment essentiel de l'évolution de la langue catalane.
De ces quatre monuments, le Livre des Faits du roi Jaume est le plus susceptible d'intéresser le public français, ne serait-ce que parce que son protagoniste est l'exact contemporain (et rival) de Louis IX, et qu'il a joué un rôle majeur dans l'histoire du Midi, souverain à Montpellier et à Perpignan autant qu'à Barcelone, Lleida et Saragosse, pendant un long règne couvrant les trois premiers quarts du XIIIe siècle. Mais c'est aussi le texte le plus original, dont le genre est le plus difficile à caractériser : son auteur, le roi Jaume lui-même, conduit son récit à la première personne, allant son chemin dans une langue archaïque fortement marquée par l'oralité, cauchemar du traducteur, mais avec un étonnant sens de la narration, de la mise en scène, de l'humour pince-sans-rire, entre naïveté et roublardise, toutes caractéristiques liées à la personnalité complexe d'un roi chevalier autant que fin politique, chrétien fervent mais pécheur invétéré, et surtout "illiteratus" terriblement doué...
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Quand nous retournâmes à la maison de ma mère, (...) elle fit faire douze chandelles , toutes de même poids et de même taille, et les fit allumer toutes en même temps ; à chacune d'elles elle donna le nom d'un apôtre, et elle promit à Notre Seigneur que celle qui durerait le plus longtemps me donnerait mon nom. Or celle qui dura le plus longtemps fut celle de saint Jaume : il en resta bien trois doigts de plus que les autres. C'est pour cela, et par la grâce de Dieu, que je porte le nom de Jaume.
Maintenant je vais raconter comment je fus engendré et comment se passa ma naissance ; et d'abord comment je fus engendré. Mon père le roi Pere ne voulait pas voir la reine ma mère. Or il advint qu'un jour le roi mon père se trouva à Lattes, et ma mère la reine à Mireval. Un grand baron, Guillem de Alcalá, alla prier le roi et le pria tant qu'il le fit venir à Mireval où se trouvait la reine ma mère. Et cette nuit-là où ils se trouvèrent tous deux à Mireval, Notre-Seigneur voulut que je fusse engendré. Quand la reine ma mère se sentit enceinte, elle se rendit à Montpellier. C'est ainsi que Notre Seigneur voulut que ma naissance eût lieu dans la maison des Tounemire, la veille de la fête de Sainte Marie de la Chandeleur.