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Erika Abrams (Traducteur)
EAN : 9782882502438
208 pages
Noir sur blanc (06/01/2011)
3.79/5   7 notes
Résumé :
« Oui, ma poétique est une poétique de policier ; je recueille des faits : je n’écris pas un livre, je rends témoignage. » Depuis sa chambre au baraquement communautaire de Litvinov, dont la porte s’ouvre seule, et claque, à toute heure du jour et de la nuit, le narrateur évoque – en instantanés – l’immédiat après-guerre, l’enthousiasme des premiers mois du socialisme tchèque, puis la fureur hallucinée du stalinisme, sa bêtise, et l’avilissement de tous par la peur,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
« Oui, ma poétique est une poétique de policier ;
je recueille des faits : je n'écris pas un livre, je rends témoignage. Et je dis que c'est vrai, que c'est bien ainsi que cela s'est passé, je le dis maintenant, ici, où notre vie est au milieu de son chemin, frissonnant dans la fraîcheur du même vent de minuit qui sifflait aux oreilles de Dante, lorsqu'il se retrouva seul au sein de l'obscurité et du brouillard. »

C'est depuis sa chambre d'un baraquement communautaire de Litvinov -dont la porte s'ouvre seule et claque à toute heure du jour et de la nuit- que le narrateur évoque la vie quotidienne du quartier d'une ville minière entre 1948 et 1956 dans la Tchécoslovaquie stalinienne.
« Les baraques sont ce qu'il reste des camps de concentration allemands ».
Dans cet espace de relégation dans la Bohème du Nord, que les communistes tchèques veulent se réapproprier, le passé ne disparaît pas, il est simplement enseveli, comme le rappellent les ossements humains que les bulldozers déterrent lorsque de nouveaux chantiers sont lancés…

L'auteur, Josef Jedlička (1927-1990), a étudié l'esthétique et l'ethnographie à l'Université de Prague, mais en 1948, avec l'arrivée des communistes au pouvoir, il a été expulsé de cette université pour être anti-communiste, ce qui lui a valu de devoir exercer diverses professions, telles qu'ouvrier, éducateur, assistant de télé, enseignant, etc.
Il lui était interdit de publier quoi que ce soit, mais il écrivait secrètement des romans et des nouvelles qu'il lisait dans le cercle de ses amis proches, dont Bohumil Hrabal, Jan Zábrana, et d'autres écrivains interdits à l'époque.

Josef Jedlička a réellement vécu dans cette ville minière de Litvinov de 1953 à 1968.
Ce livre est donc truffé de témoignages assez autobiographiques.
En 1966, il a été autorisé à publier son roman « Au milieu du chemin de notre vie », mais son livre a alors été censuré, en raison de sa vision critique de la société socialiste. Heureusement, après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie, il a été publié intégralement en 1994.

Le récit à la fois sombre et comique.
Il y a l'immédiat après-guerre où il décrit l'enthousiasme des premiers mois du socialisme tchèque, qu'il tourne en dérision, puis la fureur hallucinée du stalinisme, sa bêtise, et l'avilissement de tous par la peur, et son quotidien dans les années 50 avec l'amélioration matérielle des conditions de vie : « La révolution, quant à elle, a voilé son sein nu, elle engraisse et passe des soirées entières devant la télé. »
Entre utopie et désespoir, l'image présentée dans ce livre de la période stalinienne en Tchécoslovaquie est d'une force poétique impressionnante.
Josef Jedlička nous livre une réflexion sur la condition humaine, le sens de la vie, la fuite du temps et les espérances trahies.
Des réflexions méditatives et spéculatives alternent et se chevauchent, avec des récits fragmentaires, comme des instantanés de sa propre vie et des tranches de vie des gens autour de lui, généralement rendues comme des conversations entendues. Les passages narratifs varient dans la chronologie de mai 1945 au début des années 1950, avec des sauts sporadiques dans le temps alors que les personnages s'occupent de « construire une nouvelle société ».

Jedlička, en nous rapportant ses expériences vécues, trace en quelques traits d'inoubliables portraits, comme l'endormisseur professionnel qui échoue chaque nuit à endormir l'avocat insomniaque, les ouvriers, les amoureux, les gosses du quartier, etc.
Josef Jedlička inscrit dans son livre une dimension mémorielle et une critique des orientations politiques de son époque.

