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Claudia Ancelot (Traducteur)Dorothea Rein (Éditeur scientifique)
EAN : 9782264023735
317 pages
10-18 (12/09/1999)
4.12/5   32 notes
Résumé :
À Milena furent adressées des lettres d'amour qui sont parmi les plus belles de ce siècle. Leur auteur : Franz Kafka.
Sa vie, Margareth Buber-Neumann l'a racontée après avoir rencontré cette héroïne de notre temps à Ravensbrück, où Milena mourut le 17 mai 1944. Si son prénom et sa trajectoire appartiennent désormais à l'histoire, son œuvre a rarement été lue et entendue. Journaliste pendant vingt ans (de 1919 à 1939), elle a signé un grand nombre de chronique... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Milena Jesenska a été la destinataire de nombreuses lettres d'amour qui sont parmi les plus belles du genre. L'auteur de ces lettres, c'était Franz Kafka.
Mais on ne peut ramener toute la vie de Milena Jesenska à cette seule liaison amoureuse. Loin de là !

Elle a pendant vingt ans poursuivi une carrière de journaliste, fait des reportages et rédigé énormément d'articles et de chroniques.
Elle débute sa carrière à Vienne, au lendemain de la 1re guerre mondiale, puis avec l'occupation de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne hitlérienne, elle sera contrainte de cesser toute publication.

Au début de ce livre, on est à Vienne en décembre 1919, et Milena nous livre ses impressions sur la capitale autrichienne, où elle vit et écrit des articles pour le journal « Tribuna ».
Décadence d'un régime. Vienne vit le crépuscule de sa grandeur.
« L'ancien temps hante le nouveau, ombre éclairée d'une impitoyable lumière », écrit-elle.
L'Empire austro-hongrois est déchu. Avec l'armistice du 3 nov. 1918, l'Autriche est séparée de la Hongrie. Les conditions de vie sont difficiles. L'Autriche connaît alors une période de difficultés économiques, notamment d'inflation, qui entraînent grèves et manifestations.

Milena Jesenska est écoeurée de constater qu'il y a encore des viennois qui font des achats dans des boutiques de luxe, alors que d'autres souffrent littéralement de sous-alimentation.
Elle nous décrit une Vienne ambivalente, qui reste attractive et « séductrice », mais qui « ignore le tragique. » Vienne « n'a pas la force de supporter les fardeaux ; elle les évite. Et elle nous détourne de notre chemin. »
Elle explique qu'elle est nostalgique de son pays, et contrariée, car étant tchèque, elle ne peut rien recevoir à Vienne, de la part de sa famille de Bohème. « de la tête aux pieds, j'étais glacée par une seule terreur : comment survivre au jour qui allait venir ? »
Dans un article, elle nous dit qu'elle avait tenté de mettre fin à ses jours en s'empoisonnant, mais qu'heureusement, sa concierge l'avait sauvée et était devenue depuis son amie !

Ces chroniques, rassemblées dans ce livre, sont comme le journal d'une partie de la vie de Milena, qui se dévoile à nous et nous éclaire sur sa personnalité complexe.
Ses articles sont remplis de sensibilité. Mais ses propos peuvent être sans concession, parfois.
Elle nous livre plusieurs exemples pour illustrer la misère bien présente autour d'elle, qui l'attriste.
Cris de douleur, images fortes. Mais il y a aussi des formes de mendicité qui la dérange, comme cette mendiante qui « tient boutique » près d'un musée. Compassion et dégoût !

