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Yasmin Hoffmann (Traducteur)Maryvonne Litaize (Traducteur)Nicole Bary (Préfacier, etc.)
EAN : 9782020555340
273 pages
Seuil (20/06/2002)
3.6/5   61 notes
Résumé :
Die Ausgesperrten, 1981.

A Vienne, dans les années cinquante, quatre adolescents s'associent pour dévaliser et frapper des passants. Rainer, le plus brillant, le cerveau de la bande, ira jusqu'à assassiner toute sa famille.
inspiré par un fait divers qui épouvanta l'Autriche, ce roman dénonce une société qui, pressée d'oublier son passé et refusant d'exorciser ses démons, condamne ses enfants à reproduire la monstruosité de leurs pères.
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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Un vrai choc. Ce livre est profondément dérangeant. Dérangeant par l'histoire de violence gratuite qu'il raconte. Dérangeant par son style haché, dur et étrange. Dérangeant par ses personnages qui déraillent et basculent dans la folie et la fureur. Dérangeant par certaines scènes de sexe très glauques. Dérangeant par sa vision sombre de la famille, de l'amour ou de l'amitié. Dérangeant par toute la haine qu'il véhicule.

D'autant plus dérangeant qu'il s'inspire d'un fait divers réel et que Rainer a vraiment existé et commis de tels actes...

Je ne peux donc pas dire que je l'ai aimé. Disons plutôt qu'il m'a déstabilisée et laissé un vrai sentiment de malaise. Pourtant, je suis contente de l'avoir lu. Pourquoi ? Parce qu'il représente la face sombre de la vie et est en ce sens très intéressant. Et parce qu'il m'a fait découvrir une auteure à la voix singulière, complètement dénuée d'optimisme, mais certainement pas de talent. J'ai même cherché des infos sur Elfriede Jelinek après cette lecture, ce qui est rare chez moi, et découvert sans surprise une personnalité torturée, en conflit avec le monde entier et à la source de nombreuses polémiques. Une auteure qui a décroché le Prix Nobel mais ne fait pas l'unanimité dans le monde littéraire. Qui a écrit notamment La Pianiste, dont a été tiré un film qui m'avait paru tout aussi dérangeant, et que j'ai ajouté à mon Pense-bête parce que j'ai envie de renouveler le 'Choc Jelinek' un jour et de mieux comprendre cet univers obscur et effrayant.

Merci à Gwen/Challenge Nobel pour la découverte de cet Objet Littéraire Non Identifié qui ne m'a pas laissée indifférente.
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Die Augesperrten
Traduction : Yasmin Hoffmann et M. Litaize
Présentation : Nicole Bary

Je suppose qu'Elfriede Jelinek n'apprécierait pas ce que je vais écrire mais elle est, avec Céline et, dans un autre registre, James Joyce, l'un des rares écrivains dont le style et/ou l'univers m'ont porté, dès la première lecture, un coup que je ne pense pas pouvoir oublier. Il faut dire que le premier ouvrage de l'auteur autrichien que j'ai lu était "La Pianiste", l'un des romans les plus terribles à lire, à mon avis, pour celles et ceux qui ont eu une mère abusive - et plus particulièrement pour les femmes puisque, que nous le voulions ou non, nous partageons avec notre mère haïe/adorée une féminité qui nous enchante et/ou nous répugne.

"Les Exclus" est, précisons-le tout de suite, moins éprouvant pour les nerfs - ouf ! Attention : l'histoire n'en est pas pour autant plus gaie ! Chez Jelinek en effet, la Haine règne en maîtresse sur un univers tordu où se meuvent des personnages soit d'une médiocrité honteuse, soit d'une méchanceté et d'une mesquinerie absolues. Chez Jelinek, souvenez-vous-en bien, l'espoir n'existe pas.

