Entre deux rentrées littéraires,
Alexis Jenni, le prix Goncourt 2011 pour
L'Art français de la guerre, est revenu en librairie avec
Féroces infirmes, toujours aux éditions Gallimard. Pour son quatrième roman, l'écrivain lyonnais questionne, sans grande originalité, la guerre d'Algérie. Un énième roman sur un thème où la difficulté de dire se fait monnaie (trop) courante ? Et si c'était plus que ça ?
# La bande-annonce
« Jean-Paul Aerbi est mon père. Il a eu vingt ans en 1960, et il est parti en Algérie, envoyé à la guerre comme tous les garçons de son âge. Il avait deux copains, une petite amie, il ne les a jamais revus. Il a rencontré ma mère sur le bateau du retour, chargé de ceux qui fuyaient Alger.
Aujourd'hui, je pousse son fauteuil roulant, et je n'aimerais pas qu'il atteigne quatre-vingts ans. Les gens croient que je m'occupe d'un vieux monsieur, ils ne savent pas quelle bombe je promène parmi eux, ils ne savent pas quelle violence est enfermée dans cet homme-là.
Il construisait des maquettes chez un architecte, des barres et des tours pour l'homme nouveau, dans la France des grands ensembles qui ne voulait se souvenir de rien. Je vis avec lui dans une des cités qu'il a construites, mon ami Rachid habite sur le même palier, nous en parlons souvent, de la guerre et de l'oubli. C'est son fils Nasser qui nous inquiète : il veut ne rien savoir, et ne rien oublier.
Nous n'arrivons pas à en sortir, de cette histoire. »
# L'avis de Lettres it be
Après
La Conquête des îles de la Terre Ferme (2017),
La Nuit de Walenhammes (2015), et surtout après
L'Art français de la guerre qui lui valut un Goncourt remarqué en 2011,
Alexis Jenni revient. Cette fois, l'auteur se penche avec
Féroces infirmes sur le conflit franco-algérien, conflit dont les sombres tentacules n'ont peut-être jamais vraiment quitté les esprits et les corps. Pour cela, nous suivons donc les vies d'un père et son fils, tous deux confrontés au conflit, de manière différente. Mais tellement liée.
De la virilité au virilisme, ce colonialisme qui n'a peut-être jamais été autant au premier plan des réflexions contemporaines pour éclairer l'aujourd'hui avec la lampe rouillée d'hier, un racisme latent qui ne se dit jamais vraiment, cette guerre franco-algérienne qui ne passe pas quand les justifications le nécessitent… La toile de fond du nouveau roman d'
Alexis Jenni aurait pu avoir de quoi décevoir par ces réflexions un brin trop entendues et balancées dans tous les sens, année après année. Et pourtant, le traitement qu'en réserve l'auteur dans son livre suscite les questionnements sans jamais apporter les réponses hâtives et partiales dont nous avons désormais l'habitude. Une fois encore,
Alexis Jenni sublime l'art du roman, simplement : donner à penser sans obliger à prendre.
Cette haine au « rayonnement maléfique malgré le sarcophage de béton dont on a tenté de le recouvrir » (lien entretien auteur : http://www.gallimard.fr/Media/Gallimard/Entretien-ecrit/Entretien-Alexis-Jenni.-
Feroces-infirmes/(source)/311806), cette résurgence permanente mais à des degrés différents d'une histoire franco-algérienne… C'est à ces questions qu'
Alexis Jenni a donc tenté d'apporter une réflexion, ou au moins une réflexion à travers le destin d'un père et de son fils. Deux époques, deux siècles, deux millénaires différents. Dans ce quartier lyonnais de la Duchère que l'on visite sous toutes les coutures avec
Alexis Jenni, dans ce grand ensemble architectural qui marque à merveille cette France projetée dans l'avenir après les tourments des guerres, les questions demeurent. Comment penser celui qui fut, avec tant d'autres, au coeur d'un conflit majeur et meurtrier ? Comment vivre avec cet homme qui danse, main dans la main, avec sa démence et ses fantômes ?
« - Les propos il les tient, ça ne veut pas dire qu'il le soit. Il n'y a pas de racisme, Rachid, il y a seulement de la violence. Ce n'est pas une pensée, la race, c'est seulement une violence que l'on raisonne, une violence vide qui cherche ses morts ; et des mots elle en trouve, elle en crée, elle en invente et puis elle les crache, et c'est sûr que ça éclabousse, c'est sale, et je ne voudrais pas être à ta place. Mais il y a d'abord la violence, et ensuite elle se donne des airs. Expliquer patiemment que tous les hommes se valent, quelles que soient leur couleur, leur religion ou leur origine, c'est souffler sur des moulins à vent, c'est sans effet parce que tout le monde s'en fout. La violence est là, elle cherche une cause, et elle en trouve. »
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