Jésus subit donc cette loi commune à tous les êtres de valeur : tout homme supérieur à son milieu est forcément critiqué, car il fait prendre conscience du décalage qui existe entre ce que l'on devrait faire et ce que l'on fait pratiquement. Jésus n'échappe donc point à cette loi humaine qui pèse sur ceux qui inquiètent et ennuient parce qu'ils ne veulent pas se résigner à la gabegie ou à la routine. Quiconque bouleverse des habitudes confortables, des conformismes est appelé à souffrir et Jésus l'a aussitôt éprouvé. Ses proches -- il fallait s'y attendre -- n'ont guère de considération pour lui (voir Mat. 13, 57-58; Marc 3, 21; Jean 5, 7). Rien d'étonnant à cela : il est toujours humiliant et profondément désagréable de voir monter au zénith quelqu'un que l'on connaît trop bien, dont on a partagé la vie. L'on ne pardonne pas facilement à quelqu'un de devenir "son ancien égal". [...] Peu à peu les choses tournent mal ; la haine monte. On cherche à se débarrasser de sa présence qui devient gênante (voir Luc 4, 28-29; Mat. 12, 14; 26, 3 et 4; Jean, 11, 47 à 53). Et lui sait qu'il va mourir, et de mort violente : on se rappelle les annonces de la Passion (voir Mat. 16, 21; 17, 22-23; 20, 17 et suiv.). Jésus sent bien que les disciples "comprennent de moins en moins", et sa solitude morale s'aggrave encore.
Lucien Jerphagnon / Raphaël Enthoven - Rencontre avec un érudit généreux