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Critique de Kirzy


Michel Jean nous offre à hauteur de femme l'histoire de son extraordinaire arrière-grand-mère, Almanda Siméon. Elle se tient au bord du lac Pekuakami ( lac Saint-Jean au Québec. Elle est au crépuscule de sa vie et se raconte.
« Venir me réfugier au lac, comme ce matin, m'apaise, car il me rappelle qui nous avons été et qui nous sommes toujours. le vent de l'est porte les parfums du Péribonka. Tant que cela existe dans mon coeur, cela vit encore. »

Et son coeur est immense, empli de souvenirs qu'elle déroule dans un « je » omniprésent qui enveloppe le lecteur dans une narration à la fois assurée et sereine, comme suspendue au temps qui passe. Née en 1882, orpheline d'une famille de migrants irlandais fuyant la famine, elle est élevée au Québec par un couple de fermiers avant de voir son destin chamboulé à 15 ans par la rencontre avec un Indien innu, Thomas, qu'elle épouse.

Michel Jean choisit un tempo adagio pour peindre de façon très immersive le mode de vie innu qu'Almanda va adopter autour du lac Pekuakami : nomadisme et chasse aux Passes-Dangereuses le long de la rivière Péribonka, vie en forêts, vente des peaux aux Blancs. On est saisi par la capacité d'accueil des Innus qui font d'Almanda une des leurs, la guide et l'entoure avec tendresse. On est touché par l'histoire d'amour fusionnelle entre Almanda et son mari, au point de briser un tabou en accompagnant, malgré la tradition innu, Thomas lors des expéditions lointaines de grande chasse. Emu par la soif de liberté de ce peuple autochtone.

A mesure qu'elles s'ancraient dans le récit, la douceur et la bienveillance qui irradient ce roman m'ont d'abord décontenancée, habituée à trouver dans la littérature abordant le sort des Amérindiens des Etats-Unis ou du Canada multiples violences, âpre dénonciation et profonde colère. Et pourtant, jamais Kukum ne sombre dans une niaiserie romantique sur le mode de vie amérindien. Surtout, jamais Kukum n'occulte les déchirements qu'a connus la communauté amérindienne au Québec et plus largement au Canada.

Lorsque Michel Jean choisit, au bon moment, dans le dernier tiers, d'évoquer le traumatisme intergénérationnel des Innus, il le fait avec subtilité et sans aigreur, toujours par la voix puissante d'Almanda, afin de laisser au lecteur toute sa place pour comprendre et compatir. le grand chamboulement du mode de vie autochtone commence avec la destruction du cadre de vie par déforestation, l'exploitation des arbres, la drave sur le Péribonka. Puis vient la sédentarisation forcée dans la réserve de Mashteuiasch. Et enfin les enfants arrachés à leur famille, enfermés dans des pensionnats pour les « blanchir » et les éduquer, faisant écho aux récentes découvertes de tombes anonymes d'enfants indiens qui secoue le Canada ( on estime à près de 150.000 enfants le nombre d'enfants envoyés de force dans les 139 pensionnats recensés de 1831 à 1997 ).

Ce roman respire la sincérité. Sa simplicité pleine de sensibilité et sa sobriété empreinte de dignité ont lentement infusé en moi jusqu'à me bouleverser, sans bruit, dans les dernières pages … quelques mots d'amour d'Almanda à Thomas, une photographie, l'émotion de l'auteur qui clôt son roman en prenant lui la parole, cette fois.

Je découvre la maison d'édition Dépaysage avec ce roman et suis totalement charmée par l'objet proposé, superbe illustration de couverture, haute qualité du papier, mise en page aérée fort agréable.
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