« Au milieu du chemin de notre vie » est un roman antihéroïque, où l'écriture saisit par sa jeunesse, sa sincérité et son audace.
Le texte est poignant, baroque, poétique, lyrique, humoristique aussi.
Ce livre qui fourmille de situations et de personnages de l'Histoire et de la Culture tchèques, se conclut en fin d'ouvrage, par une trentaine de pages de notes du traducteur qui nous apportent des compléments d'informations pour une meilleure compréhension des bouleversements évoqués.
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De la promesse optimiste du rationalisme communiste au morne désespoir de l'idéalisme perdu, Au milieu du chemin de notre vie emprunte un mouvement de flux et de reflux entre ces deux extrêmes qui ont marqué la Tchécoslovaquie d'après-guerre. Il n'y a pas de légèreté, ni de sentiment exacerbé…simplement un romantisme plaintif où se mêlent nostalgie et désenchantement.

Avec une ligne narrative décousue qui refuse toute chronologie et évacue toute vision harmonieuse de la réalité, ce récit original rassemble des petits riens, des instants de vie qui composent la gravité du quotidien d'une ville minière de la Bohème du Nord de 1948 à 1956. Il s'agit de Litvinov, ville dans laquelle l'auteur Josef Jedlička, étudiant « décadent » pour le parti, se trouve contraint d'exercer mille petits boulots.
C'est un tableau désenchanté de la société d'alors dans une ville industrielle où les anciens camps d'internement ont été réhabilités en logements collectifs, où le béton gris et les vapeurs d'acide sulfhydrique des usines évoquent la rudesse, la désillusion, les aspirations à la consommation face au dénuement et aux promesses trahies « des lendemains qui chantent ».
C'est également le récit des angoisses voilées dans un Etat policier et contraignant, qui a perverti l'enthousiasme d'après-guerre et ne tolère aucune opposition ouverte. Pas de colère, ni de révolte donc mais une écriture élégiaque qui exprime tout aussi bien la subjectivité de l'auteur que l'amertume d'une population, la laideur du quotidien face aux rêves perdus.
Confronté à une structure littéraire complexe, le plaisir de la lecture n'est pas évident mais la richesse documentaire suscite une réelle curiosité.
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"Au milieu du chemin de notre vie" reprend les premiers mots de la divine comédie, mis en exergue,

"Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvais dans une forêt obscure, car j'avais perdu la droite voie.
Ah ! qu'il est dur de dire ce qu'elle était, cette forêt sauvage, âpre et rude, dont le souvenir renouvelle ma peur !
Elle est si amère que la mort ne l'est guère plus ; mais pour traiter du bien que j'y trouvais, je parlerai des autres choses que j' y ai découvertes."

Le sens du titre et de cet exergue nous sont donnés, certes un peu mystérieusement, dès les premiers mots du récit :

"COMMENCER ET FINIR est une chose possible n'importe où car nous n'avons pas fait un pacte avec la victoire mais avec la lutte."

En 1953, Josef Jedlicka a 26 ans. Il n'est donc pas tout à fait au milieu de sa vie, puisqu'il va mourir en 1990. Peut-être avait-il malgré tout ce sentiment, qui lui permettait de regarder en arrière – sa vie d'étudiant, de jeune époux-jeune père, et les trois années passées à Litvinov, "vestige des profondes forêts qui, il y a vingt ans encore, s'avançaient loin dans l'intérieur du pays. Il y aurait eu même du gros gibier, des sangliers qui fougeaient dans les feuilles tombées au pied des hêtres, des biches qui filaient de nuit à travers les zébrures claires des tranchées."

Un temps abri des fuyards au moment de l'annexion allemande, la forêt disparaît pour laisser place à un grand complexe d'usine qui fut aussi le cimetière des STO qui le construisirent, tout en détruisant la forêt. Après la guerre, entre les ruines et les cratères des bombes, une cité ouvrière fut bâtie à la hâte par les jeunesses communistes. Des pavillons identiques, où jardinier pour soi était mal vu (collectivisme oblige) une Maison collective inspirée de le Corbusier, qui se dégrade et se casse aussi vite qu'une barre dans le 93…

Et c'est dans ce lieu sinistre, coincé dans le béton et la boue que Josef Jedlicka, exclu de l'université à 22 ans pour avoir critiqué le parti et qui, depuis, a fait mille métiers, part pour un exil d'une durée indéterminée, pour des raisons qui restent floues dans le récit, sinon que l'on comprend qu'il est politiquement suspect et séparé, au moins au début, de sa femme et de son jeune fils. C'est donc un récit plus ou moins autobiographique et le narrateur est un double proche de l'écrivain, un récitant fictif, qui s'adresse à la femme aimée, à l'enfant, comme aux êtres d'un passé perdu sans espoir de retour.

