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Critique de Kirzy


Le coeur de ce premier roman bat au rythme d'un trio familial ordinaire. Un père, une mère, une fille adolescente, nouvellement installés dans une banlieue parisienne banale, un nouveau départ pour un couple fragile.

Avec précision, l'auteure décrit leur quotidien avec une froideur clinique, pourtant non dénuée de chair et de sensibilité grâce à des personnages bien campés. On colle à leur ressenti, leurs émotions, leurs pensées, leurs contradictions et leurs aspirations, dans toute leur complexité. Peut-être moins avec le père, plus monolithique, dont les excès de la réaction finale, plausibles en théorie, ne m'ont pas semblé crédible tel qu'ils ont été avancés dans le récit. Par contre, la fille, qui ne se révèle pas être qu'une adolescente égocentrique et insouciante, et surtout la mère, sont de superbes personnages. Difficile d'oublier Elisabeth dont la caractérisation se construit dans une psychologie très fine, au-delà des clichés de l'épouse victime d'infidélité en détresse.

Nos corps étrangers. le titre est parfait, il résonne durant toute la lecture en plusieurs strates d'imbrication. le corps qu'on ne maitrise pas ou plus et qui trahit. Les corps d'un couple qui se sont irrémédiablement éloignés. le corps d'une jeune fille qui s'ouvre au désir. le corps trop adulte d'un migrant enregistré comme collégien. le corps d'une femme fracassée par l'adultère qui se réfugie dans des troubles alimentaires. Chaque personnage devient lentement étranger à l'autre, s'empêtre dans une solitude de plus en plus criante, englué, jusqu'au terrible drame.

Si la tension monte crescendo, jamais je n'ai vu arriver la déflagration finale qui consacre la chute de la famille dont on a suivi progressivement le délitement. Spectaculaire. Brutale, sidérante aussi, elle correspond à la réalité de la situation. Avec le recul, la minutie discrète de l'auteure est révélée, elle qui a semé des indices subtils, judicieusement placés, tellement qu'on ne les avait pas remarqués mais qui nous reviennent en mémoire alors qu'on est sous le choc du dénouement. Dans cette scène, l'écriture est remarquable pour décrire l'insoutenable, à la fois nerveuse et divaguante, précise et intuitive.

Tout prend sens. Et notamment le soin qu'a pris Carine Joaquim à déployer la banalité presque ennuyeuse du quotidien de cette famille. Car c'est dans cette banalité que s'est joué l'engrenage qui mène à la tragédie de fait divers. Cette famille tellement ordinaire qu'on peut aisément s'identifier à eux ou les identifier à des personnes de notre entourage. Tellement qu'on ne peut pas détourner le regard, qu'on ne peut pas se rassurer lorsqu'éclate la « monstruosité » d'un. Les monstres, ce ne sont pas les autres.

Je regrette juste qu'il embrasse trop de thèmes ( l'accueil des migrants, le dépassement par l'art, le handicap, le harcèlement, l'adultère, l'adolescence ... ). Même si je comprends la volonté de l'auteure d'ouvrir l'intime de cette famille en la confrontant à l'altérité du monde extérieur, cela dilue le propos car aucun de ses thèmes ne peut être totalement exploré, ce qui conduit à un épilogue un peu maladroitement conduit pour refermer les portes ouvertes.

Reste que ce premier roman est globalement très réussi, intense et profond dans ce qu'il dit de nous.

Lu dans le cadre du collectif 68 Premières fois
https://www.facebook.com/68premieresfois
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