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EAN : 9782081478978
Flammarion (28/08/2019)
3.45/5   457 notes
Résumé :
« Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d’une balançoire. »
Ainsi commence ce court et intense roman qui nous raconte la dernière journée que passe Léonard, 17 ans, dans un camping des Landes écrasé de soleil. Cet acte irréparable, il ne se l’explique pas lui-même. Rester immobile, est-ce pareil que tuer ? Dans la panique, il enterre le corps sur la plage. Et c’est le lendemain, alors qu’il s’attend... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (159) Voir plus Ajouter une critique
3,45

sur 457 notes
Dès l'incipit, le récit s'impose : « Oscar est mort parce que je l'ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d'une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. »

C'est intrigant, dérangeant, et c'est avec une certaine inquiétude que l'on pourvoit la découverte de l'ado qui s'est ainsi livré au lecteur. Et l'on découvre une personnalité plutôt ordinaire, peut-être un peu plus angoissé que la moyenne, mais avec les mêmes préoccupations, plaire, s'intégrer, mais pas trop, pour conserver une part de mystère. La vie quotidienne d'un futur adulte. A ceci prêt qu'il s'est ajouté une charge mentale énorme, en laissant celui qui n'était même pas son pote et qui était passablement bourré, mourir sous ses yeux. Il fait même pire et cela je ne le révèle pas. le texte est suffisamment court et dense, pour laisser au lecteur le soin de découvrir les moments clés de l'histoire.

Roman très habile pour insuffler des sentiments contradictoires d'empathie et de rejet pour le jeune garçon coupable sans l'être mais qui s'enferme dans une impasse invivable, tandis que la vie au camping continue dans sa banalité et ses trivialités ordinaires. A la fois lucide et insensé, le passage à l'acte n'est qu'un reflet de sa détresse dans un monde qu'il ne reconnait pas comme le sien.

Grand art également pour la chute, mais chut!
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Il faut d'abord que je vous avoue qu'un livre dont l'action se déroule dans un camping avait de quoi me terrifier. Il faut dire que c'est le genre d'endroits qui, personnellement, peut très vite m'angoisser …

De cauchemar, de mauvais rêve éveillé, ce roman en prend les allures.
Léo se traîne, littéralement, sous une chaleur poisseuse et malaisante entre adolescence et indifférence au monde. Dés les premières pages, un drame se noue et Léo de spectateur, va devenir acteur dans la mort d'un autre jeune homme du fameux camping …

Nous allons suivre alors les heures qui suivent les événements et errer dans cet endroit avec Léo. Il sera alors impossible de lâcher ce roman jusqu'à la fin. Jusqu'au bout. Jusqu'à ce que le soleil se couche et que la chaleur vienne tout écraser.

Un premier roman dérangeant. Un anti-héros détaché du monde dans lequel il vit. Un livre étrange, dans le bon sens littéraire du terme, qui se lit d'une traite. Court mais intense.

Ce roman semble hanté. A la frontière entre réalité et fantasmes morbides, on se pose des questions en permanence. Un sentiment de passer de l'autre côté de la réalité, de la vérité. D'être dans la tête d'un ado malade … D'un jeune homme dérangeant …

Un roman qui arrive à captiver, comme tout bon roman, mais aussi à faire s'interroger sur nos perceptions, notre vision du monde …

Victor Jestin, en peu de phrases, instaure une ambiance, crée le malaise. Je suis terriblement curieux de découvrir les futurs écrits d'un auteur qui semble en avoir sous le capot. J'aime, en littérature, ne pas savoir dans quoi je me lance et me laisser porter. C'est ce qui s'est passé ici. Et je ne regrette pas. J'aime cette économie de pages et cette façon d'entrevoir quelques heures seulement de la vie de Léo. Comme témoin de l'incompréhensible …

Un très bon premier roman. Les débuts en littérature d'un véritable écrivain.

