Préface
Le jeune héros vietnamien que Corinne Javelaud suit aujourd'hui à la trace dans son beau récit initiatique, L'appel des rizières, appartient à ces êtres qui se questionnent sur le mystère de leurs origines inconnues sans même se demander ce qu'ils seraient devenus s'ils avaient grandi à l'orphelinat.
Certes, il s'agit de fiction mais on va le voir dans ce livre, l'histoire de Than, petit être en filigrane adopté dans un désir de maternité du dernier recours à l'âge de quelques mois, épouse les mythes. La famille qui le recueille, en lui cachant trop longtemps la vérité, lui interdit de recoller le berceau morcelé car, bien évidemment, Than ne conserve aucun souvenir de son arrivée dans ce nulle part (est-ce la France ? on l'imagine), pas plus qu'il ne sait quoi que ce soit de sa lointaine famille biologique.
Cette trop longue attente des explications va augmenter l'exigence qui, très vite, le hante: aller puiser à la source pour trouver la réponse. Démarche légitime, à 25 ans, bien qu'étranger aux nouveaux codes qui vont se présenter à lui, il part donc pour le Vietnam sans même imaginer qu'il ne puisse pas s'intégrer dans l'image et la culture de son vrai pays, allant jusqu'à préférer découvrir un sombre passé plutôt que de continuer son chemin dans l'ignorance.
Le jour où il détiendra la réponse devra-t-il repartir ? S'il restait, ne deviendrait-il pas étranger sur son propre sol ? C'est la question posée à la fin d'une intrigue psychologique remarquablement construite par cette jeune femme auteur dont nous connaissions déjà la sensibilité et la force des sentiments en même temps que le classicisme d'un style poétique et précieux.
Outre la qualité de l'ouvrage, d'autres dimensions toucheront le lecteur, sur la quête de soi d'abord mais aussi sur le rayonnement de la force et du pouvoir personnel ponctué de références à Lao-Tseu. Dès l'adolescence, Than a puisé dans les écrits du vieux sage légendaire du taoisme, contemporain de Confucius IV siècles avant J-C, une spiritualité où les dieux comptent moins que les maîtres à penser et bien loin de nos utopiques réalités occidentales.
Il est enfin une facette de l'auteur que le lecteur appréciera. Grande voyageuse, Corinne Javelaud connaît le Sud-Est Asiatique jusqu'à la moindre vapeur d'encens ou broderie de soie. Elle en apprécie les sculptures laquées et les divinités, sait en goûter les fruits du dragon, sait admirer les fleurs blanches du frangipanier autant que les sampans glissants sur les eaux saumâtres les nuits de pleine lune, bref, en un mot comme en cent, elle connaît le Vietnam jusqu'au plus profond de l'âme des anciens. Non seulement elle l'aime ce pays mais elle sait incomparablement nous le faire aimer. Ceux qui, comme moi, ont aussi connu les rizières indochinoises s'imprègnent une nouvelle fois, grâce à elle, de la mélancolique musique de leurs eaux dormantes.
Au point que je me demande si Corinne Javelaud ne serait pas une fille de la lumière comme une autre.
Bernard Gourbin
Président de l'Académie des Sciences,
Arts et Belles Lettres de Caen
RMJ EN APARTE : Corinne Javelaud pour "L'oubliée de la ferme des brumes" en 2016