Mais son écriture est aussi très poétique. On ne peut être insensible à la délicatesse de sa plume.
Elle nous bouleverse, nous fait part de ses tourments. « La douleur nous enferme dans une cage étroite, étouffante, sans portes ni fenêtres, sans aucune issue, où l'air se raréfie », « mais tout à coup un toit, une voiture, un lambeau de ciel enfoncent toutes grandes murailles de notre douleur, les battants d'un invisible portail s'écartent, nous sommes sauvés et nous respirons. »

Il y a chez Milena de la fragilité, mais aussi de la force de caractère. Elle a des convictions. C'est une battante. Elle se bat pour les valeurs humaines, la dignité, la justice. Parfois ses phrases résonnent comme de belles maximes, fortes d'affirmation et de conviction :
« Se soumettre ne signifie pas s'humilier, se soumettre signifie aimer. »
« Absence de péché, n'est pas vertu. La vertu est de savoir ce qui est péché »
« Il faut permettre à l'homme de gravir la montagne et de voir l'autre versant. »
Elle s'irrite devant ces journalistes qui rédigent des articles à sensation et déforment habilement la réalité. « La psychologie est le mensonge, le poison, et le crime de notre époque. », écrit-elle.

Fin 1921, Milena Jesenska commence à travailler pour le « Narodny Listy », un grand journal nationaliste conservateur, qui compte Jan Jesensky parmi ses lecteurs (son futur mari).
Ses articles auront des thèmes d'intérêts plus généraux, où elle aura des réflexions notamment, sur la jeunesse (« l'homme ne se sépare jamais de sa jeunesse »), le mariage (où elle dénonce le machisme et la dépendance), le cinéma (points forts et points faibles des films allemands et américains, de Charlie Chaplin, etc.)
Dans un article, intitulé « Kafka », elle ne se présente pas comme la femme amante de Kafka, mais elle rend hommage à l'homme souffrant. Il était « à lui seul un monde insolite et profond. Il est l'auteur des livres les plus remarquables de la jeune littérature allemande ». Elle effectuait en parallèle de son activité de journaliste, un travail de traductrice pour Kafka, et cela les avait beaucoup rapprochés. Mais l'angoisse permanente de Kafka, et la vie ascétique qu'il lui aurait proposée ne pouvaient convenir à Milena, qui était en quête de liberté.

Dans d'autres articles, elle philosophe sur l'attente, qui est mauvaise conseillère : « Il faut vivre au présent, la vie c'est le présent ».
A un autre moment, elle décrit avec beaucoup de justesse, l'attitude des gens qu'elle rencontre dans un compartiment du train Prague-Vienne, et leurs comportements soucieux de bienséance !
Dans un autre article encore, elle s'insurge et prend la défense d'une femme qui réclame le droit à l'interruption de grossesse alors qu'elle en est à son dix-huitième accouchement !

Puis Milena Jesenska va travailler encore pour un autre journal, le « Pritomnost » (- le Présent -)
Ses articles de 1937 à 1939 vont être rédigés sur la base de ses reportages politiques.
Elle y décrit la grande solidarité dont a fait preuve le peuple tchécoslovaque à l'égard des émigrés allemands dès 1933. Elle éprouve beaucoup de compassion pour eux, qui vivent misérablement.
Milena montre aussi comment naissent les petits pogroms, la vengeance de petites gens contre d'autres petites gens ! Elle dénonce la facilité avec laquelle les Européens cèdent et se soumettent, et, pour insister sur le nécessaire courage de résister, elle cite une phrase du grand poète tchèque, Jan Neruda : « Si chacun de nous est de granit, alors le peuple, lui, sera de roc ».
Puis elle aborde les problèmes des Sudètes : l'incapacité totale d'opposer une propagande démocratique à l'intimidation allemande. Dans les écoles, les enfants sont endoctrinés par les nazis.
Les familles subissent les intimidations, et la menace du chômage est permanente.
Ces articles consacrés à la politique se concluent par le 15 mars 1939, quand l'armée du Reich débouche dans Prague. La radio avait appelé les tchèques au calme. Les tchèques ne se rebellent pas.
Ils vont essayer de continuer à vivre leur vie pour le mieux…