Née en 1946 dans un milieu familial qu'elle qualifiera un jour de "démoniaque", l'Autrichienne n'a survécu que par la Haine et par l'Ecriture. Impitoyable, elle dénonce, sans se lasser et avec une rage jouissive, les faux-semblants de son pays natal et de la société où elle a vu le jour. Evoque-t-on la dénazification rapide de l'Autriche ? Elle explique avec jubilation que cette rapidité est normale pour un pays traditionnellement catholique : après tout, les catholiques, c'est bien connu, se confessent chaque vendredi pour communier le dimanche et n'en retournent qu'avec plus d'ardeur à leurs péchés rituels et hebdomadaires.

Tape-t-on sur l'Allemagne nazie ? Elle rappelle avec un malin plaisir que, toutes proportions gardées, il y a eu plus de vrais Nazis en Autriche qu'en Allemagne : normal, le dénommé Hitler était bien autrichien, non ? ...

S'opposant avec violence au régimes totalitaires de type fasciste et national-socialiste et se positionnant, en principe, à gauche, voire à l'extrême-gauche, Jelinek porte par ailleurs en elle un si grand désir de clamer haut et fort sa souffrance d'appartenir à un peuple qui donna naissance à l'un des plus terribles dictateurs du XXème siècle qu'il lui devient impossible de fermer les yeux sur la sottise et l'étroitesse d'esprit des classes sociales converties au communisme et, partant, susceptibles, elles aussi - elles l'ont d'ailleurs prouvé - de permettre à un dictateur "de gauche" d'arriver lui aussi au pouvoir.

Et, comme si ça ne suffisait pas, Jelinek claironne partout qu'elle ne supporte pas Mozart. Elle le juge sirupeux, mièvre ... si terriblement, si autrichiennement autrichien, en somme.

Forte de toutes ces haines, la romancière base "Les Exclus" sur un fait divers qui en contient au moins les principales : haine de la famille d'abord, haine de la société ensuite, haine du corps et de la sexualité et, pour terminer, haine de soi. En 1965, un adolescent qui s'apprêtait à passer son bac massacre les membres de sa famille : le père, la mère et sa soeur. Comme ça, sans grandes explications. L'Autriche entière est sous le choc.

Jelinek reprend l'idée centrale et la replace en 1959. Mais elle va s'attacher à personnaliser les quatre adolescents qui mènent ce bal de mort et de nihilisme : Rainer, l'"intellectuel", le "chef", pour qui la violence est une fin et qui cite Sartre et Camus à tire-larigot ; sa soeur jumelle, Anna, personnage par qui Jelinek s'introduit dans le récit, personnage très intelligent, lui aussi, mais qui se détruit totalement de l'intérieur en sacrifiant notamment à l'anorexie ; Sophie, leur seule camarade au lycée, une Sophie "von", issue d'un milieu très favorisé et qui, à la fin du roman, envoie ni plus ni moins bouler le frère et la soeur, provoquant la crise finale ; et enfin Hans, un jeune ouvrier, fils d'ouvriers, esprit plutôt primaire mais avide d'arriver, qui cognerait sur n'importe qui pourvu que Sophie le veuille.

Rainer et Hans sont tous deux amoureux de Sophie. D'abord fascinée par les beaux discours de Rainer, Sophie finira par comprendre qu'il s'agit là de mots, et rien que de mots et se tournera vers Hans, qu'elle est sûre et certaine de pouvoir dominer. Si jeune qu'elle soit, Sophie est un parfait prototype de garce qui ne s'est donné que le mal de naître avec une cuillère d'argent dans la bouche.

Renvoyant dos à dos deux idéologies qui s'opposent bien qu'elles puissent aboutir au même résultat sur le plan de la répression des masses, Jelinek a fait de Rainer le fils d'un ancien SS obsédé sexuel et unijambiste et, de Hans, celui d'un communiste déporté et mort à Malthausen. Certains diront que ce n'est vraiment pas sympa, d'autres savoureront en connaisseurs.

