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Ce livre est une merveille. Fiévreux, magnifiquement bien écrit, et, comme toute littérature qui se respecte, capable de nous projeter dans des univers mentaux auxquels nous ne pourrions avoir accès sans elle.
Dans ce récit sur l'effondrement de l'empire aztèque, rien qui ne soit une énigme. Cette civilisation inouïe de raffinement et de cruauté mêlés tout d'abord, qui arrache le coeur des jeunes gens pour que les hommes prennent leur part du travail divin dans la marche du monde. Mais aussi la disparition inexplicable d'une société riche et organisée qui aurait pu tuer jusqu'au dernier les quelques centaines d'Espagnols partis de Cuba par désoeuvrement avant d'aborder la côte mexicaine, assoiffés d'or et imbus de gloriole. L'énigme enfin de ces Chrétiens qui furent nos semblables et qui bouleversèrent l'ordre du monde à jamais, faisant des occidentaux les vainqueurs monstrueux de la mondialisation.
Car, pas plus que de nous introduire dans la civilisation aztèque, il n'était facile d'obliger le lecteur à se reconnaître dans ces soudards imperméables à la beauté qui fondent les oeuvres d'art pour en faire des lingots mais dont il est impossible de ne pas admirer la bravoure et le goût du jeu: Jenni campe un Cortés prodigieux, bouillant comme Achille, rusé comme Ulysse. Face à lui: Montezuma. Pilier du monde, garant de son équilibre, fin stratège démuni dès lors que les Espagnols ne se sentent ni humiliés ni redevables de recevoir de somptueux cadeaux sur lesquels ils ne peuvent enchérir, Montezuma croira obéir aux volontés des dieux en refusant de mettre à mort ceux qui annoncent un nouvel ordre de l'univers.
Innocent est celui qui raconte l'histoire: il a suivi Cortés qui l'a mené jusqu'à l'or, dans un pays où il a même trouvé l'amour. Mais le récit commence par la fin, quand les désirs comblés n'apparaissent plus que comme un piège glaçant où victimes incapables de sauver leur pays et bourreaux incapables de bâtir sur les ruines engendrées par eux se rejoignent en une longue agonie.
"Nous étions partis au bord du monde, et nous avons découvert ce que personne n'aurait soupçonné: une part supplémentaire, dont nous nous sommes emparés. Il serait si doux de vivre en ce pays s'il n'était peuplé de tant de morts. Nous avons attrapé du vent. Nous avancions les mains ouvertes, nous croyions sentir quelque chose, nous l'avons saisi. Et quand nous avons rouvert nos mains, il n'y avait qu'un peu de poussière rouge qui s'est envolée."
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« le Roi lui avait accordé le titre de Marquis de la Vallée, mais nous ne le connaissions que comme notre Capitaine, dont on pouvait entendre la majuscule quand nous la prononcions, nous autres, les survivants. »
Février 1519 : Hernán Cortés (1485-1547) affrète onze navires en partance de l'île de Cuba afin d'aller explorer la côte du Yucatan de laquelle on attend abondance d'or et de richesse. L'expédition est composée d' « (…) foule de gens dont le seul point commun était d'avoir moins que ce qu'ils désiraient, et d'en concevoir assez de hargne pour aller le prendre. Bien sûr, n'avoir presque rien, c'est vague, cela allait de vraiment rien, pour la plupart, jusqu'à manquer de pas grand-chose, si ce n'est de gloire, comme notre Capitaine. » le narrateur du voyage se nomme Juan de Luna, moinillon chassé de Castille pour affaire de moeurs, surnommé affectueusement Innocent par Cortés, dont il est à la fois le confident, le secrétaire et le notaire.
Alexis Jenni reconstitue, de manière précise et presque maniaque, ce pari fou pris par Cortés lui-même, sans l'aval du gouverneur de Cuba ni de celui du roi d'Espagne. Jouant sur les antagonismes des différentes tribus peuplant la péninsule mexicaine, Cortés et ses hommes arriveront jusqu'à la cité aztèque, semant sur leur chemin et derrière eux, chaos et désolation. « Nous avions retrouvé la part perdue de l'humanité, le continent qui manquait à notre compréhension de la Terre s'était enfin dévoilé, mais ce moment-là fut un moment de sang : à peine rencontrés, ceux que nous trouvâmes nous les tuâmes tous. »
À l'instar d'Éric Vuillard avec son récit Conquistadors, Alexis Jenni éblouit par sa verve et révulse dans un même temps sur une période historique sanglante et sauvage que l'on préférerait oublier. « (…) on laisserait tomber le livre par écoeurement, dégoût, malaise du recommencement à l'identique, chaque matin baigné de la même terreur qui toujours a le même goût et qui dure. »
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Alexis Jenni (Prix Goncourt 2011 pour « L'art français de la guerre », son premier roman !) poursuit sa quête de vérité sur l'épopée tragique des guerres coloniales. Il nous transporte cette fois dans les cales d'un navire voguant à travers l'Atlantique vers Hispaniola et plus loin vers ce qui deviendra le Mexique.
Voici donc comment 500 guerriers d'infortune prirent part à l'expédition partie de Cuba en février 1519 sous le commandement d'Hernan Cortès et conquirent au prix d'immenses souffrances des vainqueurs comme surtout des vaincus l'empire aztèque …
Cette histoire, qui emprunte largement à la vérité mais nous fait vivre l'expédition de l'intérieur, est contée par le secrétaire du rusé et diplomate conquistador : Juan, rebaptisé Innocent par Cortès. Un jeune hidalgo devenu prêtre, chassé d'Espagne vers Cuba après avoir séduit une femme.
Innocent se souvient. « J'ai vu tout ça. Nous l'avons fait, et on l'oubliera si je ne le raconte pas, personne ne le croira quand il le lira, mais nous l'avons fait. » Il déplore déjà les ravages de la conquête parmi le peuple asservi. L'effondrement démographique dû aux combats inégaux – la supériorité technologique des conquistadors avec leurs armes à feu, la présence des chevaux, les épées d'acier face aux tranchants d'obsidienne, mais aussi l'irruption de maladies inconnues – désole les bâtisseurs d'empire fatigués.
Du sang, des flammes, des chairs consumées, des moustiques, des paysages fangeux, des chevaux pataugeant dans la boue, des victimes immolées roulant au bas des pyramides des temples, les costumes chatoyants de plumes des Amérindiens, leurs sandales d'or, leur accueil chargé de nourriture, leurs ruses éventées …
L'écriture est d'une beauté saisissante. Les descriptions de combats comme de l'ambiance des soudards au repos, les personnages féminins : la belle et calme Elvira et Marina, la Malinche, qui sert d'interprète à Cortez et devient son amante, qu'il porte sur la croupe de son cheval dans sa magnifique tunique brodée.
C'est surtout une réflexion lucide sur le pouvoir, la cupidité, la soif de l'or, l'humiliation, la disparition d'une civilisation au nom d'une religion proscrivant naturellement les sacrifices humains et le cannibalisme. C'est un livre âpre, violent, résonnant de bruit et de fureur, d'incompréhension réciproque de deux mondes, de désolation et de désenchantement des vainqueurs. Un livre qui impressionne, à tous les sens du terme.
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La conquête des îles de la Terre Ferme....