Avec la postface, on apprend encore beaucoup sur Milena.
On découvre ses travers, ses erreurs, ses aspirations, ses engagements, son parcours chaotique…
Son manque d'affection paternelle dans l'enfance. Ses excentricités de jeune fille dévergondée qui commet des larcins, expérimente des drogues, … qui aime se montrer dans les cafés… qui a une allure androgyne… qui sera internée dans un hôpital psychiatrique pour « absence pathologique de sens moral ». Sa vie est très tumultueuse…
En 1918, avec la chute de l'Empire des Habsbourg, l'Autriche se retrouve fort démunie, et les tchèques sont nombreux à retourner chez eux pour se mettre au service de leur nouvel état.
La Tchécoslovaquie au cours des années 20, aspirait à « s'ouvrir au monde ». Dans ce mouvement général d'émancipation s'inscrivaient aussi les femmes.
C'est dans ce mouvement que Milena sera de retour à Prague où elle pourra s'épanouir. Elle mettra sur pied une équipe de journalistes, fréquentera les milieux avant-gardistes intellectuels de gauche.
Attendra un enfant. Passera un an dans une maison de santé à la suite de son accouchement difficile.
Souffrira beaucoup. Deviendra morphinomane. Perdra sa beauté. Se trouvera épuisée…
Mais après une cure de désintoxication, et avec son courage, elle retrouvera progressivement la santé…
Après l'entrée des nazis, en Tchécoslovaquie, elle intègrera la résistance tchèque. Elle ne veut pas fuir son pays. Elle veut continuer son combat à Prague ! Elle subira un procès, sera emprisonnée, envoyée au camp de Ravensbrück où elle mourra en 1944, suite à une infection rénale.

Très cultivée, Milena, en plus de l'allemand, connaissant aussi le français, l'anglais et le russe, aura traduit aussi des oeuvres d'Apollinaire, de Stevenson, de Gorki, de Werfel, …

Je retiendrai de Milena Jesenska, que c'est une grande journaliste, courageuse, attentive, qui porte un regard lucide sur les événements et les gens qui l'entourent.
Qu'elle est aussi une femme douée de beaucoup d'intelligence, de réflexion, et d'intuition.
Que son écriture est admirable, avec beaucoup de justesse, de sentiments, de profondeur, et d'intensité.

Ce livre, très copieux d'informations et chargé émotionnellement, m'a passionné. J'en suis sorti enrichi ! Et je sors aussi de ce livre en étant encore sous le charme de cette grande dame, à la vie riche. Il émane de sa personne une forme d'élégance. Une aura l'entoure.
Milena Jesenska ou la volonté de « Vivre », « Vivre », avec un grand « V » !
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Vivre résonne en moi comme les frénétiques bouffées d'air d'une personne qui se noie dans un océan trouble et qui, pour demeurer au-dessus de la houle, ne tient plus que le fil d'un espoir.

La journaliste tchèque Milena Jesenská (1896-1944), issu d'un certain milieu bourgeois, dépeint les multiples et complexes couches d'une société pragoise d'entre-deux-guerres. Cet ensemble de chroniques, rédigés entre 1919 et 1939 pour divers journaux tchécoslovaques, témoigne d'une large palette d'opinions.

Dans ses chroniques, l'autrice décrit sans ambages la rudesse de la vie pour les fonctionnaires, pour les "petits salariés au salaire minable et à la nombreuse marmaille", pour le personnel des postes mais aussi la position sociale plus favorisée des ouvriers, de manière assez contre-intuitive. Mais ses articles n'abordent pas que la société : elle y parle aussi de cinéma, de Vienne, de mode. Milena parle d'amour. Milena parle de sa vie privée : par exemple, ses merveilleux passages sur sa concierge Madame Kohler, qu'elle appelle "mon amie". Bon, je ne sais pas si elle considère madame Kohler vraiment comme son amie ou si c'est un peu ironique mais elle ne peut pas s'en passer et en parle souvent avec tendresse, notamment lorsque sa concierge subit la violence de ses compagnons.