À partir de cette fracture – avant, après – où commence le livre, une série de courts épisodes, scènes, souvenirs s'enfilent, comme on égrène un chapelet, sans ordre chronologique, le temps de la jeunesse étudiante se mêlant aux souvenirs d'ateliers, avec aussi le passé, le présent et ce qu'il advient de Litvinov sur une ou deux générations : des noms, des histoires surgissent, disparaissent, que l'on retrouve plus loin ou pas. La polyphonie peut évoquer Manhattan Tranfer mais à ceci près que le roman de Dos Passos évoquait plutôt une trame tissée de plusieurs histoires entrecroisées mais qui suivait une ligne narrative. Litvanov est plutôt un patchwork décousu, sans souci de continuité linéaire ou bien, comme l'auteur le dit lui-même, un recueil "encyclopédique" sans autre intention que de montrer :

"J'écris une encyclopédie, je rends témoignage, en me cachant du regard fureteur du policier, sous les yeux du monde entier, à l'étage de ce pavillon branlant qu'ouvrent toutes les clefs. Il y a pourtant beau temps qu'il n'est plus question d'expliquer le monde, tout ce qui compte en ce moment, c'est le destin."

Autre parenté avec ce qui ressort d'une liste, ou d'un dictionnaire, le fait que chaque récit commence en majuscules, le livre n'étant pas ainsi découpé en chapitres, mais aligne une suite d' "entrées" comme celles d'un dictionnaire. Voilà pour la forme.

Quant au fond, il est tout à fait à l'image de cette ville ouvrière passée au rouleau compresseur de l'uniformité communiste : tout a la couleur de la boue, de la brique ou du béton. Et petit à petit Litvinov se relève de la guerre, les ouvriers économisent pour des machines à laver, des téléviseurs, suivent des cours de littérature tchèque pour devenir contremaître et pour un jour, achetant une Spartak, déclarer à la nuit et au monde : "Maintenant, nous avons tout !"

Le livre commencé par le milieu ne se termine pas par la fin même si l'on devine que le séjour à Litvinov s'achève, mais "LE RÉCIT SE POURSUIT, car "il n'y a pas d'autre issue".

"La vie est au milieu de son chemin et le récit se poursuit. Adieu !
Commencer et finir est une chose possible n'importe où, mais tout ce qui compte encore, c'est le chemin, d'ici là."

Et de fait, arrivé au terme du récit, on se dit que l'on pourrait en commencer ou en recommencer la lecture dans n'importe quel ordre ou désordre, par les dernières pages ou le milieu, ou aléatoirement, car à moins d'être totalement averti de la vie de Jedlicka et de la vie quotidienne sous la Tchécoslovaquie communiste, le lecteur est condamné à passer de fragments en fragments, avec des noms ou des allusions mystérieuses à l'actualité d'alors.

Il est dommage que l'édition ait choisi d'adopter le même flou dans l'appareil critique, qui se résume aux notes explicatives du traducteurs et à quelques extraits de correspondance. Aucune biographie de Jedlicka n'est fournie, et les circonstances dans lesquelles ce récit a été écrit ne nous sont guère données que par la quatrième de couverture, ce qui est succinct. Une présentation un peu plus soignée de ce livre n'aurait pas nui à l'appréciation du récit.
Lien : http://sohrawardi.blogspot.c..
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Josef Jedlika (1927 – 1990), exclu de l'Université en 49 pour avoir critiqué la cité idéale et libératrice des peuples (“La solidarité de la classe ouvrière ? Pauvre petit ! ”) établie par le Parti Communiste Tchèque avec sa vision démocratique habituelle en 1958, écrit de 1954 à 1957 un témoignage de sa vie à Litvinov. Après le toilettage de la censure des bienpensants, le succès fut au rendez-vous de sa première édition à Prague en 1966. le poète cultivé et autodidacte quitta son pays lors de l'entrée libératrice et militaire des forces de Paix socialistes et démocratiques soviétiques à Prague en 1968.