commence dans l'innocence, la quête de soi, l'envie de découvrir le monde (au sens générique du terme), pour un adolescent né en Estrémadure ,20 ans après la découverte décisive de Colomb.
Il part, chassé par le destin jusqu'au Nouveau Monde.
Il rencontre et accompagne Cortès et les hommes en armures, qui à 500, accompagnés de quelques chiens et de chevaux de guerre feront basculer l'histoire, à leurs profits.
Ce magnifique roman, c'est l'histoire d'un basculement :

"Il est étrange ce réflexe que nous avons de ne pas faire souffrir, comme si nous sentions en nous-même la douleur que l'on inflige. C'est peut-être la présence de notre âme immortelle qui nous suggère la douceur, et l'amour pour tout ce qui a deux bras, deux jambes, et un visage.
Et il est tout aussi étrange que ce sentiment si commun cède si aisément, dès que les circonstances l'éprouvent un peu, dès que les visages autour de nous ne sont plus ceux que nous avons l'habitude de reconnaître, et alors se révèle en nous une capacité d'infliger une douleur infinie, à n'importe qui, avec la plus grande indifférence, capacité dont on se demande bien où elle était, avant."


Servi par un style fluide, merveilleusement raconté, nous plongeons sans préavis dans l'horreur, les exactions, les incompréhensions, les erreurs d'une conquête qui n'est que massacres perpétués de chaque côté, au nom du pouvoir de la religion et de la fièvre de l'or...le tout dans le désordre...

"C'est un pays de sang et de signes.Nous parlions leur langue atroce, dont les noms sont des corps, les adjectifs des nuances de rouge,et les verbes des meurtres ."

