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EAN : 9782960155914
124 pages
Vies Parrallèles Editions (12/03/2015)
4.42/5   6 notes
Résumé :
Le 13 juillet 2002, à 18 h 01 min 43 s, tout en haut de la tour du Stratosphere Hotel de Las Vegas, Levi Presley enjambait la rambarde qui le séparait du vide. 350 mètres plus bas, soit 9 secondes plus tard, il trouvait la mort sur l’asphalte de la rue ramolli par la chaleur d’un été torride. Il pratiquait le taekwondo. Il avait 16 ans.

En 2005, l’écrivain John D’Agata envoie à la célèbre revue The Believer un essai dans ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
La controverse de Las Vegas.

En 2005, l’écrivain John D’Agata, déjà connu en France pour «Yucca Mountain» (éditions Zones sensibles, 2012) envoya au magazine The Believer un essai sur le suicide de Levi Presley, un adolescent de seize ans qui s’était jeté le 13 juillet 2002 du haut de la tour du Stratosphere hôtel de Las Vegas, une tour conçue par son architecte pour être le symbole même de la ville, à l’instar de la Tour Eiffel pour Paris, ou de l’Empire State Building pour New-York.

«À Las Vegas, le même jour où Levi Presley, âgé de seize ans, a sauté depuis la terrasse panoramique de la tour de l’hôtel-casino Stratosphere, haute de 350 mètres, la municipalité a voté l’interdiction provisoire de la danse-contact dans trente-quatre clubs de strip-tease sous licence, des archéologues ont déterré des morceaux de la plus vieille bouteille de Tabasco du monde dans le parking souterrain d’un bar appelé Buckets of Blood, et une femme du Mississippi a battu un poulet nommé Ginger à l’issue d’une partie de morpion de trente-cinq minutes.»

Recevant cet essai, l’éditeur demande à un «fact-checker», Jim Fingal, de vérifier l’exactitude des informations contenues dans cet essai.
C’est ce bras de fer entre un Jim Fingal pointilleux et un John d’Agata qui ne veut rien lâcher qui est rapporté ici, autour et encadrant le récit de l’auteur.

«De la part de l’éditeur
J’ai une mission amusante pour un volontaire. Nous avons reçu un nouveau texte de John D’Agata qui a besoin d’un sérieux fact-checking. Apparemment il a pris quelques libertés, personne ne les lui conteste mais je voudrais savoir jusqu’où elles vont. Donc, si quelqu’un veut s’en charger, il devra passer ça au peigne fin et repérer tout ce qui, en gros et en détail, peut être confirmé et tout ce qui peut être mis en question. Je vous offrirai autant de crayons rouges que nécessaire.
Merci !»

Tatillon, consciencieux jusqu’à l’extrême, raillant souvent les méthodes de l’auteur, Jim Fingal questionne le moindre fait avancé par D’Agata : la température extérieure ce jour-là, 45° et non 47,7°, la direction du vent, l’heure exacte du suicide, la durée en secondes de la chute de Levi Presley... questions auxquelles John D’Agata répond de manière amusée, dédaigneuse ou franchement énervée.

«Je ne supporte plus que l’écriture d’un essai implique de se laisser terroriser par des lecteurs bornés, eux-mêmes morts de trouille à l’idée de s’aventurer sur un terrain qui ne soit pas annoté et vérifié par dix-sept sources différentes. Mon job n’est pas de recréer un monde qui existe déjà et de tendre un miroir aux lecteurs en espérant que ça aura l’air vrai. Si un miroir suffisait à rendre compte de l’expérience humaine, je doute que notre espèce ait inventé la littérature.»

Autour de ce fait divers tragique, fascinant tant il est emblématique de la tristesse et du vide du divertissement à paillettes, et qui rappelle le «Zéropolis» de Bruce Bégout, la joute interminable entre les deux hommes sur des faits qui semblent indifféremment majeurs ou dérisoires (puisque Jim Fingal mène à bien sa mission de vérification avec un soin obsessionnel) se transforme en un dialogue de titans, en un passionnant combat théorique sur les frontières entre reportage et littérature, sur le rôle de l’art assiégé dans une société dominée par les experts, sur la profondeur du réel et la difficulté d'en rendre compte, sur la nécessité pour l’écrivain de travestir la réalité pour la rendre vraisemblable, et sur le rapport de l’écriture au réel.

