Christine Jeanney, en «
une heure dans un supermarché», observe des silhouettes, leur donne un nom, leur donne une vie, et chacun s'en va avec ce nom dans sa vie. Décrit par ses gestes, par de petites notes sur les pensées qui le traversent, en petites touches, avec telle acuité que brièvement nous sommes près d'eux, presque eux.
Et ils se rencontrent, se connaissant ou non, et leurs vies interfèrent. Et ils ont leurs blessures, leurs souffrances. Et ils n'ont rien de vraiment extraordinaire. Même ceux qui sont à côté de l'habituel de la vie, le sont avec discrétion. Et leurs peines ou leurs plaisirs, le souci qu'ils ont de leurs enfants, ou parents, ou aimés, sont profonds et tus. Et jamais, il n'y a de violence affichée.
Une petite société qui prend vie, s'efface, que l'on reconnaît de loin au détour d'une autre nouvelle.
Chacun est introduit par une brève description qui sert de titre, d'introduction :
«au rayon Bricolage, un jeune homme grand et maigre, en veste» (et c'est un employé de banque, qui ne peut plus dormir, qui attend son ami, certain que celui-ci n'aura pas avoué à ses parents leur couple, qui est si nerveux qu'il est à deux doigts de renverser ce vieil homme, André Huot, le sculpteur que nous venons de quitter, le laissant à ses souvenirs, et puis les dernières lignes de ses quelques pages au jeune homme «Au fait tu sais, pour nous deux, je leur ai dit hier») -
Il y a une jeune veuve (mais après ce soir, habituel, avec sa tendresse, sa tristesse et sa fille, «elle met la table et se traverse de peine», Christine lui offre une rencontre, plus tard) - de vieux couples aux liens plus ou moins usés, les petites incompréhensions et puis le souci de l'autre, la tendresse - le père d'un petit garçon autiste, avec son amour et sa crainte d'être maladroit (et il est le facteur que tous connaissent de vue et parce qu'il est serviable) - une jeune fille qui aime un homme qui n'arrête pas d'être marié - un jeune ménage bigarré joyeux et généreux qui attend un bébé - une adolescente aux parents si présents - un chat qui circule entre appartements - un homme qui finit par rompre sa solitude et appeler son ex-femme pour dire cette maladie qui l'a investi, etc...(ils sont dix-neuf, et plus à cause des leurs, mais le chat n'en fait pas partie, il n'est que circulation) et Christine qui les voit, les fait vivre, leur donne ses mots, souplement, au plus près, et des sourires.
Et je suis désolée, je n'ai pas su.
Juste ça : elle est une fée qui peut les charger de soucis, de peines grandes, mais qui leur offre toujours une issue.