Et si un jour, vous allez dans un camping, de grâce, regardez bien où vous mettez les pieds …

Lien : https://labibliothequedejuju..
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On le sait au moins depuis Camus, la vie est absurde et Meursault meurt sous le soleil, définitivement étranger au monde qui l'entoure. Ce n'est pas gentil, me direz-vous, d'aller chercher des références aussi écrasantes pour un jeune auteur qui débute. Sauf que les références en question sont tellement surlignées tout au long du roman que ça en devient presque gênant.
Donc Léo, adolescent forcément mal dans sa peau qui méprise le monde entier en écoutant Wagner, regarde Oscar mourir. Bon, pourquoi pas? Oscar semble plus assuré dans la vie, ce qui est déjà une bonne raison de le laisser crever, en plus l'aider nécessiterait d'agir et il fait chaud et puis bien sûr laisser mourir est déjà un bon début pour se tuer soi-même. Être ado n'est pas de la tarte, tuer ou mourir sont des options qui s'envisagent; d'ailleurs Gide dans « Les Caves du Vatican » ou Eugenides avec « Virgin suicides » ont dit des trucs pas inintéressants sur le sujet.
Je suis donc toute prête à m'intéresser à ce meurtre par non-assistance à personne en danger -mais encore faudrait-il que j'y croie.
Sauf que ce n'est pas possible. Rien, absolument rien n'est crédible dans ce roman. Revue de détails et j'en oublie forcément.
Oscar s'étrangle avec des cordes de balançoire. Ok. « À un moment sa tête a basculé en avant, ce qui a dû donner un élan aux cordes, car elles sont reparties dans l'autre sens, se sont démêlées de plus en plus vite et l'ont libéré. » Pardon? En une phrase, Victor Jestin remet en cause les lois physiques les plus élémentaires et je sens page 12 que je vais avoir du mal à aller jusqu'au bout du livre.
La quatrième de couverture annonçait que Léonard décidait d'enterrer le corps « dans la panique ». Ce qui donne dans le texte: « Il m'a paru évident qu'Oscar devait disparaître. Je n'ai pas réfléchi davantage. » Bon. C'est une panique discrète.
Donc Léo traîne le cadavre jusqu'à la plage pour l'enterrer. Il traverse tout le camping qui dort, évidemment. D'ailleurs Oscar n'est pas lourd. « Le camping dormait. » « Il n'était pas si lourd ». J'admire ces phrases qui se croient suffisantes pour zapper toutes les contraintes du réel. Et une fois la plage atteinte, pouf pouf, Léonard enterre le corps. Il enterre le corps. À main nue. Dans du sable sec. Ce type est un mutant.
Puis il récupère le portable du mort. Depuis qu'il a disparu, sa mère n'a cherché à le joindre qu'UNE seule fois. Tiens, sa mère aussi est une mutante.
Le lendemain, son copain Louis lui annonce qu'il a connu sa première expérience sexuelle. Et que dit un ado à un autre ado quand il aborde ce chapitre essentiel ? Il lui raconte qu'il a eu du mal à être excité et qu'il en a pleuré. Ce camping est décidément peuplé d'extraterrestres.
D'ailleurs : un homme « avait installé sur le coffre de sa voiture une antenne qui lui permet d'avoir la télévision dans sa tente, ce que la majorité des campeurs trouvaient de mauvais goût. »
D'ailleurs:  quand Léo trouve une adulte relou, il lui dit:  « Vous m'oppressez ».
Etc.
Ce roman est hors-sol. Les mots et les choses y sont dits mais ne font surgir aucune matérialité, rien qui puisse donner un semblant d'existence à ce monde de papier brouillon. Je suis prête à parier que Jestin n'a jamais passé de vacances sous tente dans un camping populaire, ce qui n'est pas une tare, mais le milieu qu'il imagine pour ses personnages est une idée de camping, de même que son périple à traîner le cadavre paraît issu d'un jeu vidéo.
Sinon, le livre se termine comme on pouvait s'y attendre et Sysiphe est heureux.
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Sur la plage abandonnée…

Victor Jestin nous offre avec «La chaleur» un premier roman initiatique construit comme une tragédie grecque. Sur une plage des Landes le dernier jour des vacances sera désormais un moment inoubliable pour Léonard.

