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EAN : 9782072974014
576 pages
Gallimard (07/04/2022)
4.1/5   77 notes
Résumé :
« À certaines heures de la nuit, sous les draps pas lavés depuis des semaines, Cyrille se demandait s'il avait mis toutes les chances de son côté. Il écrivait des poèmes, lisait toutes sortes de romans, d'essais, de correspondances ; il avait, sans trop galérer, trouvé un emploi qui, à défaut d'être passionnant, libérait son esprit sitôt qu'il s'évadait du bureau ; il vivait à Paris (ou presque) ; ses études l'avaient nanti d'une syntaxe et d'un vocabulaire irréproc... >Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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Quand je serai grand, je serai poète.
Esthète, mon grand, ce n'est pas un métier.
A défaut, Cyrille Bertrand, la vingtaine rêveuse et indécise, après des études supérieures (à quoi ?), trime dans les rayons désenchantés d'un Carrefour Market puis au service contentieux chez Salons&Cuisines. Les vers sont dans le fruit.
Son amitié pour un grand bourgeois ambitieux, Ambroise d'Héricourt, lui fait effleurer les cimes de la haute société et du luxe sans lui permettre d'y planter son piolet. le garçon est à la fois attiré par les chimères du modernisme et déchiré par son désir d'écrire de la poésie. Il ne veut pas être un poète maudit, mais un poète riche, plus Valery Larbaud que Rimbaud. Un désuet bling bling.
Par piston et compromission, « notre héros », comme l'appelle l'auteur par hommage à Stendhal, va faire son trou dans le milieu culturel en participant à la création d'un musée de la littérature française, appât à controverses, puis dans la production d'une série TV netflixée, bien loin de ses poésies. La vie devient matériellement confortable, Cyrille goûte au succès, mais son âme étouffe. L'existence est salissante. L'arrivisme qui ne mène à rien.
Dure est la vie des personnages des romans d'apprentissage qui se frottent au monde et se confrontent au déterminisme social. Coups de coeur pour des femmes prises et éprises d'un autre, coups de massue sur la réputation, coups de coude pour se faire une petite place au paradis des lettres, coups tordus au boulot, cou…rage pour ne pas perdre toutes ses illusions. C'est le métier qui rentre.
Ils devraient fonder un mouvement, les Julien Sorel, Pip, Lucien de Rubempré, Candide et consorts et se plaindre contre tous ses auteurs qui douchent l'idéal et savonnent l'ambition dans le dos.
Patrice Jean respecte les codes du genre mais comme dans son précédent roman, l'homme surnuméraire, le récit est l'occasion de fissurer les miroirs flatteurs de l'époque. Carglass répare, Patrice Jean brise la glace. Son oeuvre reprend le flambeau de celle de Philippe Muray par la voie romanesque. Il ne porte pas l'universalisme dans son coeur, les cultureux qui cultivent la bien-pensance lui donnent des boutons à vouloir aseptiser le monde, à juger l'histoire ou à la réécrire pour la rendre présentable. Ses personnages se mettent au diapason au rayon pessimisme. Un vieil universitaire, Trézénik, qui coordonne la création du musée joue dans l'histoire le rôle de l'oracle aigri et du vieux pas très sage. L'auteur lui oppose habilement un intellectuel télégénique qui surfe sur les vagues en vogue de la repentance et de la moraline. le fameux « mutin de Panurge » de Muray. Les autres protagonistes, plus ancrés dans le quotidien, permettent de ne pas sombrer dans un simple débat d'idées. L'histoire vit, nous transporte à Naples et dans toutes les couches de la société.
En ces temps où le moindre pas de côté devient une polémique, j'ai apprécié ce récit à contre- courant, courageux et résistant qui ne s'interdit pas grand-chose tout en conservant une vraie verve romanesque. Ce qui m'a séduit également, ce sont les ambigüités des personnages qui permettent d'éviter à l'histoire de tomber dans le pamphlet. Certes, la lecture est lente, les tergiversations du héros parfois agaçantes et ses passions amoureuses parfois ennuyeuses, mais le style est vif, les aphorismes pullulent et tout le monde en prend pour son matricule.
La nostalgie des poètes disparus.
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Cyrille Bertrand vient de terminer une licence de lettres complétée par un diplôme en gestion. Il se rêve poète et s'identifie surtout à Valery Larbaud, bien qu'il regrette de ne pas avoir, contrairement à cet auteur, de fortune personnelle. Peut-être son amitié avec Ambroise d'Héricourt, issu d'une famille très aisée et pleine d'entregent, va-t-elle pouvoir l'aider à accomplir ses rêves ? Pour l'instant, après une période de chômage, il n'a réussi qu'à dégoter un poste peu glorieux d'employé au contentieux de Salons&Cuisines. ● C'est un roman riche et plein d'intérêt. L'ironie est constante et se manifeste par exemple dans la délectation que prend l'auteur à nommer Cyrille « notre héros », à la manière De Stendhal dans le Rouge et le Noir. La critique sociale est fort bien menée et a pour cible principale la décadence de l'Occident en général et de la France en particulier sous les coups de butoir du capitalisme américain. ● Les folies de la postmodernité sont particulièrement bien mises en évidence, par exemple grâce à ce musée de la littérature française, accusé de fascisme parce qu'il n'a pas pour objet les autres littératures du monde. ● La façon dont fonctionne le panurgisme bien-pensant est magistralement montrée, avec au sommet de la pyramide quelques grands pseudo-penseurs qui entraînent derrière eux en les manipulant les foules abruties par les réseaux sociaux, la télé, l'air du temps et même – horresco referens – l'école. ● C'est aussi un roman d'apprentissage et l'on voit le « héros » ballotté dans sa vie, presque toujours impuissant à lui donner le cours qu'il souhaite, jouet de forces qui le dépassent ou de personnages qui l'influencent. Son angoisse est de savoir quoi faire de sa vie, et de parvenir à le faire. Souvent revient sa hantise de n'être qu'un « figurant », qu'un membre anonyme de la fourmilière humaine. Réussir sa vie, au sens que l'on donne habituellement à cette expression, ne permet pas selon Cyrille de se distinguer du lot. L'idéal de création qu'il poursuit, selon le titre du roman, se heurte sans cesse et tragiquement aux dures réalités du monde. ● le style est classique, parfois même un peu précieux, osant par exemple utiliser l'imparfait du subjonctif. C'est pourquoi l'on comprend mal que l'auteur confonde, comme la plupart des gens maintenant, les verbes « se colleter » et « se coltiner » (page 303), et ne sache pas manier la particule de noblesse. ● Autre réserve : les multiples longueurs de l'ouvrage ; l'auteur aurait pu dire la même chose avec cent ou deux cents pages de moins. ● En tout cas Patrice Jean est incontestablement un auteur à suivre et ce roman à recommander vivement.
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"La poursuite de l'idéal" est le nouveau roman de Patrice Jean. Il tranche sur les précédents par sa taille et l'ampleur du récit, puisque les dix années de formation du héros sont racontées en 480 pages : l'auteur ne nous avait pas habitués à cela et n'hésite pas à ennuyer son lecteur. La forme narrative est belle et très classique : récit à la troisième personne, mettant en présence un narrateur souvent ironique et détaché, dont la lucidité contraste avec les illusions où le héros jeune homme s'empêtre et se débat. On n'insistera jamais assez sur les vertus du récit de formation où le narrateur sans illusions remet la jeunesse à sa place. La production contemporaine s'enlise dans des textes à la première personne, qui empêchent toute prise de distance et toute analyse des actions et des sentiments des personnages. Victime des préjugés et illusions lyriques des narrateurs, le lecteur est empêché de réfléchir. Dans "La poursuite de l'idéal", les idées, sentiments, réflexions et rêves du personnage sont comme cités entre d'ironiques guillemets, mis à distance et présentés comme une série d'illusions et de mensonges. La référence à Stendhal est omniprésente, puisque le romancier appelle le personnage "notre héros", comme Fabrice del Dongo dans La Chartreuse de Parme.