Habitués que nous sommes au story telling, la forme élégiaque de cette oeuvre n'est pas d'un abord facile et pourtant, si le lecteur s'oublie, s'il lit à haute voix la très belle traduction de Erika Abrams alors l'univers de ce poète s'ouvrira à son intelligence. Grâce à une postface, qui à elle seule vaut le détour, Erika Abrams donne au lecteur français les clefs de la poésie élégiaque illuminant Litvinov à 60 ans et 1 000 km de notre contemporanéité.

Le titre de l'oeuvre est inspirée du poème éponyme de Dante Alighieri écrit durant son exil à l'âge de 35 ans entre 1304 et 1321 : “Au milieu du chemin de notre vie/ Je me retrouvai dans une forêt obscure/ Car la voie droite était perdue”.

Témoignage de la vie à cent kilomètres de Prague à Litvinov. Ville paysanne sous le joug allemand devenue une cité industrielle sous Staline où les ouvriers prirent leurs quartiers dans le camp d'internement allemand qui a vu tant de d'hommes détruits ; l'évolution d'un régime politique, de la vie quotidienne, de la consommation, des grandes et petits espoirs.

Ce cri de liberté des peuples enchaînés aura mis 60 ans pour faire les 1 000 kilomètres le séparant des lecteurs francophones. le petit monde littéraire français y aura perdu son honneur. Chapeau bas aux Editions Noir sur Blanc et que chacun s'attache à faire connaître Josef Jedlika.

Lien : http://quidhodieagisti.kazeo..
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«Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvais dans une forêt obscure, car j'avais perdu la droite voie.
Ah ! qu'il est dur de dire ce qu'elle était, cette forêt sauvage, âpre et rude, dont le souvenir renouvelle ma peur !
Elle est si amère que la mort ne l'est guère plus ; mais pour traiter du bien que j'y trouvais, je parlerai des autres choses que j' y ai découvertes. » disait Dante dans sa divine comédie, repris comme titre par l'auteur.

Le titre intrigue, questionne quant au sens à lui donner. Commencer, finir, chose impossible selon l'auteur dont la plume et le style glissent merveilleusement sur le papier. Cette peur constante de la mort qui nous guette; le passage où Jedlicka prouve cette peur est très beau : Zola est bien mort, la plume à la main, pourquoi pas lui ? Pourquoi pas nous ?
Son livre est composé de plusieurs passages, reliés ou non entre eux, ce qui rend la lecture rapide, à mon goût. Ces fragments rassemblés, ces bouts d'histoires forment un récit, un témoignage concret de la petite et de la grande histoire. La vie quotidienne d'anonymes comme la date de la mort de Staline y sont notées, à la même échelle, car ce sont ces anonymes qui constituent L Histoire.
Jedlicka témoigne donc, du haut d'un baraquement communautaire de Litvinov. Témoignage mais également autobiographie puisqu'on dénote de la présence de sa femme et de son fils, apostrophés régulièrement tout au long du récit, ainsi que de leur séparation, floue.

Pour être plus précise quant au style de l'auteur, je l'ai trouvé agréable, relevant des phrases qui valent la peine d'être notées, citées. Je ne saurais décrire le style de Jedlicka mais il a ce quelque chose en plus qui a fait que je n'ai pas décroché du récit. J'aurais pu peut-être m'ennuyer de ces fragments de vie mais son style, son écriture, ses phrases m'ont poussé à lire et à découvrir, surtout. Je regrette néanmoins la trop forte présence du lyrisme. Ilots d'érudition, l'auteur nous en apprend beaucoup sur son temps et sa vie.

Je parlais de fragments de vie, de scènes d'anonymes aussi divers et variés que possible : du médecin blasé au mode de vie d'untel, ce sont des épisodes traitant de la vie de chacun qui rend ce témoignage plus riche et plus intéressant qu'un cours d'histoire, et surtout plus vrai, puisqu'il traite de personnes qui nous atteignent et nous touchent beaucoup plus.
Description d'une époque, du changement des modes de vie, Au milieu du chemin de notre vie est un récit empli de rêves et de désillusions, du douloureux retour à la réalité par l'odeur de l'acide sulfhydrique, motif récurrent dans la vie de Jedlicka et des personnages cités.