On ne peux pas sortir d'une telle lecture sans questionnements...
Que se serait-il passé si les espagnols avaient fait...autrement ?
Qu'en serait-il là, maintenant, de l'Amérique du sud qui a tant perdu à l'arrivée des conquistadors?
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Prix Goncourt 2011 pour L'art français de la guerre, Alexis Jenni a composé, en 2017, un roman d'un peu plus de 400 pages, dans un registre à la différent et pourtant très proche de son chef d'oeuvre.

Il ne s'agit pas à proprement parler d'un roman historique mais plutôt d'une biographie fictive, d'un conquistador (ou pour être encore plus précis, d'un hidalgo qui est parti au Nouveau Monde parce qu'il en a eu l'opportunité). le protagoniste va être amené à suivre Cortès dans la conquête de Mexico, au terme d'une longue quête aux Antilles, puis sur le continent américain.

Si l'expédition et le personnage de Cortès tiennent une place importante, le coeur du sujet reste ici le personnage principal Juan de Luna et cette époque bien particulière. Nous le découvrirons d'abord, alors qu'il vient de finir ses aventures, avant de lui laisser exposer une sorte de récit chronologique qui part de son enfance à son expédition.

Le premier tiers de l'ouvrage, malgré un premier chapitre prometteur, va se révéler assez ennuyeux avec le passage obligé par l'enfance puis par le voyage. Suivent deux autres parties : la première sur l'île de Cuba et la deuxième qui s'intéresse davantage à la conquête des fameuses îles de la terre ferme.

Malgré des épisodes de violence, nous découvrons ici un récit qui parvient à réaliser une sorte de réhabilitation des conquistadors. du moins, le propos parvient à replacer leurs aventures, leurs choix, dans un contexte, sans forcément chercher à condamner ou à excuser. le voyage sera donc des plus intéressants. Et les victimes des exactions commisses sont présentées d'une manière ambivalente.

Hélas, le récit se révèle long et lassant. le style de l'auteur est pourtant merveilleux, tellement merveilleux qu'il parvient à surpasser l'intérêt que l'on peut donner au sujet, aussi intéressante que soit la démarche. Nous voici séduits par une plume bien davantage que par le fond, ce qui est bien dommage.

Malgré tous les efforts que déploie l'auteur, les recherches qu'il a dû effectuer, c'est ce constat assez sommaire qui retient ici toute l'attention. Dommage car le récit est pourtant riche et le fruit d'un engagement ambitieux.
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Un grand livre que La conquête des îles de la Terre Ferme d'Alexi Jenni, Goncourt avec L'art français de la guerre. Beaucoup de souffle pour cet épisode postcolombien de la colonisation du Mexique au début du XVIème siècle. On sait que la conquête des Amériques a surtout été un fleuve de sang. Les Espagnols ayant grandement massacré les Indiens au nom de Don Carlos et de Jésus-Christ. Les autochtones, en l'occurrence ici les Aztèques et autres Toltèques ou Chichimèques, pratiquant avec délicatesse sacrifices humains et anthropophagie. C'est comme ça.

le roman, le récit est passionnant. L'aventure des grandes découvertes est un thème très riche duquel Alexis Jenni a su extraire la moelle de l'histoire, de chair et de sang, ce qui, lors des innombrables combats, n'est pas une simple façon de parler. Parfois un peu torrentiel c'est cependant à la mesure de l'évènement. Et dès larrivée des Espagnols on comprend bien le fossé d'incompréhension mutuelle des deux peuples. Mais tout ceci est conté sans démagogie et sans leçon de repentance. Il y avait du grandiose dans cette histoire, de l'épopée. Mais aussi bien des petitesses, bilatérales.

le scribe Juan, moine vite défroqué, est un peu notre reporter en direct de la presqu'île du Yucatan. On vit au rythme des angoisses des navigateurs, de leurs privations, on comprend la folie de l'or, et le rôle du catholicisme. Une violence débarque en un pays violent. Ces violences là n'étaient pas faites pour s'entendre. le fleuve littéraire d'Alexis Jenni ne charrie pas que du précieux minerai, mais aussi, de la boue, de la sueur et des larmes (sic). Il fait vivre tout ce monde, tant les capitaines castillans ombrageux, susceptibles et querelleurs, que les indiens misérables et très divisés. Tant les prêtres sales et dépenaillés organisant les holocaustes sacrificiels que les empereurs aztèques grandioses et grotesques. C'est aussi une jolie leçon de vocabulaire, en particulier sur l'art de la guerre, déjà, et la grande beauté des massacres.