L'une des qualités de ce roman réside d'ailleurs dans la citation : Patrice Jean n'émaille pas son texte de citations d'auteurs, mais s'amuse à faire s'entrechoquer dans son récit et dans la conscience de Cyrille, son héros, des discours contemporains tout faits, clichés et stéréotypes, qui le font agir et parler. Cyrille, jeune homme en quête d'idéal, n'agit presque jamais, ne sent presque jamais, de façon spontanée et personnelle : il lui faut la médiation de la littérature et de ses grandes figures, dont l'imitation guide sa vie, sa sensibilité et ses amours. Plus loin dans le roman, ce sont de grands ensembles de clichés politiques (parfois cités de façon drolatique) qui font agir les gens : les clichés woke et les mantras progressistes conduisent à un lynchage médiatique et au saccage d'un musée. Les discours ouvriéristes, néo-conservateurs tout faits font apparaître la comédie sociale comme un combat de clichés les uns contre les autres, derrière lesquels les volontés de puissance et de domination s'exercent à visage peu masqué. Patrice Jean décrit un monde sonore et langagier, le nôtre, celui du babil incessant des puissants et de leurs valets médiatiques et culturels. Au-dessus de cette arène, au-delà du dégoût qu'elle inspire, le narrateur dégagé, non engagé, décrit l'affrontement des discours et des clichés, et n'a même pas besoin de se moquer d'eux pour en faire sentir le ridicule. Il lui suffit de les citer.