Les premières lignes de ce court roman nous happent avec une scène-choc: «Oscar est mort parce que je l'ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d'une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n'était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On se serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas bougé. Tout en a découlé. […] Il était saoul. Les cordes étaient enroulées autour de son cou. Je me suis demandé d'abord ce qu'il faisait là. Je l'avais vu plus tôt danser sur la plage avec les autres. Il avait embrassé Luce et j'avais failli vomir, je m'en souvenais, leurs corps presque nus se détachaient dans le noir. Je l'ai observé désormais seul sur sa balançoire et j'ai compris qu'il mourait. Les cordes l'étranglaient doucement. Il avait fait cela tout seul et peut-être, à en croire son visage, avait-il changé d'avis. Je n'ai pas bougé.»
Après ce moment de sidération les choses vont s'accélérer. Léonard, le narrateur de dix-sept ans qui passe ses vacances avec ses parents dans un camping des Landes, se sent coupable de n'avoir pas tenté de sauver Oscar et a le réflexe de trainer le corps du jeune homme sur la plage et de l'y enterrer avant l'arrivée des premiers baigneurs et avant de regagner sa tente. «Je suis rentré. Sur la route, j'ai croisé un joggeur levé de bonne heure qui rejoignait la forêt. J'ai retrouvé ma tente et je me suis endormi habillé. J'allais vivre ma dernière journée de vacances, la plus chaude – la plus chaude, même, qu'ait connue le pays depuis dix-sept ans.»
Effectivement, les heures qui vont suivre seront très chaudes – dans tous les sens du terme – pour Léonard. Au milieu des préparatifs de départ, il va devoir gérer son forfait et sa conscience, essayer de conclure enfin avec une fille parce qu'après tout, à son âge c'est l'objectif premier de ces vacances et faire bonne figure face à ses parents, la mère d'Oscar et les forces de l'ordre.
Victor Jestin a trouvé le ton et le rythme pour faire de ce roman d'initiation une tragédie classique avec son unité de temps, de lieu, d'action. Un concentré d'émotions qui, à l'image de la météo, vont aller crescendo jusqu'au gros orage qui va finir par éclater. Léonard parvient assez aisément à dissimuler son forfait aux yeux de ses parents et à ceux de Luce, qu'il avait vu embrasser Oscar, et qui se retrouve désormais sans chevalier servant. Même face à la mère d'Oscar, inquiète de la disparition de son fils, il jouera assez aisément le rôle de celui qui n'a rien vu ni entendu. Mais la culpabilité est à l'image de ces vagues de plus en plus chargées qui viennent éroder le littoral. Inexorablement, elle gagne du terrain. Entre l'urgence – il faut s'empresser d'être heureux, de faire l'amour, de réussir ses vacances – et ce besoin d'effacer le drame de la nuit précédente vient s'immiscer le remords. Tous ces gens qui passent et repassent sur la plage sans savoir que sous leurs pieds gît un cadavre laissent imaginer que l'été va s'achever sans que le mystère soit élucidé. D'autant que les recherches se concentrent désormais en mer et que le camping se vide petit à petit.
Le bonheur d'une première étreinte, d'un amour naissant est-il plus fort que cette faute originelle, cette non-assistance à personne en danger? C'est tout l'enjeu de ce roman qui, jusqu'à la dernière ligne, vous tiendra en haleine.