Je l'ai écrit au début, le grand vent de l'épopée zèbre tout le livre, claquant et fouettant corps et âmes. Humains, pauvres humains, ballottés , Atlantique, îles , fièvres et moustiques, jungle et désert au coeur de ce pays au sud de l'Amérique du Nord, qui récuse le terme d'Amérique Centrale, et qui prétend à lui seul au statut de sous-continent. La conquête des îles de la Terre Ferm prétend, lui, au titre de très beau roman que je ne qualifierai pas d'historique car ce terme est souvent péjoratif. Je trouve par ailleurs qu'Alexis Jenni n'est pas très présent dans les (rares) émissions littéraires.
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La conquête du Mexique vue par l'un des conquérants. Cette conquête légitimée par la recherche folle et éperdue de l'or est écrite ici dans une langue superbe.
Le roman tourne un peu en rond en son milieu et se termine avec beaucoup de hauteur.
Au bout du compte, c'est toujours cette question obsédante qui me revient : mais pourquoi l'Occident s'est-il livré à un tel acharnement dans la violence à la poursuite de l'or ?
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Alexis Jenni a le sens de l'histoire .Cette aptitude à resituer les guerres coloniales de la France dans l'exercice d'un art , illustrée à merveille dans son premier roman L'art français de la guerre, il la met en oeuvre dans ce roman La conquête des Îles de la terre ferme .Comme le rappelle l'auteur dans son texte d'avertissement précédent celui du roman : « Tout est vrai, donc sauf les imprécisions , exagérations , condensations et menteries , qui sont dues au principe de débordement qui réside au coeur de tout roman. » Effectivement , le lecteur ressent cette vérité de la conquête dans ses aspects humains, économiques, religieux , idéologiques

.Sans nous faire éprouver de la sympathie pour ces hommes ,Alexis Jenni prend soin de nous rappeler qui ils étaient : d'abord, des individus humiliés à l'origine par leur éducation : « Je m'appelle Juan de Luna (…) Je me souviens parfaitement du jour où je cessais de répondre, ce jour précis où mon père que j'indifférais se mit à me haïr, ce qui est un sentiment plus noble que l'indifférence , car plus intense , et plus propre à générer des prouesses . »
Ces prouesses, justement, quel en est le nom ? La recherche de l'or, de la route des Indes, qui devait, selon les Conquistadors, rendre l'Espagne dominatrice, et aussi l'esprit chevaleresque, dont certains conquérants sont imprégnés. Ainsi, le narrateur justifie-t-il sa force de conviction : » C'est comme ça que l'on considère les livres : on croit, ou pas, et moi, dès cette première nuit, je crus. » L'humus intellectuel de ces hommes ne serait pas complet, ni explicable sans se référer à des impératifs religieux : le devoir de convertir ces peuples, au nom de Dieu, du roi d'Espagne.

Alexis Jenni évoque le parcours de ces conquérants , en soulignant certains traits mentaux : Pedro de Alvarado, « impulsif jusqu'à la cruauté, Francisco de Montejo, préférant les fêtes à la guerre, Alonso de Avila, « brutal, mais irascible, turbulent quand il buvait » et bien sûr Hernan Cortès ,calculateur, manoeuvrier autant qu'idéologue, chef de l'expédition pour la conquête du Yucatan .Les buts de cette expédition sont largement évoqués, sans manichéisme, sans anachronisme historique .Alexis Jenni réussit à nous faire pénétrer dans les arcanes de la psychologie de ces Conquistadors, qui rusèrent, s'allièrent à des tribus indiennes contre d'autres tribus, le tout pour découvrir « la localisation exacte du royaume des Amazones, révéler notre Sainte religion aux peuples qui n'en avaient pas entendu parler. Cela fut l'objet du premier article, puisque la première place est celle de Dieu. C'était fait. »

La conquête des Îles de la terre ferme est un roman de qualité, il « déborde », comme le souhaitait son auteur, et nous fait revivre avec intensité et passion les étapes de la conquête du Nouveau Monde , effectuée avec quelques centaines d'hommes, mais qui allait changer la face du continent sud-américain.

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D'emblée nous sommes plongés dans une atmosphère d'étrangeté et de déréliction. le narrateur évoque un soleil tranchant, qui dissèque, un air d'une pureté extraordinaire à laquelle s'oppose la saleté et l'état de délabrement du village dont il est propriétaire, où des êtres fantomatiques semblent mobiliser leurs dernières volontés à disparaître, à force de résignation, de passivité morbide, d'une capitulation qui le rend furieux. Même la femme qui partage sa couche y git dans une apathie que rien, même les pathétiques tentatives de rapports sexuels du narrateur, ne parvient à vaincre. Il voit se rétrécir l'étendue de ses terres, qui, faute de gestes pour les cultiver, se craquellent.
"La conquête des îles de la Terre Ferme" est l'histoire du long et aventureux cheminement qui a abouti à cette existence mortifère, dont il n'attend plus rien.