Cyrille, ce héros inauthentique, incapable de sentir et de penser par lui-même, cherche la sortie de cet enfer, quand son besoin amoureux ne le perd pas sur des sentiers de traverse. D'ailleurs le récit de ses amours, du temps perdu à les poursuivre, au lieu d'écrire et de travailler, est assommant, mais nécessaire. Cyrille voudrait être poète, un vrai poète, pas l'ersatz de créatif littéraire que la société progressiste du spectacle lui propose. Cet idéal naïf de jeune homme se heurte au réel, bien sûr, mais s'affirme et s'obstine quand même, malgré le temps qui passe, les amours, l'enfant qui naît, les servitudes de la réussite sociale. Ici Patrice Jean, s'il est fidèle à la tradition classique du roman de désenchantement, ne va pas jusqu'à imaginer la défaite de son héros, ni le deuil de ses grandes espérances. Au contraire, Cyrille tente de réaliser le voeu de sa jeunesse, et de trahir la société pour écrire. Philippe Muray, qui ne citait jamais ses sources, aimait répéter cette définition de la littérature trouvée dans le journal de Kafka : "Ecrire, c'est faire un bond hors du rang des meurtriers."
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Attention, chef d'oeuvre ! Dès que je suis enthousiaste, je prodigue un peu trop ce qualificatif .
Mais enfin d'est e que j'ai lu de plus fort depuis « le rapas annuel de la confrérie des fossoyeurs » de Mathias Enard ; si certains d'entre vous ont lu le billet que j'ai consacré à ce livre, ils savent tout le bien que j'en pense ;

Certains critiques ont comparé Jean à Houellebecq ; ce n'est pas faux ; le même désespoir tranquille, le même abattement devant ce qui reste de notre civilisation ; mais ils l'expriment dans un mode différent. Pour Patrice jean, la situation est désesprée, mais ce n'est peut-être pas si grave.

On a aussi comparé « la poursuite de l'idéal » à « l'éducation sentimentale ». Là, je ne suis pas d'accord ; certes, dans l'un comme dans l'autre, un jeune homme est confronté aux aléas de la vie, mais ce n'est pas le même jeune homme : Cyrille est beaucoup plus intelligent que frédéric, qui est, avouons-le, un imbécile ; cen'est pas la même époque : Fabrice se confronte à des évènements réels tels que la révolution de 48, Cyrille traverse les guerres pichrocolines de l'intelligentia ; ce n'est pas le même contexte : Frédéric est cerné par des crapules, l'abominable Mme Arnoult la première, qui ne songent qu'à l'exploiter ; les gens que cotoient Cyrille sont généralement bienveillants, à quelques exceptions près.
J'aurais plutôt fait de « la poursuite de l'idéal » un roman picaresque, j'avais pensé à Candide, mais l'analogie n'est pas bonne.
Bref, c'est un livre original.

