C'est avec beaucoup de talent que JC Ameisen parvient à rendre accessible des notions parfois très complexes de biologie, comme avec ce remarquable bouquin consacré au « suicide cellulaire ». En des termes relativement simples, il nous fait découvrir que chaque cellule de notre corps est programmée pour disparaître, ce qui assure un renouvellement (qui nous fait le plus grand bien) de la majorité de nos cellules. La découverte de cette mort programmée comme composante fondamentale de la vie a bouleversé les conceptions que l'on avait de l'apparition de la vie, du développement de l'embryon, des maladies et du vieillissement. Par exemple, le développement d'un embryon n'a rien à voir avec une construction progressive et linéaire de chaque organe, cellule après cellule. C'est beaucoup plus chaotique que cela : les cellules prolifèrent, forment des amas de chair, et la plupart sont ensuite détruites. Les tissus, les organes, etc. sont donc usinés : c'est la sculpture du vivant.
Il est alors facile de comprendre ce qu'est la maladie du cancer : au niveau cellulaire, elle est due à un arrêt du processus de suicide cellulaire : les cellules touchées prolifèrent, mais ne se « suicident » plus.
Ce livre, décidément très réussi, accroît non seulement nos connaissances sur la nature, mais, en changeant radicalement notre vision classique d'opposition entre la vie et la mort, comme beaucoup d'autres frontières qui s'estompent, ouvre de nouvelles perspectives philosophiques à notre manière de concevoir le monde.
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un livre eblouissant mais qui exige toute l'attention de son lecteur sur l'apoptose qui fait grandir son lecteur. La reflexion philosophique la mort, le vivant ou le vieillissement n'est jamais bien loin.
a lire absolument pour ceux que la biologie interesse.
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« Mais la notion de programme en biologie est une notion ambiguë. Étymologiquement, le terme de programme signifie pré-écrit. Il suggère l'existence d'une prédétermination rigide et favorise implicitement une confusion entre la nature des informations contenues – pré-écrites – dans nos gènes et l'ensemble des interactions – des opérations – qui déterminent la manière dont nos cellules et notre corps consultent et utilisent ces informations. Ambiguïté que le biologiste et philosophe Henri Atlan a soulignée, à la fin des années 1970, de la manière suivante : « Il s'agit d'un programme qui a besoin [des produits] de sa lecture et de son exécution […] pour [pouvoir] être lu et exécuté. » Qu'en est-il de la mort cellulaire « programmée » ? Où, et de quelle manière, dans quel langage et sur quel support, est déterminée le destin des cellules qui composent le corps en train de se construire ? Comment, dans l'espace et le temps, durant les innombrables étapes du développement, c'est réglée la chorégraphie de la vie et de la mort qui sculpte l'embryon en devenir ? »
« Une cellule vivante est une cellule qui a réussi, jour après jour, à réprimer, pour un temps encore, son autodestruction. Une cellule qui soudain disparaît est une cellule qui, pour la première fois, a cessé de réprimer le déclenchement de son suicide. C'est une vision étrange de la vie que nous avons découverte. »
« Combien d'autres exécuteurs potentiels mystérieux qui sommeillent au cœur de nos cellules nous reste-t-il encore à découvrir ? Et quelle peut être leur nature ? Nous n'en savons rien. Mais il est probable qu'ils ressemblent à ceux qui participaient à la vie et à la mort de nos ancêtres les plus lointains et qui participent aujourd'hui à la vie et à la mort des bactéries, des levures et des autres organismes unicellulaires qui nous entourent. Il nous faut tenter de distinguer dans nos cellules les traces du passé, la présence des vestiges des autres, les strates successives qui se sont déposées au cours de notre longue histoire et nous ont peu à peu donné naissance. »
L'environnement extérieur est plus qu'un simple filtre — un simple goulet d'étranglement — à travers lequel sont sélectionnés ou éliminés les individus et les espèces. L'environnement extérieur peut exercer une influence directe sur la manière même dont les cellules et les corps utilisent leurs potentialités génétiques et donc sur les modalités de construction des embryons.