Signalons pour les parisiens une lecture à la Maison de la poésie le 30 septembre 2019


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Dans un camping pléonastiquement écrasé de chaleur, un ado pléonastiquement mal à l'aise avec ses désirs, sa famille, le bonheur. Une forte citation de Büchner, puis un mort à la première page. Ce n'est pourtant pas un polar, juste une tranche de vie ; c'est l'écriture et l'analyse qui feront ou non l'intérêt du livre. Un écrivain de 25 ans (comment se fait-on connaître à 25 ans?) réussirait-il à me passionner ? J'avais un doute.
Pour moi, le défi est réussi. L'écriture est intéressante, avec des phrases souvent courtes, descriptives mais pas trop, une certaine variété de ton, quelques formules à la limite du néologisme, avec un simple détournement de sens, bien vues. Cela aurait suffi à mon plaisir. Ensuite, je ne suis pas un spécialiste de la psychologie de l'adolescent, mais le narrateur m'a paru vrai et m'a intéressé. Un peu moins révolté que Holden Caufield*, il ne nous livre pas ses pensées intimes, mais nous les laisse parfois deviner, avec – me semble-t-il – une certaine subtilité. Bien sûr, un mort à la première ligne introduit une certaine tension, et mon attention s'est maintenue sans nécessiter un rebondissement à la fin de chaque chapitre. Contrairement à ma première impression, ce n'est pas un récit abstrait enfermé dans un cerveau : on touche le sable, la peau, la sueur, et les rapports interpersonnels m'ont paru justes. Et malgré un mort sur le sable le narrateur ne ressemble pas à celui de l'Étranger.
Je remercie Flammarion d'avoir confié quelques volumes à des critiques amateurs et Babelio de m'en avoir fait profiter. Victor Jestin est un jeune auteur qui a réussi sa première publication, je lui souhaite de continuer sur ce début de chemin vers le succès.