Le sujet ? Un « simple jeune homme » (ce qui n'est pas la même chose qu'un jeune homme simple) comme le Hans Castorp de « la montagne magique » essaie de se faire une place dans notre société. Il a fait de bonnes études littéraires, mais qui ne le préparent à rien. Tel Lucien de Rubempré, il rêve de journalisme, de poésie. Heureusement son bon génie, son ami Ambroise d'Héricourt, veille sur lui et le repêche régulièrement ; il commence par de petits boulots, puis son entourage lui permet d'accéder à un poste au Ministère de la culture, où il participe à la création d'un « musée de la littérature française » sous l'égide du dernier intellectuel français, Jean Trézenik, qui deviendra son mentor. Mais il est chassé de partout par la montée de la Secte, du politiquement correct, du Woke, de la Cancel Culture, l'irrésistible marée de la stupidité, et par sa némésis personnelle, le monstrueux sociologue Pierre Beauséjour, pape de la nouvelle intelligentsia, sorte de Bourdieu mâtiné de Lacan, agressif et méchant comme un Geffroy de Lagasnerie. Cyrille a eu le malheur de l'indisposer alors qu'il l'interviewait pour le compte d'un webmagasine catholique traditionnaliste, lui qui n'est même pas croyant mais a suivi là une fille dont il est amoureux, alors qu'elle n'est même pas son type e se donnera à un autre.
Mais en attendant il a offensé le maître par une question même pas mal intentionnée, et sa vindicte le poursuivra partout. Même aux Affaires Culturelles, protégé par le statut de la fonction publique, il se heurtera à la Secte : quelle outrecuidance qu'un musée de la littérature française ! Quel outrage aux littératures non-européennes, noires, musulmanes, féministes, LGBT !
Le musée est détruit par de nouveaux vandales.
Opportunément le bon Ambroise avait trouvé à Cyrille un emploi dans une société U&J, spécialisée dans la conception de de séries télévisées que Cyrille hésitait à l'accepter ; la destruction du musée le pousse dans les bras de la culture télévisuelle ; et là, il le sent bien ! Il brille dans son travail, tout le monde l'aime, et il gagne enfin de l'argent.
Mais finalement...Je ne suis pas sûr d'aimer la fin, mais je ne vais pas vous la divulgacher. (excellent mot québécois pour remplacer spoiler)

Il y a quelque chose de paradoxal dans l'odyssée de Cyrille : il est un défenseur acharné de la culture classique.
Mais il est rejeté par la secte, les tenants de la culture nouvelle (si l'on peut dire)
Et les seuls gens honnêtes sont les gens que la culture n'a pas atteint ; la culture classique ne les intéresse pas, ceux qui veulent la déconstruire encore moins.
Brave Beaudouin, commercial obsédé sexuel qui prend Cyrille en amitié !
Brave Sylvain, diplômé d'une école de commerce, moine-soldat de la vente des cuisines et des canapés !
Sublime Michel Pageot, syndicaliste CGT, dernier paladin de la classe ouvrière, qui échoue lamentablement dans ses luttes !
Honnêtes créatifs de la société U&J !

Mais finalement, ces gens-là et leurs semblables, cela fait beaucoup de monde. Beaucoup de monde qui n'a rien à faire du politiquement correct. Beaucoup de monde qu'on ne trainerait pas manifester contre un musée de la littérature française.
Evidemment c'est à dessein que Patrice Jean forcele trait et exagère la capacité de nuisance de la secte, qui, pour le moment, ne pourrait guère mobiliser en dehors des départements de « sciences » humaines des universités ; pour le moment.

Selon l'interprétation d'Anthony Burgess, George Orwell a écrit « 1984 » pour exorciser le futur qu'il décrivait. Il a réussi.
Souhaitons bonne chance à Patrice Jean.

PS. J'ai connu ce livre (et par raccroc les autres ouvrages de l'auteur) par une critique favorable de Télérama ; ils n'ont pas dû trop bien le lire
PPS. Nonobstant, je suis un fidèle abonné de Télérama
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J'avais aimé L'homme surnuméraire, précédent roman de l'auteur, qui faisait circuler le lecteur dans une société contemporaine dépeinte avec une acuité corrosive. Je retrouve dans La poursuite de l'idéal le talent de satiriste de Patrice Jean, qui décide tout de même ici de forcer le trait jusqu'à la caricature.