[page 406 de l'édition poche 2003]
La motivation la plus profonde de la recherche scientifique n'est pas l'exploration de l'inconnu: l'inconnu est trop vaste. Tout chercheur part à la découverte de ce qu'il a déjà entrevu, imaginé, de ce qu'il pense présent mais caché aux regards. D'où l'importance en science des hypothèses, des théories, des paradigmes, des constructions et des projections intellectuelles. La découverte est presque toujours une redécouverte. Même si souvent elle ne correspond pas à ce qu'on attendait.
Déchiffrer (3). Le déchiffrement du linéaire B. par Jean-Claude Ameisen. Émission “Sur les épaules de Darwin”, diffusée sur France Inter le 20 juin 2015. Photographie : Fresque minoenne au musée archéologique d'Héraklion, en Crète. « Seul, le divin Ulysse restait dans la grande salle à méditer la mort des prétendants. Mais déjà Pénélope, la plus sage des femmes, descendait de sa chambre, ayant pris avec elle deux de ses chambrières qui lui mirent, auprès du foyer, une chaise où la reine s’assit.
Et la reine lui dit : “Ce que je veux d’abord te demander, mon hôte, c’est ton nom et ton peuple, et ta ville et ta lignée. Car tu n’es pas sorti du chêne légendaire ou de quelque rocher.” Ulysse l’avisé lui fit cette réponse :
“Digne épouse d’Ulysse, au large, dans la mer vineuse, est une terre aussi belle que riche, isolée dans les flots. C’est la terre de Crète, aux hommes innombrables, aux 90 villes dont les langues se mêlent – côte à côte, on y voit des Achéens, des Kydoniens, de vaillants Etéocrétois, des Doriens tripartites et des Pélasges divins. Parmi elles, Cnossos, grande ville de ce roi Minos, que le grand Zeus, toutes les 9 années, prenait pour confident.
Minos est mon aïeul. Son fils, Deucalion au grand cœur, m’engendra. Et, pour frère, j’avais le roi Idoménée qui, sur ses navires, suivit, en direction de Troie, les deux frères Atrides [Agamemnon et Ménélas].
Moi, qu’on appelle Aithon, j’étais le plus jeune.
C’est chez nous que je vis Ulysse. Il s’en allait à Troie, quand il reçut mon hospitalité. Car la rage des vents, au détour de Malée, l’avait jeté en Crète et, mouillant dans les ports dangereux d’Amnissos, sous l’antre d’Ilithye, il n’avait qu’à grand peine échappé aux rafales. […]”
À tant de menteries, comme il savait, Ulysse, donner l’apparence du vrai !
Pénélope écoutait. Et ses larmes de couler, et son visage de fondre.
Vous avez vu l’Euros, à la fonte des neiges, fondre sur les grands monts, et la fonte gonfler les rivière. Ainsi ses belles joues paraissaient fondre en larmes.
Elle pleurait l’époux qu’elle avait auprès d’elle ! »
Homère. “L’Odyssée”, Chant 19.
Les références :
“Is it because i'm black ?” par Tiken Jah Fakoly (Barclay)
“Le déchiffrement du Linéaire B. Aux origines de la langue grecque” écrit par John Chadwick (Editions Gallimard)
“The Party's Over” par Dakota Staton (Le Chant Du Monde)
“Histoire des codes secrets” écrit par Simon Singh (Le Livre de poche)
“The codebrakers” écrit par David Kahn (Simon & Schuster)
“Iliade-Odyssée” écrit par Homère (Gallimard / La Pléiade)
“Juste une chanson” par Dominique Pinto alias Dom La Nena (Universal)
L'équipe :
Jean-Claude Ameisen : Producteur
Christophe Imbert : Réalisateur
Jean-Baptiste Audibert : Programmateur musical
Christophe Mager : Attaché de production
Source : France Inter
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