Anti-héros principal, Rainer est évidemment le personnage le plus intéressant. On retrouve en lui - dans le contexte, par la faute de son père, qui prend des photos pornographiques de sa mère et les lui montre - la peur du corps et de la sexualité, ce sujet cher à l'auteur de "La Pianiste". Si Anna l'exprime par une anorexie galopante qui la fait maigrir au fil des pages, Rainer, en qualité de membre du sexe mâle, n'a d'autre solution que d'intellectualiser à mort - la Mort, une fois encore - son propre désir pour Sophie.

Ce personnage étrange, toujours vêtu de noir et les cheveux gras en bataille, qui comprend de travers les théories de Sartre aussi bien que celles de Camus, qui se vante auprès des autres élèves d'avoir un père qui roule en Porsche, qui proclame que la violence pour la violence doit seule finir par dominer le monde, est celui qui interpelle le plus le lecteur. Non pas tant, curieusement, par l'horreur de son crime mais parce qu'on approuve toute la haine qu'il porte à son père, parce qu'on comprend la profondeur de son refus de s'identifier à cette brute dont la cervelle ne dépasse pas le bas-ventre et aussi parce que, à un certain moment, il songe vraiment à sauver sa mère des griffes du monstre.

Evidemment, nous sommes dans un livre de Jelinek : alors, on ne va pas s'apitoyer sur un meurtrier qui préfigure d'ailleurs, par son rejet des structures sociétales, les terroristes de la Bande à Baader et autres jeunes exaltés en rupture de tout. N'empêche que l'auteur elle-même déclare en toutes lettres qu'Anna est en train de perdre la raison tandis que son frère court le même danger.

Tordus, Rainer et Anna ? Oui. Complètement. Mais tordus par qui ? Comment ? Pourquoi ? Derrière les deux jeunes gens en noir, c'est toute la bien-pensance autrichienne, le respect des convenances et aussi les intérêts d'une société qui détourne la tête devant tous ceux qui ne veulent pas (ou ne peuvent pas, par exemple pour des raisons financières) rentrer dans ses rangs et qui les abandonne à un sort misérable, que Jelinek montre du doigt. Face à Sophie la Bien-Née et à Hans l'Arriviste, Rainer et Anna sont bien des exclus. Mais ils ne se sont pas exclus de leur propre chef et s'ils finissent par le prétendre, c'est par fierté et en espérant ainsi apaiser la souffrance qu'ils en ressentent. Ce n'est pas une excuse mais ça explique bien des choses. ;o)
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Je viens de finir la fameuse trilogie des jumeaux (Le Grand Cahier, 1986 ; La Preuve, 1988 et le Troisième mensonge, 1991) d'Agota Kristov et je retrouve en Elfriede Jelinek cette même puissance d'écriture. Ce roman, Les Exclus, a été écrit en 1981. Décidément, les années 80 verront se lâcher quelques écrivains dont le style et la diatribe seront un signe d'engagement.

Dans Les Exclus, la romancière s'inspire d'un fait divers qui fit frémir d'horreur l'Autriche : une bande de jeunes délinquants semaient la terreur dans les années cinquante. Oui, et alors ? allez-vous me dire, ce ne sera pas la première fois. Seulement voilà : le chef de la bande ira jusqu'à commettre l'irréparable sur sa propre famille en assassinant ses parents et sa soeur. Jelinek met alors en relief ce qui a amené ce garçon, Rainer, a en arriver là. Livré à lui-même, avec une mère complètement soumise, un père, mutilé de guerre, ancien SS, obnubilé par le sexe et sa dérive, Rainer tente de ne pas reproduire ce comportement et se réfugie dans la littérature et la poésie. Amoureux de Sophie, il souffrira de ses propres sentiments envers cette dernière. D'autant plus qu'elle ira avec un gros lourdaud, Hans, et se livrera plus d'une fois à la débauche. Anna, sa soeur, en fera autant, avec le même garçon, ce qui exaspérera Rainer. le contexte n'est pas tendre. Nous sommes dans un pays qui tente d'oublier son passé. Comment ne pas en arriver alors à de telles dérives ?