«John : Je ne méprise pas les lecteurs, Jim, mais quel est l’intérêt de se tourner vers l’art si c’est pour exiger de savoir à l’avance « dans quoi on est en train de mettre les pieds » ? Si c’est pour réclamer à la littérature une assurance contre les risques d’être « berné » ou « égaré ». Ce dont vous parlez, c’est de l’art pour galerie commerciale.»

Paru en français en 2012, et traduit de l’anglais par Henry Colomer pour les éditions Vies parallèles en mars 2015, le livre est non seulement passionnant et souvent très drôle, mais aussi un objet magnifique à lire à partir de son noyau central – le récit - ou par ses contours, tous les chemins étant également jubilatoires.

Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/06/19/note-de-lecture-que-faire-de-ce-corps-qui-tombe-john-dagata-jim-fingal/
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En 2005, l'écrivain John D'Agata envoyait au magazine The Believer un essai dans lequel il racontait le suicide trois ans plus tôt, à Las Vegas, d'un jeune homme, et à travers cela, le sujet plus général des suicides d'adolescents dans l'état du Nevada.
Aux USA, les articles sont relus par des fact checkers, qui vérifient les faits qui y sont énoncés. L'éditeur a donc confié ce texte à John Fingal, stagiaire, qui y a trouvé beaucoup à redire : les données n'étaient pas toujours exactes, les descriptions arrangées, les citations ne pouvaient pas être vérifiées… Encouragé par son chef, il a donc contacté l'auteur directement par mail pour lui demander de changer point par point son essai.

Ce livre retrace ce dialogue entre le fact checker, qui recherche avant tout l'exactitude des faits, et l'auteur, qui défend sa vision littéraire. Cela donne un échange passionnant sur ce qu'est la fiction, le documentaire, l'essai, les choix que font les auteurs et comment ils construisent leur texte. Où se trouve la différence entre littérature et journalisme ? Un auteur peut-il raconter un fait réel et le modifier légèrement pour rendre le récit plus vivant, plus marquant ? Est-il grave de dire que la chute de l'adolescent a duré 8 secondes plutôt que 9, pour une question de rythme ?

L'échange entre les deux hommes est tour à tour tendu, drôle, absurde. Entre un Jim Fingal vraiment très tatillon ("(...) pendant une grande partie de la nuit, le ventétait établi au so/s/sso, ce qui signifie qu'il soufflait du nord-ouest, pas de l'est. Je pense que John n'a pas su lire la direction du vent.") et un John d'Agata parfois carrément méprisant et désagréable ("non, c'est lourd et c'est ridicule. Laissez tomber. Et s'il vous plaît, à l'avenir, évitez d'écrire à ma place. Merci."), on oscille entre deux pensées complètement opposées que la confrontation met en lumière.

La mise en page du livre est très bien faite (cf. photo en commentaire) et essentielle à la bonne compréhension du dialogue, avec au centre le texte original de l'essai et tout autour les emails qui font référence au passage en question. J'ai pour ma part pris le parti de lire d'abord l'essai en entier, puis de lire les mails, pour avoir une idée d'ensemble du texte et non pas le voir par fragments comme on le fait forcément à la lecture des remarques du stagiaire.

C'est un ouvrage qui donne beaucoup à réfléchir et que je recommande à tous ceux qui s'intéressent au processus d'écriture. Bravo à l'éditeur et aux auteurs d'avoir eu l'idée de partager cela (et d'avoir proposé ce magnifique titre)!
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critiques presse (2)
Telerama
17 juin 2015
Un tourbillon jouissif sur le danger de raconter, quand il s'agit d'une histoire vraie.
Lire la critique sur le site : Telerama
Liberation
07 avril 2015
Que faire de ce corps qui tombe est une double célébration. De la liberté absolue de la littérature, d’un côté. De l’autre, de l’incroyable densité de la réalité.
Lire la critique sur le site : Liberation

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