Ce qui est fascinant dans ce livre est ce regard critique mais sans aigreur d'une contemporaine sur la société à laquelle elle ne se sent pas totalement appartenir. Quand on connaît le parcours de Milena Jesenská, on apprécie d'autant plus son texte et son ton. le rapport mi-figue mi-raisin qu'elle entretient à son père peut donner des clés de lecture de son parcours. On ressent chez Milena une extrême émancipation intellectuelle et dans le même temps, une fascination pour son père et pour la bourgeoisie de Prague dans lequel lui il évolue. Bien qu'elle n'embrassait jamais totalement les conventions de ce milieu, elle était diplômée de l'un des premiers lycées Minerva pour jeunes femmes. Alors que les femmes n'avaient pas encore égal accès à l'éducation, les articles de Milena témoignent d'un éloquent rapport à la culture : elle a le bagage culturel et intellectuel pour disserter de cinéma allemand et américain, avec les références et le recul des connaisseurs. de même pour la littérature avec Kafka ou Jules Romains.

Au travers de l'entre-deux-guerres et jusqu'au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, elle témoigne d'un fervent appétit démocratique et de son engagement politique et sociétal. Sa proximité avec la vie quotidienne populaire côtoie une forte tendance communiste, un fervent amour pour son pays, mais aussi pour les Juifs, pour les Tchécoslovaques et Démocrates allemands qui habitent dans les Sudètes (région tchécoslovaque peuplée d'allemands, sous une constante menace nazie). le lien direct qu'elle a avec son temps fait de Vivre un témoignage vivace, vivant, vivifiant de l'Histoire.

Mais lorsque commence la seconde partie du livre, j'ai senti mon ventre se tordre. On vit avec l'autrice la Marche à la Guerre : les troubles dans les Sudètes, l'arrivée salvatrice mais temporaire de l'armée tchécoslovaque, les nouvelles arrivant d'Allemagne, la Guerre d'Espagne. Comment résister aux criminels nazis lorsque Français et Anglais, d'un coup de poignard dans le dos, abandonnent les Tchécoslovaques et laissent annexer le territoire des Sudètes ? On sent que Milena altère son discours ; pour continuer à être publiée, le confirme le postface. le vrombissement des moteurs se rapproche. Les chars allemands défilent dans Prague.
Triste jour. Alors Milena nous parle des Allemands foulant les pavés pragois. Alors elle parle de cette jeune femme qui pleure. Alors elle parle des tchécoslovaques qui, déjà, collaborent.

Le reste appartient à L Histoire comme Milena Jesenská y appartient. La postface nous renseigne sur ce qui se passe pour Milena : elle est emprisonnée, interrogée, maltraitée, à plusieurs reprises, et envoyée à partir de 1939 à Ravensbruck. Elle rejoint les 200, 300, 500, 5000 et bientôt 123 000 prisonnières passées par ce camp de concentration, de travail, d'expérimentation médicale sur prisonnières et finalement, camp d'extermination.

Utilisées pour fabriquer des armements, assassinées quand elles ne sont plus capables de travailler, victimes des tortures, des violences, de la faim constante et du froid sournois, des maladies, elles étaient les compagnes de Milena.

Refusant de se soumettre au régime autoritaire des autres prisonnières communistes, jamais n'inféodant sa liberté d'esprit au joug des dictatures de la pensée, Milena n'échappe pas à la maladie. Peu à peu, elle s'épuise et meurt le 17 mai 1944 à Ravensbrück, à 48 ans, d'une infection, et surtout des impardonnables et inoubliables crimes de l'Allemagne nazie.

Milena avait pressenti l'horreur nazie au travers de son travail de journaliste de terrain avant que ses contemporains n'en prennent conscience.