Dans ce roman d'apprentissage, écrit dans une forme très dix-neuvièmiste flirtant avec le pastiche De Stendhal, on suit donc les débuts dans la vie d'adulte de Cyrille Bertrand, vingt ans au début du livre et trente à la fin, qui a l'outrecuidance de vouloir devenir poète dans notre monde dominé par l'homo festivus. le personnage va errer entre le déclassement et l'ascension sociale, alourdi d'une mélancolie enracinée dans sa poursuite de l'idéal, autrement dit d'une forme d'absolu, autrement dit de la poésie, la vraie, la grande.

L'anti-modernité est à la fois le thème principal de ce roman et sa modalité, puisque l'écriture fait tout pour restituer les senteurs du dix-neuvième chéri (on suppose) de Patrice Jean - qui préfère la peinture de moeurs à la tension dramatique, les dialogues didactiques à l'oralité réaliste, le superflu descriptif à l'efficacité scénaristique. Cette anti-modernité représente, à mon sens, la force du roman autant que sa limite : je ne peux que saluer cette tentative de description du contemporain par une langue obéissant à une polarité inverse (la foule de romans qui se mettent gentiment dans le sens du vent m'ennuient au plus haut point, de même que la dénonciation du racisme par des bourgeoises blanches, de même que la sacro-sainte ouverture sur l'autre professée par les centaines d'écrivains sans inspiration qui hantent les couloirs du CNL, etc), mais je ne suis qu'à moitié convaincu par la réussite de l'entreprise. le style, tout d'abord, ne m'a pas beaucoup plu, bien plus proche d'un Stendhal (dont je n'ai jamais réussi à lire un roman en entier, je le confesse) que d'un Flaubert. Je veux dire par là qu'il est sans musique, plein de lourdeurs descriptives, jonché d'imparfait du subjonctif qui colle aux dents comme des Quality Street d'une autre époque. Patrice Jean refuse toute construction scénaristique, et tombe à plat quand il tente des effets dramaturgiques (le chapitre qui introduit Jean Trézenik sans qu'on sache pourquoi, précédant d'une bonne centaine de pages l'arrivée dudit Trézenik dans l'histoire). Tout est, me semble-t-il, très mal dosé, jusqu'à certains détails descriptifs qui font l'objet de parenthèses ou de notes de bas de page complètement inutiles, imposant un supplément d'ironie qui devient gênant comme une blague trop appuyée. L'auteur, dirait-on, a l'air tellement persuadé de la bêtise de ses contemporains qu'il présume que ses propres lecteurs ne sont pas non plus des flèches.

Il y aurait à dire également sur son fond réactionnaire, plus net que dans le précédent livre, et dont la thèse finit par se réduire à un "c'était probablement mieux avant" assez impuissant. J'ai été gêné par la misogynie qui jalonne le livre et qui aurait mérité, à mon sens, d'être mise en scène en tant que telle ; là, on a seulement des personnages féminins évalués selon leur tour de poitrine et leur capacité à comprendre les aspirations supra-humaines de Cyrille le poète maudit.

Le traitement de l'idéal imaginé par "notre héros" est lui aussi franchement incomplet : au-delà des dizaines de mentions de Valéry Larbaud, Nerval et consorts, on ne connaîtra rien d'autre de sa passion poétique que la capacité d'icelle à persuader Cyrille qu'il est le dépositaire d'une sensibilité unique, supérieure, alors même que la majeure partie du roman le montre comme un bloc d'orgueil et de concupiscence. Bien sûr, c'est vrai, les aléas de la vie éroderont ses certitudes en même temps que sa vanité, et la fin, tout de même, nous fait comprendre que si Cyrille arrive enfin à s'extirper des scories de la vie culturelle parisienne, c'est parce qu'il se retire pour savoir enfin ce que c'est que d'écrire VRAIMENT.

