Mon dernier rêve sera pour vous/
Jean d'Ormesson
Amours multiples et tumultueuses…
Chateaubriand se souvient…Vieilli, il flâne dans les rues du Paris de sa jeunesse et les souvenirs l'assaillent… « Ce qu'il y a de merveilleux dans le passé, c'est qu'on en sait déjà l'avenir. »
La rencontre en Angleterre avec Charlotte Ives permet à
François René de Chateaubriand, jeune aristocrate né en 1768, disciple de J.
J. Rousseau, précurseur du romantisme, émigré suite à la révolution française, (« en France un homme est toujours suspect »), de revivre les heures du château de Combourg, réminiscences de Lucile sa soeur bien aimée, tandis que le père erre nuitamment dans les couloirs du château jusqu'au coucher. Son réel talent de conteur charme la belle et solitaire Charlotte.
Jean d'Ormesson reprend là les beaux passages des
Mémoires d'Outre-Tombe concernant cette adolescence brimée sévèrement par ce père étrange et hautain. A la suite et tout au long de ce livre, une grande revue historique allant de la Révolution à l'orée de la seconde république se mêle aux amours tumultueuses de
René.
Il faut rappeler que les
Mémoires d'Outre Tombe de
F.R. de
Chateaubriand représente un somptueux monument édifié à la mémoire de sa soeur Lucile, son aînée, sa camarade d'enfance, sa compagne d'adolescence à qui il vouait une passion sans limite et réciproquement. le style de Jean d'Ormesson fait merveille dans l'évocation de cet amour « interdit ».
Cette aventure anglaise restera pour
René un des plus grands malentendus de sa vie.
Revenu en France, la rencontre avec Pauline de Beaumont à l'heure du Consulat est toute autre : « Une petite société se constituait autour des amants : la gloire,
l'amour, l'esprit, en étaient les ciments. »
Mais le destin met
Delphine de Custine sur la route de
René qui va devenir la rivale de Pauline.
Jean d'Ormesson est sans concession vis à vis de
René et le portrait psychologique qu'il en dresse durant l'épisode « Pauline » n'est guère reluisant. Egoïste, orgueilleux, vaniteux, indifférent, versatile,
René veut être aimé, admiré, et choyé. Sous la plume de J. D'O. il ne nous paraît pas très sympathique quoique ni mesquin ni paresseux, mais cependant menteur et souvent odieux. Il sait allier le charme, le génie et la générosité à « un égoïsme farouche et une duplicité indéfiniment renouvelée. »
La duchesse de
Duras va entrer dans la vie de
René avec patience et obstination, angélisme et résignation :
René ne l'aime pas, mais veut bien en faire son ordinaire. Dans le même temps Natalie de Noailles use de son charme irrésistible envers
René et honore sa réputation de mangeuse d'hommes : « Je suis bien malheureuse. Aussitôt que j'en aime un, il s'en trouve un autre qui me plaît davantage. »
On l'aura compris : l'emploi du temps de
René est chargé : « Dès le retour de Rome et l'établissement de l'Empire, quatre femmes presque à la fois se mettent à l'occuper tout entier : l'une était sa soeur entrain de mourir, les deux autres ses maîtresses, la dernière sa propre épouse, Céleste, qu'il s'agissait de fuir,… Céleste qui avait surtout le tort d'aimer avec passion son insupportable et irrésistible mari. »
Deux femmes vont entrer de façons très différentes dans la vie de
René l'Enchanteur :
Madame de Staël, fille de Necker, courtisée de toutes parts, et son amie
Juliette Récamier et ses bacchanales, fille naturelle de son propre mari ( !), femme à la beauté éblouissante et brillante en société. Dès lors « la douceur de
René n'allait plus guère s'exercer qu'à l'égard de Juliette. Et c'est vers le septième ciel de la passion coupable qu'il allait s'envoler. »
Il est étrange de noter combien les moeurs de l'époque étaient plus libres que de nos jours. Après la Terreur va s'ouvrir une période un peu folle sous le Directoire, le Consulat, l'Empire et la Restauration. Toutes ces belles femmes voyaient dans les grands de ce monde, princes, politiques et artistes de toutes les nations des amants interchangeables, Bernadotte, Metternich, Wellington, Mathieu de Montmorency,
Benjamin Constant, Canova, Auguste de Prusse, David, Talma, etc… et bien sûr
François René de Chateaubriand. Comme dit
D Ormesson, c'était un « carrousel des coeurs » .
Juliette Récamier, entremetteuse et confidente, avec une habileté diabolique va tisser les intrigues politiques et amoureuses et se trouver au centre de toutes les combines gouvernementales et des idylles. Egérie du légitimisme et en héritière de Madame de Staël protectrice des libéraux, elle reçoit beaucoup et l'on peut croiser dans ses salons outre les politiques toute la société intellectuelle de Paris : Hugo, Lamartine,
Mérimée…etc. D'Ormesson écrit : « Autour de
Madame Récamier, tous les coeurs battaient. »
Promu Ministre des Affaires Étrangères de Louis XVIII,
Chateaubriand va vivre une passion dévorante pour l'ardente, sensuelle et belle
Cordelia de Castellane, fille de banquier, passion qui va éclipser du même coup Juliette, Céleste et
Claire de Duras.
Dans le même temps, une certaine Fortunée Hamelin fréquente assidument le bureau du ministre.
Et puis après une aventure avec la belle Hortense Allard alors qu'il est ambassadeur à Rome, ce seront les retrouvailles passionnées entre Juliette et
René. Ils vont aller de fêtes en fêtes dans cette ville tant aimée.
René écrit amoureusement à Juliette mais reçoit toujours Hortense. Viennent alors s'intercaler la marquise de Vichet et surtout la jeune
Léontine de Villeneuve avec qui il échange une correspondance enflammée, « furieusement romantique et pleine d'exaltation. » L'Occitanienne sera cette « fleur charmante qu'il ne voulut point cueillir » mais qui lui inspirera des lignes d'un romantisme échevelé dans la Confession Délirante .
Le beau style de Jean d'O. se met au service des aventures multiples de
René : « Sa rêverie , ce jour là, était nourrie par le spectacle d'une foule de jeunes femmes ravissantes. Leur beauté l'enivrait. Maudissant son automne et son monceau d'années, il regardait rouler sous ses yeux au son de la musique répandue par les orchestres, ces flots de fleurs, de plumes, de diamants et de grâce. »
L'âge venant,
René retrouva Juliette : « Ainsi Juliette finit-elle par occuper tout l'immense espace sentimental qui s'étend, chez
René, entre la vie et les songes…Il ne lui avait donné ni son nom, ni sa vie, ni un enfant, mais un amour pour l'éternité. »
Un récit magnifique et émouvant. 560 pages de rêve.
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