Bien plus qu'un roman, ce texte permet de s'interroger sur la société, la haine et la violence. le style volontairement froid et sec percute le lecteur. Sous une apparente simplicité, il met en scène la complexité de la perversité humaine ainsi que ses causes.

Si vous avez aimé Agota Kristov, nul doute que vous apprécierez Elfriede Jelinek.
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Un mal de vivre qui pousse au crime, un portrait bien noir d'une jeunesse autrichienne de la fin des années cinquante.

À Vienne, des adolescents de milieu divers : une fille riche, un jeune ouvrier dont le père est mort dans les camps et des jumeaux dont le père était un gradé nazi.

C'est aussi un carré amoureux, les deux garçons aiment la même fille qui n'aime personne et la jumelle aime l'ouvrier sans que ce soit réciproque.

Il y a ceux qui ont tout et ceux qui n'ont rien, ceux qui font semblant, des vies étriquées et un beau chandail de cachemire qu'on ne pourrait se payer.

Et si on agressait quelqu'un pour se distraire de l'ennui et de la médiocrité qui nous entoure?

Un roman dur, qui n'est pas un petit divertissement, mais une tension psychologique lourde avec une écriture parfois difficile aussi, par une auteure qui a reçu le prix Nobel de littérature 2004.
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Les exclus est inspiré d'un fait divers sanglant qui a beaucoup frappé l'opinion publique en 1965. Si vous ne voulez rien savoir, ne lisez pas la 4e de couverture qui raconte l'essentiel... (quelle manie!). le roman ne révèle ce fait divers qu'à la fin et décrit les relations entre 4 adolescents:

Sophie, issue de la haute bourgeoisie, qui attise le désir de Hans de milieu plus prolétaire.

Les jumeaux Rainer Maria (hommage des parents à Rilke) et Anna dont les parents appartiennent à la petite bourgeoisie, le père étant un ancien nazi. Rainer est un littéraire qui ne jure que par Sartre et Camus qu'il cite plus ou moins avec bonheur à qui veut bien l'écouter. Anna est pianiste. Elfriede Jelinek a inventé ce personnage d'Anna pour faire partie de l'histoire. Dans la réalité Rainer avait un frère jumeau.

Pour passer le temps et affirmer leur révolte empreinte de nihilisme, ils élaborent des projets d'agressions, de vandalisme... Ils évoquent les personnages des films d'Haneke dans Funny Games ou Benny's Vidéo. La première séquence du roman décrit une de ces agressions sans qu'on puisse véritablement la resituer dans la chronologie de l'histoire.

Le style est à la fois descriptif et subjectif, nous faisant partager tour à tour la vision de chaque personnage au travers de son propre rapport au langage et à la culture. Il y a également un certain nombre de réflexions sociologiques et politiques assez complexes dont je n'ai pas toujours bien compris la teneur. Mais non seulement elles n'entravent pas le cheminement du récit mais elle l'enrichissent considérablement.

C'est assez grinçant, jamais complaisant. Il y a d'ailleurs très peu de scènes de violence visuelle même si celles ci sont impressionnantes. La violence est plutôt dans la détresse profonde de ces jeunes gens derrière leur apparente indifférence. Toute la fin du livre est un crescendo émotionnel qui ne laisse pas forcément intégralement présager de son issue.

