Je savais qu’une vie d’affrontements, de rivalités, de luttes m’attendait. Avec les joies et les souffrances d’une vraie destinée, au lieu d’une existence de chiffe et de souche qui contente la plupart des gens, surtout les femmes. J’ai eu cette destinée, et plus de souffrances que de joies, sans doute...
Il a beaucoup d’ennemis, les plus dangereux ne sont peut-être pas ceux qui tirent des coups de fusil sur son passage, à cent ou deux cents mètres. Je crois en connaître qui sont prêts à tout pour l’empêcher d’être maire d’Aubersac et conseiller d’arrondissement. Le temps les presse. Ils n’ont pas plus de quelques jours pour agir avant sa nomination.
J’aurais voulu lui répondre que je l’aimais comme toutes les bonnes gens qui le connaissaient, ses serviteurs, les pauvres d’Aubersac et de bien loin. C’était un mensonge. Je l’aimais d’une autre façon. Je l’aimais. Or la morale, la religion autant que la simple loyauté à ma maîtresse m’interdisaient cet attachement déshonnête.
Mon mari n’est pas ambitieux à la façon des personnages de Balzac qui veulent être riches, honorés, comblés de tous les bonheurs. Il demande seulement de pouvoir améliorer la santé et la prospérité des gens, de faire avancer le pays... sur la voie du progrès : ce sont ses mots.
Quand j’imaginais un fiancé, je ne pouvais me le représenter qu’à cheval, galopant vers moi sur un beau pur-sang ou se retournant sur sa selle en balançant son chapeau pour un au revoir chargé d’espérance. Je lui aurais pardonné de ne posséder qu’un coursier très ordinaire, une jument efflanquée ou un mulet de montagne, pourvu qu’il fût fringant sur sa monture !
J’aurais aimé devenir un pur esprit. Les esprits, pensais-je, n’ont pas d’envies terrestres ni de malsaines curiosités. Ils ne se posent pas de questions sur les secrets des humains ; ils ne se sentent pas en faute quand ils admirent un beau cavalier...
Il existe assez de ressources dans la nature pour libérer tous les hommes des tâches pénibles, pour leur donner à chacun le bien-être sinon la richesse.
Le pire, je crois, c’est qu’elle s’habille en homme. Ce n’est pas aussi épouvantable qu’un homme qui se déguise en femme : cela fait quand même très peur.
J’avais parfois le sentiment, fugitif, d’être arrivée en un lieu où je pourrais être heureuse, si l’on ne m’en chassait pas.
Ce n’était pas dans ma nature de renoncer sans me battre.