Pour le reste, les mots de Malraux en vaudront mille. Dans son discours, appelant Jean Moulin à entrer au Panthéon :
"Avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration,
avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ;
avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres.
Entre, avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle - nos frères dans l'ordre de la Nuit..."
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Je me doutais que Milena avait autre chose à donner que d'avoir été la destinataire des lettres d'amour passionnées de Kafka. Mais j'avais tout de même un peu peur d'être déçu. J'ai laissé passer pas mal de temps depuis la lecture des lettres de Franz.
Et puis j'ai trouvé une lecture consistante, variée, des chroniques oui, mais où l'auteure met beaucoup d'elle-même. Dans chacun de ces presque quarante textes, on sent une sensibilité, quelque chose qui touche, un point de vue original. Une inquiétude, presque une angoisse, devant le monde et la vie, y transparaît. Et on comprend pourquoi elle a pu être touchée par Kafka. Elle a dû découvrir une sensibilité qui répondait à la sienne. Car chez Milena, il y a surtout un vrai souci de rencontrer l'autre et de le comprendre, une constante reconnaissance d'humanité.
On le voit par exemple dans ce portrait en deux volets de Mme Kohler, le femme de chambre. C'est savoureux, tendrement ironique, plein de compréhension.
Mais on sent aussi la conviction et l'énergie, davantage naturellement dans les chroniques politiques de la deuxième partie, comme dans ses chroniques sur les Sudètes, où l'analyse ne quitte pas le terrain de l'humanisme et de la situation concrète des individus.
Cette lecture n'est donc pas seulement une plongée dans une époque et un lieu, elle est aussi la rencontre avec une personnalité.
Quel dommage qu'on ait donné à ce recueil un titre d'une telle platitude! C'est le seul bémol, et Milena n'y est pour rien.
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Ce livre est construit en deux temps : les articles publiés entre 1919 et 1933, puis ceux parus entre 1937 et 1939. Une courte biographie en fin d'ouvrage permet enfin de regarder ces articles à la lumière de la vie chaotique de Milena Jesenská.

Milena Jesenská est née à Prague le 10 août 1896. Fille d'un dentiste et professeur de stomatologie,et d'une mère artiste à la santé délicate, Milena évolue dans un environnement bourgeois, étudie dans la meilleure école de Prague, côtoie des jeunes femmes qui feront plus tard partie de l'élite Tchèque. Diplômée, cultivée, excentrique et émancipée, elle parcourra les grandes capitales européennes, fréquentant les milieux intellectuels et à la mode.

C'est cette culture qui apparaît dans la première partie de ce livre. Elle y parle de la vie d'après-guerre au coeur de Vienne ou de Prague, où la misère est partout mais où, malgré tout, la culture se déverse, à travers les livres, le cinéma, les spectacles ou la presse. Elle côtoie les auteurs de l'époque comme Max Brod ou Franz Werfel. Milena Jesenská se marie très jeune à un homme de 10 ans son aîné, coureur de jupons, alcoolique et dépensier. Pour survivre, Milena commence à écrire des articles qu'elle envoie, de Vienne où elle réside désormais, aux journaux de Prague. Elle y parle de la vie Viennoise, de la mode, du cinéma (elle porte d'ailleurs une analyse très experte sur le cinéma de son temps et sur la guerre que semblent se faire les Etats-Unis et l'Allemagne sur ce champ).

La seconde partie du livre s'inscrit au coeur de notre histoire contemporaine. Les articles, écrits et publiés entre 1937 et 1939, témoignent de la place de la Tchécoslovaquie à l'aube de la seconde guerre mondiale. La Tchécoslovaquie est une république plurielle, réunissant des tchèques, des slovaques, des allemands, de langue allemande, des hongrois, polonais, roumains... Coincé entre l'Allemagne et l'Autriche annexée d'un côté, la Pologne et l'URSS de l'autre, la Tchécoslovaquie est isolée de ses alliés, la France et l'Angleterre. La population tchèque, qui attendait beaucoup de ces derniers est abattue, révoltée, indignée suite aux accords de Munich, en 1938, qui reconnaît la sécession des Sudètes, où une partie de la minorité allemande se rapproche de l'Allemagne nazie.

Le texte de Milena Jesenská devient ici particulièrement fort, témoignant de l'engagement et de la résistance de toute une population, lâchement abandonnée par la communauté internationale, France en tête, au profit d'intérêts politiques incompris en Tchécoslovaquie. Ces derniers récits interpellent le lecteur et jettent une lueur particulière sur notre histoire contemporaine et sur le monde d'aujourd'hui.