Bref, un avis positif avec quelques réserves. le livre souffre aussi de la comparaison qui s'impose avec le voyant d'Etampes d'Abel Quentin, largement meilleur sur tous les plans (notamment sur sa compréhension des lignes de force qui structurent la pensée d'aujourd'hui, et sur sa manière de rendre justice, tout de même, aux théories auxquelles il s'oppose). J'ai appris que Patrice Jean avait écrit ces cinq cent pages en un an, ce qui explique sûrement leurs multiples défauts ; j'aurais été curieux de lire le même livre si l'auteur avait pris le temps d'une longue relecture.
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critiques presse (1)
LeFigaro
28 janvier 2021
Un roman d'apprentissage où le héros tente de se frayer un chemin dans une époque incertaine.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (70) Voir plus Ajouter une citation
Une vie réussie, ce serait donc le plaisir de bronzer, à côté d’une piscine bleu turquoise, en slip de bain ? Ce serait de passer à la télévision ? D’être reconnu dans la rue ? Quelle timidité ! Vous n’avez pas écrit les Mémoires d’outre-tombe et vous pensez avoir réussi votre vie ? Vous ne laisserez pas même un sonnet digne de traverser les siècles ? Ni une sonate ? Vous n’êtes pas mort pour sauver des innocents ? Vous n’avez jamais médité, dans un cloître, à l’existence ou l’inexistence de Dieu, et vous prétendez à la gloire ? Jamais le frisson du Rien n’a couru sur votre peau ? Le plébiscite de l’humanité irréfléchie et ingrate vous suffit, vous contente, vous réjouit ?
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La violence symbolique est une violence mille fois préférable à la violence réelle, et je préfère les délinquants en col blanc, comme disent les imbéciles, aux vrais délinquants ; des premiers on n’a rien à craindre : qu’un élu ne déclare pas une partie de sa fortune ne m’a jamais empêché de dormir, mais qu’une petite frappe casse la gueule à un innocent pour un regard de travers ou qu’une bande de porcs violent une céfran sur le matelas d’une cave, à Clichy-sous-Bois, là, oui, c’est de la violence, et pas symbolique. Ceux qui mettent dans le même panier la violence réelle et la violence symbolique ne sont qu’une bande de petits peigne-culs qui, jamais, n’ont pris une mandale dans la gueule de la part d’un voyou ! Et qui la mériteraient… »
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De tous les arts, la littérature est le plus solitaire : si un compositeur, un peintre, un cinéaste travaillent quelquefois seuls, dans un atelier, une chambre, un bureau, le résultat, lui, exige un public, quand la lecture, elle, réclame la solitude et le silence, d’un bout à l’autre de la création. D’une conscience à une autre. On donne le change avec des réunions de lecteurs, mais ils ne s’assemblent pas pour lire un roman, tandis que les spectateurs écoutent, en groupe, un pianiste, regardent, dans une salle publique, un tableau, un film : « Une foule n’a jamais applaudi un roman, en finissant sa lecture. » La littérature est un acte asocial, c’est pourquoi tous les festivals du livre, toutes les lectures en librairie, tout ce qui attroupe trahit son essentielle introversion.
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Il n'avait que vingt-trois ans, il lisait plus de livres que de journaux et n'avait pas l'âme crasseuse d'un militant ; il appartenait à cette espèce en voie de disparition : l'homme pour qui existe autre chose que la politique.*

*Note du narrateur : le choix d'une position politique, en plus des raisons idéologiques et/ou morales, obéit à trois motifs : a) se retrouver bien au chaud dans un groupe ; b) cracher à la gueule de l'autre groupe ; c) se croire supérieur.

p. 152
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Trézenik, à Crozon, l'avait mis en garde contre l'exécration dont il serait l'objet. Le vent soufflait sur uen lande arasée, l'océan lançait ses vagues à l'assaut des plages et des falaises, le ciel noir, tourmenté, se reflétait dans le tumulte marin, les deux hommes cheminaient sur les sentes terreuses, et Trézenik déclamait de prophétiques paroles, prétendait que l'on cracherait sur les ambitions de Cyrille, que l'on s'en moquerait, qu'on les ridiculiserait, mais que dans l'hostilité unanime il trouverait la force de fourbir ses armes, d'aiguiser ses dagues poétiques. "Plus on vous méprisera, avait-il-dit, plus la lame s'affûtera. Regardez cette terre bretonne, la tempête et le froid l'ont protégée de déchoir dans l'indignité des stations balnéaires...Ses palges de galets, inaccessibles, rejettent les touristes...Eh bien, considérez le sarcasme universel comme un bienfait , il vous détournera des trop faciles accomodements, l'air vif vous saisira, le dédain vous stimulera...
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