Juan de Luna a refusé de répondre à ce patronyme dès ses treize ans, en réaction à un père haï, pour lequel il représentait la fin d'une lignée à la fierté et à la bravoure défuntes. Devenu moine par opportunisme, il gagne Séville où son amour obsessionnel pour les femmes sonne le glas de ses aspirations religieuses, puis s'embarque pour un Nouveau Monde alors en pleine découverte, à destination de Cuba. Sa rencontre avec Hernán Cortés, qui le rebaptise Innocent, scelle son destin.

Aux côtés du Conquistador, faisant office de scribe, il est le témoin privilégié de l'extraordinaire et sanglante épopée que constitue la conquête de Mexico, motivée une obsession : trouver de l'or. de l'or pour sauver le trône de Charles Quint, mais aussi pour apaiser l'inextinguible fièvre qui s'empare de la troupe hétéroclite qui intègre l'expédition du charismatique Hernán Cortés : artisans, paysans, hidalgos désargentés, bergers, des hommes aventureux et entreprenants ayant comme point commun d'avoir moins que ce qu'ils désirent et la hargne pour aller le prendre.

Les espagnols s'installent dans un premier temps sur la côte Atlantique de l'actuel Mexique, où ils commercent un temps avec la population locale, et fondent la ville de Villa Rica de la Vera Cruz.

Ayant entendu parler de Mexico, où trône le légendaire et tyrannique Montezuma, qui tient toute la région sous son joug, ils n'ont de cesse de solliciter une entrevue avec l'empereur. Les arguments des indiens (une route longue et dangereuse, ponctuée de déserts brulants et de montagnes au froid mortel, ainsi que l'intouchabilité de Montezuma) ne les dissuadent pas longtemps.

C'est un texte dense, qui entremêle avec une parfaite maitrise fidélité historique et touche fictionnelle. Un texte aussi passionnant que désespérant, qui reconstitue le choc de la confrontation entre deux civilisations, confrontation condamnée au désastre par l'avidité et la certitude de leur supériorité des européens.

On le sait, c'est une terrible et triste Histoire, et Alexis Jenni ne nous épargne aucun de ses aspects sanglants, qu'ils soient d'ailleurs du fait de l'une ou l'autre partie -sacrifices quotidiens de jeunes gens pour faire advenir le lever du soleil et pratiques cannibales pour les aztèques, viols d'indiennes et assassinats de masse par les espagnols. Mais on apprend aussi dans ce profus roman que les européens furent secondés dans leur guerre contre Mexico par certaines tribus indiennes qui voyaient là l'occasion de se libérer de l'emprise de Motezuma ; qu'une amérindienne ex-esclave d'un cacique maya, surnommée La Malinche, participa de beaucoup à la victoire de Cortès dont elle fut à la fois l'amante, la conseillère, et la mère d'un de ses fils ; qu'en arrivant à Mexico, les conquistadors furent éblouis par la grandeur, la splendeur et la propreté de la ville ; que le combat ne pouvait mener qu'à la défaite des indiens, habitués à des guerres mesurées dont les seuls buts – la prouesse et la rançon- imposaient d'épargner les vaincus. Il était pour eux inconcevable que les européens se battent pour tout obtenir : leurs terres, leurs corps, leurs âmes, et que pour ça, ils étaient capables de les tuer jusqu'au dernier…

Le narrateur, quant à lui peu porté sur la violence, timide et discret, plus spectateur qu'acteur, se fait le conteur du courage comme de l'ignominie qui ont poussé ces hommes à traverser une mer inconnue, vaincre des armées, détruire des navires pour s'empêcher de rentrer, s'emparer d'un l'empereur, supporter le gel et l'étuve, et tout cela dans un seul but : devenir riches, que très peu d'entre eux auront finalement atteint. Lui-même aura abdiqué sa part d'humanité dans cette aventure qui fera du Nouveau Monde un monde défunt.


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Horreurs, abominations, démons et merveilles et tout cela décrit d'une si belle écriture. Des civilisations d'une grande beauté et d'une violence totale s'affrontaient il y à quelques siècles, Difficile d'accepter cette part de notre humanité sauvage, cruelle et toujours présente ... Mais, rien de nouveau sous le soleil, L'art Français de la guerre... L'art humain de répandre la terreur... mais le style change tout lorsque cela nous est conté, comme à des enfants fascinés. Magnifique et épouvantable. L'humanité.

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