[...]
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« Vivre » est une fenêtre ouverte sur le monde des déracinés, et sur ce qui nous reste de liberté. Un amoncellement d'émotions et d'événements au milieu duquel chacun tente de rester du côté de la vie, malgré les ombres menaçantes de la haine et de la violence.

Les chroniques disparates de Milena Jesenská créent des instants de perception aiguë du réel. Dans ses descriptions triviales, de sensations et d'images, la vie se révèle dans ses états de grâce et invite à être considérée avec une distance amusée. C'est précisément dans les choses sans importance que Milena Jesenská nous donne à voir ce qu'il y a de plus singulier dans les êtres et les choses.

Les reportages politiques, ancrés dans la société humaine, exposent la lutte de la vie contre l'horreur absolue. C'est un univers étroit et déshumanisé que Milena Jesenská nous décrit avec une puissante source de sang-froid : la haine raciale, l'endoctrinement des enfants, l'unité tchécoslovaque brisée suite aux accords de Munich, ou encore l'exploitation politisée du peuple. Un engrenage mortifère face auquel il devient complexe de garder conscience et conviction. Et pourtant, certains êtres démontrent qu'à la tyrannie d'une idée peut répondre, comme une riposte inconsciente, la lucidité et la solidarité.

Femme libre, journaliste reconnue, traductrice de talent et fervente résistante tchèque, Milena Jesenská donne le sentiment d'être partie au-devant de plusieurs vies, plus lucides et combattives encore, avec pour chacune d'entre elle, l'écriture comme moteur. Avec intégrité et courage, l'autrice va dans ses textes au fond des choses et défend la cause d'innombrables migrants fuyant la mécanique écrasante de l'idéologie nazie, en lui opposant un refus ardent à l'insensibilité et au renoncement.
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Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Parfois, j'ai l'impression que l'homme vit au bord d'un gouffre dans lequel se précipite le présent. Nous connaissons exactement le passé et nous nous en soucions en vain puisque nous ne pouvons plus le changer ; nous connaissons non moins exactement l'avenir et nous nous en soucions tout aussi en vain puisque nous sommes incapables de le deviner et de le modeler à notre guise. La seule chose que nous ne connaissons pas, c'est le présent : cet après-midi, l'heure même que nous vivons. Nous thésaurisons sur le passé, nous spéculons sur l'avenir, et nous gaspillons le présent si désespérément que nous prenons à peine conscience de fait que la vie, c'est le présent et uniquement le présent. Par exemple, nous prenons du thé et nous nous disons que c'est juste cela : un intermède entre ce qui a été et ce qui sera. Mais, en réalité, c'est cela même, la vie ; la vie n'est rien d'autre. Elle est sans gloire, sans éclat, pleine de déceptions - en fait elle n'est qu'une seule et longue déception ; nous sommes assis en permanence dans la salle d'attente à guetter un rapide qui ne vient pas. Mais cette lande pleine de bruyère, de sables et de maigres pins dont le soleil illumine les couronnes rouillés - quelle plus merveilleuse beauté que celle-là? Et toi, mon cœur stupide, ne pense pas en ce moment à cet homme qui t'aime trop, ou trop peu, c'est selon. Ne pense pas au manteau neuf, à la doublure de l'an dernier, et à la lettre qu'il faut absolument écrire au percepteur, ne pense qu'à cette lande. Penses-y totalement, embrasse-la à pleine bouche, regarde-la en oubliant tout le reste, ne sois ni triste, ni gai, ni heureux, ni plein de désir, car tout cela est absurde ; sois présent, donne-toi à ce jour, et pour l'amour du ciel, fais un effort, essaye de ne contempler que cette heure et d'en tirer tout ce qu'elle peut donner. Efforce-toi de briser cette chaîne du destin qui fait que les hommes ne voient sous les événements qu'incertitude, douleur, insatisfaction et attente. Sois ! Tout simplement. Personne ne te rendra ce que tu viens de laisser échapper de ta main, mais demain tu riras de la douleur d'aujourd'hui. Tu n'as jamais rien vécu que tu n'aies regardé, le lendemain, sous un éclairage tout autre et sous un autre encore, le surlendemain. Tu peux d'ores et déjà parier que tout ce qui te semble tellement capital ne l'est point. En prenant tes soucis pour des questions de vie et de mort, tu oublies, insouciant que tu es, l'heure présente : pourtant, c'est elle seule qui compte absolument, car elle est perdue à tout jamais, cette part irremplaçable de ta vie que tu as laissé détruire.