En somme, Jedlicka nous livre un témoignage poignant d'une époque vécue, vraie et touchante d'un temps qui nous semble éloigné, mais qui ne l'est pas tant que ça, comble d'espoir et de rêve, mais aussi de peur, mêlant étroitement la petite et la grande Histoire de la Tchécoslovaquie.
Lien : http://bibliovore.skyrock.co..
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Vint enfin le jour où la Maison collective se remplit d’habitants. Désormais du linge sèche aux balcons des appartements, des enfants jouent au ballon et à l’espion dans les couloirs et les odeurs de toutes les cuisines ventilées sur le palier se marient dans un parfum de bien-être. Certains équipements se sont pourtant révélés inutilisables, et la nouvelle époque, apportant de nouveaux besoins que les concepteurs, admirateurs du Corbusier, n’avaient pu prévoir, a imposé quelques adaptations.
Si l’on a très vite cessé d’utiliser le réfrigérateur commun en constatant qu’il s’y commettait des vols, si les casiers destinés à recevoir les distributions de nourriture servent plutôt à ranger de vieilles chaussures, en revanche on a aménagé un poste de police à la place de la bibliothèque projetée.
La salle de conférences accueille à l’occasion des spectacles de magie, ou encore des médecins y répondent aux questions d’une poignée de femmes sur le retour qui ont peur du cancer.
En général, les vieux n’y font pas long feu. C’est le cœur qui lâche, quand les ascenseurs tombent en panne et qu’il faut se taper neuf ou onze étages à pied. Dès le premier printemps, un vieil ingénieur est mort sur le palier de repos entre le quatrième et le cinquième, et son épouse n’a pas tardé à le suivre, victime elle aussi d’un infarctus accueilli comme un acte fatal de justice de classe : les vieux époux occupaient une surface excessive pour un couple sans enfants. Il n’y a pas non plus tous les jours l’eau courante. C’est la vie. Les gens prennent des cruches et des brocs et vont s’approvisionner en forêt, à une source dont le niveau, hélas, ne cesse de baisser. Au début, il y avait toutes sortes de problèmes -mais on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Parfois c’était le chauffage qui manquait à l’appel, et les travailleurs et travailleuses transis n’avaient d’autre choix, en fin de poste, que de se mettre incontinent au lit.
Le samedi seulement, après la paye, chacun pouvait se soûler de rhum dans son coin. C’est ainsi qu’il naissait des enfants. La relève.
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On m’a déjà mesuré et pesé, ausculté, nu, sur toutes les coutures, on a déjà sondé tous les replis de mon corps et de mon âme, décrit mes signes particuliers, évalué les dioptries de mes yeux myopes, compté mes cheveux, comme aussi mes livres, relevé objectivement et exactement et sous le bon angle les empreintes de tes ongles d’opale sur mon épaule, ma douce, on m’a déjà prédit la mélopée syncopée des lavandières sur l’autre rive et fait l’inventaire de toutes mes hérésies et de toutes mes folies, on a établi statistiquement mon besoin d’air, de nuages, de fumée automnal, de liberté et d’eau potable, et toi, mon agneau, mon petit Jakub, des imbéciles au cerveau d’inspecteur primaire t’ont porté en compte parmi les os de mes os et inscrit au chapitre de la croissance démographique.
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“Oui, ma poétique est une poétique de policier ; je recueille des faits ; je n’écris pas un livre, je rends témoignage. Je dis que c’est vrai, que c’est bien ainsi que cela s’est passé, je le dis maintenant, ici, où notre vie est au milieu de son chemin, frissonnant dans la fraicheur du même vent de minuit qui sifflait aux oreilles de Dante, lorsqu’il se retrouva seul au sein de l’obscurité et du brouillard.”
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Moi aussi j’ai pris l’habitude de montrer constamment une figure joviale et souriante, même en pleine nuit, car on n’est jamais à l’abri du coup de projecteur d’une torche électrique.
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“Mais qui aujourd’hui sera juge ? A qui la faute si nous nous renions tous les uns les autres, de qui le mauvais sort qui nous fait, attablés devant une bière, lire comme des sourds, sur les lèvres l’un de l’autre, les mots perdus de fraternité et de solidarité ?”
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