*J'ai dû chercher son nom sur Babelio, il m'avait échappé. le situez-vous immédiatement?
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critiques presse (4)
Bibliobs
20 août 2021
C’est le dernier jour d’un condamné qui est aussi le dernier jour de l’enfance. Un livre chauffé à blanc.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Culturebox
18 septembre 2019
L'auteur, sélectionné pour trois grands prix littéraires, signe un roman court et saisissant, qui se lit d'une traite. L'atmosphère et la description de la vie au camping sont les grandes réussites de ce livre. L'angoisse du personnage, ses états d'âme, nous prennent littéralement à la gorge.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Telerama
16 septembre 2019
Son premier roman, “La Chaleur”, est un subtil mélange de comique et de pathétique, de dérisoire et d’essentiel. Victor Jestin y décrit les contradictions d’un jeune homme, entre enquête, étude de mœurs et regard social.
Lire la critique sur le site : Telerama
LeFigaro
12 septembre 2019
À 25 ans, Victor Jestin crée dans ce premier roman une atmosphère singulière et hypnotique où le trouble de l’adolescence le dispute à ce manège d’adultes perdus dans le concert de l’existence.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (46) Voir plus Ajouter une citation
Il m’a paru évident qu’Oscar devait disparaître. Je n’ai pas réfléchi davantage. J’ai senti, peut-être, que c’était cela la vraie bêtise, mais je l’ai faite, pour faire quelque chose. J’ai saisi ses jambes. Il n’était pas si lourd. Je l’ai traîné. Nous avons progressé lentement, d’abord dans le parc, puis sur les graviers d’une allée, sur l’herbe d’un emplacement vide, sur une fine couche de sable. Le bruit du corps variait selon la surface. Je me concentrais sur mes gestes pour ne pas songer à autre chose, ne pas savoir ce que signifiaient ces instants. Je traînais un corps, simplement. Avant la dune, j’ai fait une petite pause. Tout était calme. Oscar était si calme. L’air était plus frais, presque agréable. Ce devait être le beau milieu de la nuit. Nous avons grimpé plus lentement encore, nous enfonçant dans le sable, nous accrochant aux chardons. Beaucoup s’y blessaient en courant pieds nus. Enfin, la plage est apparue. Elle était déserte, jonchée de déchets qu’il faudrait balayer le lendemain. Je me suis dit que je pourrais laisser Oscar dans l’eau pour que le ressac l’emmène. Mais la mer était trop basse. Un long chemin me séparait d’elle et j’étais déjà essoufflé. Je m’en suis tenu au trou. J’ai lâché Oscar, j’ai parcouru la dune et je l’ai trouvé sans peine, près du drapeau de baignade. Il n’était pas assez grand. Je me suis accroupi et je l’ai élargi aux dimensions d’un adolescent. Je n’aimais pas le contact du sable qui rentrait sous les ongles et faisait crisser la peau, mais je m’y suis confronté cette fois sans manières, à grands mouvements de bras volontaires. Quand j’ai été satisfait, je suis retourné chercher Oscar. Je l’ai amené jusqu’au trou et je l’y ai fait entrer, les jambes pliées sur le côté. Son visage était sale, plein de poussière. Je l’ai nettoyé du bout des doigts. Puis j’ai rejeté du sable dessus et sur tout son corps également. Cela m’a pris beaucoup de temps. Je ne pensais à rien. J’écoutais mon souffle et le bruit des vagues.
Enfin le trou n’a plus été que du sable, et Oscar, sous terre, a pesé moins lourd. Il a même disparu un peu. Je me suis redressé et j’ai regardé le ciel clair. Une petite musique s’est élevée dans les airs. J’ai compris que le bruit venait d’en dessous. Je me suis remis à genoux et j’ai creusé, défaisant tout mon travail. C’était bien enterré. La musique tournait en boucle. J’ai fini par atteindre Oscar – son téléphone sonnait dans son maillot : Luce appelle. Je l’ai éteint et fourré dans ma poche. Personne ne l’avait entendu. Tous les gens étaient loin. J’ai repris mon souffle et j’ai rebouché le trou, aussi soigneusement que la première fois. 
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INCIPIT
Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d’une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n’était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On se serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas bougé. Tout en a découlé.
 C’était le dernier vendredi d’août. Il était tard, le camping dormait. Restaient les ados sur la plage. J’avais dix-sept ans moi aussi. Je n’étais pas avec eux. J’essayais de dormir et leur musique m’en empêchait. Elle franchissait la dune avec les vagues et les rires. Quand elle s’arrêtait, c’étaient mes parents que j’entendais remuer dans leur tente. Je ne tenais pas en place. Mon matelas gonflable s’enfonçait sur des pierres, le sable collait à ma peau. Parfois le sommeil venait, mais alors quelqu’un criait sur la plage. C’était une espèce de joie féroce dirigée contre moi, une grande danse autour de ma tente. J’arrivais au bout de mes forces. Une journée encore, et les vacances seraient finies.