Un univers et un style complexes, dérangeants et enrichissants.
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Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... La mère commet à présent l'erreur fatale comme chaque fois qu'elle est en colère et perd tout contrôle face à son fils de parler du camp de concentration, de l'enfant qui, croquant une pomme, fut lancé contre un mur jusqu'à ce que mort s'ensuive, son assassin finissant alors la pomme. D'enfants jetés par sadisme du deuxième étage. De la mère envoyée dans une chambre à gaz avec son nouveau-né de deux jours, parce qu'elle avait supplié le médecin de l'autoriser à accoucher avant. Permission accordée. Beaucoup de nos amis à ton père et à moi, hommes et femmes, ont aussi été décapités dans les locaux du tribunal. Je pense à eux sans cesse.
Et Hans de bâiller exagérément, il a entendu ça souvent et croit que les temps ont changé et avec eux les gens qui ont aujourd'hui d'autres soucis. Surtout les jeunes, auxquels l'avenir appartient et qui veulent participer en personne à sa réalisation.
Les deux camarades au cerveau encollé [deux jeunes membres du PC venus demander à Hans s'il veut les aider à coller des affiches pour le Parti] touillent, gênés, dans leur seau, la colle doit rester souple, et non durcir. Il lui faut donc une chaleur qu'elle ne trouve pas dehors mais uniquement dans le douillet réchauffement d'une cuisinière où elle est justement entreposée. Ils ne savent pas par quel bout prendre ce Hans, qui a l'air si sûr de lui, visiblement il a déjà été pris par d'autres qui l'utilisent à leurs propres fins. Dehors un vent glacial fouette une pluie glaciale à travers les rues, les arbres se ploient en boucles humides. Ce sont les forces de la nature. D'innombrables mains invisibles, issues du mouvement ouvrier, attrapent les deux jeunes gars au pot de colle et les poussent en avant afin qu'ils présentent des arguments à Hans. Effectivement leur bouche en produit quelques uns. Mais Hans ne les entend pas, n'ayant d'oreille que pour la voix en lui qui dit qu'il faut aller jusqu'aux racines de l'existence pour se comprendre soi-même, alors seulement on peut comprendre les autres. Si vous croyez pouvoir faire quelque chose pour les autres avant de bien vous connaître, vous êtes de fameux imbéciles. Car c'est la condition cinéquoinonne. Parfois on commet ainsi des actes qui au premier abord peuvent sembler insensés mais qui ne le sont pas, parce qu'ils sont pour vous de la plus haute importance. Mon nouvel ami s'appelle Rainer, il n'est pas sale comme nous. Ce qui est objectivement faux, car dans l'appartement Witkowski on vit dans la saleté, mais ce jeune homme aveuglé ne le voit pas. Qui est ce Rainer, demande la mère, qui a déjà posé la question une fois mais a oublié. Son père est un ancien SS aujourd'hui à la retraite et portier, répond Hans. Ses enfants vont au lycée avec Sophie, et moi je compte suivre les cours du soir. L'autre jour tu voulais devenir professeur de gymnastique. C'est fini, je vise plus haut. ... [...]
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(Anna emmène pour la première fois Hans chez elle dans une intention... peu catholique).

La mère dit qu'elle a sur le bout de la langue la citation latine de ce qu'elle vient de mentionner, qu'on apprend pour la vie et non pour l'école. Elle possède un réservoir de proverbes et de maximes. Il n'y comprendra rien, sera anéanti, et par la suite laissera sa fille en paix. Dans la famille de la mère, la culture est une tradition, elle n'est jamais laissée à l'initiative personnelle, étant trop précieuse pour cela. La savoir, le voilà le plus précieux des biens. Ce qui vient de vous est toujours un facteur de risque, mieux vaut l'éliminer. Par ailleurs elle n'aimerait pas voir ces deux-là disparaître sans surveillance dans la chambre de jeune fille d'Anna aménagée par ses soins. Avec des rideaux à petites fleurs - qui détonnent quand on connaît Anna. Une chambre de jeune fille n'est pas la place d'une femme, mais seulement d'une jeune fille comme son nom l'indique. En vérité Anna est encore une enfant. Hans veut obéir automatiquement, parce que la mère d'Anna lui inspire du respect, mais Anna dit tu nous fais chier. Et ils y vont quand même. (P84)