L'attente est mauvaise conseillère, 22 août 1926.
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Dites-moi, cela ne vous est-il jamais arrivé? Vous êtes couchée dans la nuit, vous regardez le plafond dans le noir, paralysée de terreur et de douleur et soudain, quelque part à l'étage, un enfant pleure et pleure à votre place? Ne vous est-il jamais arrivé qu'au théâtre des hommes meurent, se battent et chantent à votre place? Ne vous est-il pas arrivé de voir à l'horizon un oiseau qui vole à votre place, les ailes déployées, tranquille, heureux, disparaissant au loin pour ne jamais revenir? N'avez-vous jamais trouvé une route dont les pavés sont capables de supporter précisément autant de pas qu'il vous en faut pour vous libérer de la douleur? Je crois fermement que le monde vient à notre secours. On ne sait ni quand, ni comment, ni par quoi. Il survient inopinément, simplement, avec compassion. Parfois, être sauvée est presque aussi douloureux que la douleur elle-même.
Mystérieuses rédemptions, 25 février 1921.
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Celui qui s’en va quelque part avec une valise risque d’en revenir avec deux. Etrange faculté d’accumulation de l’être humain, étrange aussi sa façon de distinguer entre ce qui est ou non important. Un beau jour, ces jarretelles vertes toutes déchirées m’ont semblé importantes et je les ai rangées. Et, à côté d’elles, une rose artificielle, abîmée par la pluie, un vieux poudrier, une lettre au contenu éculé, un flacon de parfum – cadeau dont je ne voulais pas – et un tas d’autres babioles et colifichets. J’ai honte de ma futilité de naguère et je ne sais s’il convient de la respecter ou de trancher une fois pour toutes et de n’emporter que l’essentiel. En fin de compte, je pars avec l’essentiel, mais, au bout de quinze jours, j’ai déjà accumulé tout un nouveau bric-à-brac.
(p.160) – « Déménager »
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Pour le malade cloué au lit, les rues, les villes, les prés deviennent objets d’un douloureux désir qu’il a honte d’avouer aux bien-portants. Cette boulangerie devant laquelle le malade passait tous les jours lui apparaît comme un paradis perdu. Ce ne sont pas seulement les bien-portants qui abandonnent le malade, mais le malade qui abandonne et le monde et les bien-portants. Son seul bien, c’est sa fenêtre qui ouvre une brèche sur l’horizon rétréci. Les nuages qui défilent devant cette découpe rectangulaire changent, se dissipent, s’assombrissent, se colorent. Et peut-être, à travers la fenêtre, un de ces nuages rapportera-t-il à son cœur l’envie de vivre.
(p.76-77) – « Les fenêtres »
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La compassion est une belle chose, mais rares sont les êtres capables de trouver la manière de les exprimer. Les paroles, bonnes ou mauvaises, soulignent le fait qu’il s’est passé quelque chose. La seule compassion acceptable est de faire sentir à l’homme qui a péché que rien n’a changé dans notre attitude à son égard. Si, deux jours après son délit ou après qu’il eut purgé sa peine, il constate un changement dans la façon dont ses amis le saluent, une froideur marquée lui est aussi pénible qu’un excès de cordialité. Mais si notre homme rencontre quelqu’un qui le salue exactement comme avant sa condamnation, il se sentira immédiatement en confiance.
(p.51) – L’affaire Georg Kaiser
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