Cette nuit-là j’ai préféré me relever et marcher dehors. Tout était calme de ce côté. Les tentes et les bungalows se confondaient en ombres. Seul le distributeur de préservatifs continuait à briller. Ça disait « Protégez-vous ». Ça disait Faites-le, surtout. Chaque soir les ados en achetaient, fiers et honteux. Acheter, c’était déjà le faire un peu. Souvent ça finissait en ballon de baudruche et ça crevait dans les airs, comme un nerf qui claque au fond du cœur. Ce camping, j’en connaissais toutes les couleurs. Deux semaines que j’en arpentais les allées, que j’inventais des détours pour faire passer les heures. J’étais allé à toutes les soirées. J’avais fait l’effort. Et chaque fois je m’étais égaré, au bout de quelques verres, j’avais feint d’aller en chercher un autre pour longer le rivage et rentrer sans être vu. Mais je dormais à peine. La musique ne s’arrêtait pas. Quelque chose demeurait soulevé dans ma poitrine et me maintenait tendu jusqu’à l’aube.
C’est dans un détour, cette dernière nuit, que je suis tombé sur Oscar. Je suis passé devant le parc de jeux et je l’ai trouvé sur la balançoire. Il était saoul. Les cordes étaient enroulées autour de son cou. Je me suis demandé d’abord ce qu’il faisait là. Je l’avais vu plus tôt danser sur la plage avec les autres. Il avait embrassé Luce et j’avais failli vomir, je m’en souvenais, leurs corps presque nus se détachaient dans le noir. Je l’ai observé désormais seul sur sa balançoire et j’ai compris qu’il mourait. Les cordes l’étranglaient doucement. Il avait fait cela tout seul et peut-être, à en croire son visage, avait-il changé d’avis. Je n’ai pas bougé. Rien ne bougeait dans ce parc isolé. Les pins montaient haut et voilaient la lune. Soudain, Oscar m’a vu : ses yeux se sont fichés dans les miens et ne m’ont plus lâché. Il a ouvert la bouche mais rien n’est sorti. Il a remué les pieds mais son corps n’a pas suivi. Nous nous sommes regardés ainsi. J’avais voulu parfois qu’il disparaisse, c’est vrai, les autres jours, en le voyant sourire dans son maillot bleu. La musique persistait de l’autre côté de la dune, je reconnaissais le refrain : Blow a kiss, fire a gun… We need someone to lean on… Cela a pris du temps. C’est long, de mourir étranglé. L’instant de sa mort s’est lui-même étiré et m’a échappé. Je me suis simplement senti de plus en plus seul. À un moment sa tête a basculé en avant, ce qui a dû donner un élan aux cordes, car elles sont reparties dans l’autre sens, se sont démêlées de plus en plus vite et l’ont libéré. Il est tombé comme une loque sur le sol souple du parc.
J’avais fait peu de bêtises en dix-sept ans. Celle-ci a été difficile à comprendre. C’est allé trop vite et trop fort. Je me suis approché. J’ai touché l’épaule d’Oscar, puis je l’ai secoué et frappé. Son regard vide a glissé sur moi quand je l’ai retourné. J’ai voulu réfléchir mais des voix sont arrivées depuis la plage. Un petit groupe rentrait dormir. Ils parlaient fort, ils étaient saouls eux aussi. J’ai cru qu’ils pourraient m’écouter. Je les ai appelés mais ma voix n’est pas allée loin, elle est restée près de moi. Ils se sont éloignés en riant. « Vos gueules ! » a crié un campeur depuis sa tente. Ils ont disparu. La musique aussi s’est éteinte sur la plage. Les derniers sont passés. Je me suis tenu debout dans le parc, longtemps, sans me cacher. Enfin j’ai été absolument seul, avec Oscar, qui continuait d’être mort à mes pieds.
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Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d’une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n’était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On se serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas bougé.
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J’avais fait peu de bêtises en dix-sept ans. Celle-ci a été difficile à comprendre. C’est allé trop vite et trop fort. Je me suis approché. J’ai touché l’épaule d’Oscar, puis je l’ai secoué et frappé. Son regard vide a glissé sur moi quand je l’ai retourné. J’ai voulu réfléchir mais des voix sont arrivées depuis la plage. Un petit groupe rentrait dormir. Ils parlaient fort, ils étaient saouls eux aussi. J’ai cru qu’ils pourraient m’écouter. Je les ai appelés mais ma voix n’est pas allée loin, elle est restée près de moi. Ils se sont éloignés en riant. « Vos gueules ! » a crié un campeur depuis sa tente. Ils ont disparu. La musique aussi s’est éteinte sur la plage. Les derniers sont passés. Je me suis tenu debout dans le parc, longtemps, sans me cacher. Enfin j’ai été absolument seul, avec Oscar, qui continuait d’être mort à mes pieds.
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Oscar est mort parce que je l'ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d'une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n'était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas bougé. Tout en a découlé. p. 9
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