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[...] ... Les jumeaux sont souverains dans le malheur, parce qu'ils se sont libérés de tout et font ce qu'ils veulent. Rainer dit que les êtres humains sont déjà en quelque sorte prédéterminés, tous sauf moi, car je leur suis supérieur, en raison de ma volonté. L'individu par contre est libre à condition de le vouloir. Rainer accepte avec un brin de condescendance cette liberté qui lui remet aussitôt ses lettres de créance. Il y a de l'héroïsme en lui, ce solitaire. Solitaire parce que nul ne le voit, ce qui diminue de moitié la nature de son bel héroïsme. Mais du moins peut-il se regarder en face lorsqu'il est seul devant son miroir.
Parfois la journée est tout à fait normale, et le père pique au hasard l'un des enfants et le rosse en gueulant. Parce que l'enfant ne veut pas faire ce qu'il veut. L'enfant rame impuissant en l'air, cependant que le contenu de l'enfant s'élève au-dessus du corps et grimpe un cran plus haut d'où il domine l'effroyable événement. Ils en ont pris l'habitude dans leur enfance, Rainer et Anna, et à présent ils croient toujours être en haut et pouvoir considérer les autres de haut. Physiquement, ils ne se développent que lentement, péniblement. Mais le sens de la hauteur est resté. Dans leurs têtes s'est noué quelque chose qui donnera plus tard une explosion de lumière orange.
L'heure est déjà venue où les jumeaux - rien que sur le plan du savoir - ont laissé leur père derrière eux. Néanmoins le père croit en savoir plus que ses enfants, c'est l'âge qui veut ça. Question d'expérience. Ces temps-ci, la liberté vient du savoir, et non du travail. Pas question pour nous de travailler, et surtout pas avec les mains. Non. Souvent ces jeunes gens qui ne veulent que danser et écouter du jazz sont trop immatures pour user à bon escient d'une liberté quelconque, aussi on la leur reprend. ... [...]
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Ils sont contents de ne pas être forcés de vivre dans quelque horrible désert intellectuel qu'ils connaissent d'après la ferme de leur grand-mère. Tout sauf là. Où des chouettes rouges, des corneilles et autres vermines s'agrippent en criant à des arbres déjà marqués par l'hiver. Où divers nuages sifflent à travers un ciel triste, où le chevreuil bêle et où les élèves puants du primaire et les élèves débiles du collège compriment leur chair dans les cars scolaires. Parmi eux pullule le bacille de la pauvreté. Magma d'enfants émergeant de lainages, héritage de leurs aînés, qui fument d'humidité.

Aucun destin ne les attend, dit Rainer, ils sont condamnés à mort dès avant leur naissance, avec une seule et même image dans toutes les têtes. L'image qu'il y a dans une tête est identique à celle qu'il y a dans la tête voisine. Et cela dans un pays libre, mais où à vrai dire on ne découvre pas trace de liberté. De fades paysages s'étendent au loin sous la pluie, on ne voit pas de limites, pourtant elles sont là, dans les têtes des habitants. De l'étroitesse d'esprit, les jumeaux en ont aussi découvert dans la grande ville, et de jubiler car ils ont pour leur part dépassé ce genre de limites depuis déjà pas mal de temps. Avec leurs dents pointues ils se sont rués sur le cordon ombilical aux reflets bleuâtres les reliant aux lieux qui leur furent assignés par avance et l'ont cisaillé. Un ruisseau de sang dégoutte de leurs mentons. Deux langues pâles, la langue de Rainer et la langue d'Anna lèchent. Bientôt de la limite naturelle qu'est la naissance ne subsistera plus un pouce de peau. De lointains infinis s'entrouvrent, sous un soleil froid, jaune d'oeuf non crevé dans le lait. S'il y a ici des casseurs, ce sont Rainer et Anna.
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Tout se paie dans la vie, y a que la mort qui est gratuite, et encore, elle vous coûte la vie…

(Points, p. 182)
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