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sur 94 notes
Ça fait quand même un moment que l'industrie hollywoodienne nous impose son hypocrisie, ses quotas et sa pseudo morale avec un acteur noir par ci, un acteur latino par là (c'est plus récent), un acteur asiatique par ici (c'est encore plus frais), un homosexuel par là, etc., etc. Les deux derniers trucs à la mode, c'est de transformer un héros blanc bon teint en héros à la peau noir, ou, dernière trouvaille merveilleuse, en femme. Alexandre Astier lui-même, qui n'est en général pas peu fier de son originalité créative, s'est moulé tout gentiment dans le modèle consensuel nord-américain.Ça peut fonctionner parfois, ça peut avoir un intérêt réel (même si c'est franchement rare), mais la plupart du temps, non seulement ça ne fait pas sens, non seulement ça fleure bon la mascarade, mais ça fait carrément contre-sens. Dernier exemple désastreux en date : le remake des chevaliers du Zodiaque par Netflix, qui n'a strictement rien compris à la philosophie de l'anime, et a transformé en femme badasse un personnage masculin qui incarnait justement une autre image de la virilité que celle du combattant lourdingue. Cela dit, comme il existe un réel problème d'accès à la culture aux États-Unis, et c'est rien de le dire, on peut comprendre que le public nord-américain gobe ça tout cru. On fait semblant de gommer sur écran les inégalités sociales et sociétales en tous genres, et les flics blancs peuvent continuer à flinguer tranquillement des citoyens noirs dans la rue, les femmes sont toujours priées de faire du bénévolat (excellente démarche pour lutter contre le chômage, mais il est bien connu qu'il n'y a pas de chômage aux États-Unis), de bosser à temps partiel et de rester dépendantes sur le plan financier, les Latinos ont toujours autant de mal à trouver un boulot correct, voire un boulot tout court, le communautarisme est un modèle de vie, et j'en passe. Mais pas de problème, du moment qu'Hollywood pratique un joli lifting qui masque tout ça.

Et quel rapport avec La quête onirique de Vellit Boe ? Tout. Kij Johnson, en bonne citoyenne des États-Unis qui n'a jamais réfléchi à la tartuferie que tout ça représente mais tout ingéré sans se poser de questions, a repris tous ces codes pour concocter une bouse prétendant dénoncer la misogynie et le racisme de Lovecraft. Oui, parce qu'avant Kij Johnson, absolument personne ne s'était rendu compte que Lovecraft était raciste. Donc, heureusement qu'elle était là pour nous apporter LA révélation. À ce point, on ne peut même plus parler de révélation mais carrément d'épiphanie : je pense que le mot n'est pas trop fort. Donc, Kij Johnson se veut, ni plus ni moins, l’écrivain qui a remis Lovecraft à sa place. Sauf que... Sauf que déjà, pour écrire, il faut avoir des idées. Je ne suis a priori pas contre le fait de reprendre un personnage, un univers, de le rendre malléable et de l'enrichir. Mais reprendre le schéma d'un autre roman, avec en gros les mêmes péripéties, en changeant juste deux-trois trucs par-ci par-là et en transformant le héros en femme, sous un prétexte fallacieux et, pire qui recèle des clichés qui valent largement ceux de Lovecraft, on ne peut pas appeler ça de la création. Bon, je peux reconnaître à Johnson un meilleur sens du rythme que celui de Lovecraft dans La quête onirique de Kadath, qui manque cruellement, à mon sens, à ce roman (roman que je n'aime pas plus que ça, d'ailleurs). Mais pour le reste, ça revient juste à surfer sur la vague très lucrative de la mode lovecraftienne, mode bien juteuse ces temps-ci. Mais ce n'est évidemment pas le but de Johnson que de faire des ventes faciles avec un roman qui se vendra de toute façon comme des petits pains...

Passons au plat principal : la misogynie et le racisme. Où est-il question de dénoncer le racisme d'une société (américaine ou autre) dans La quête onirique de Vellit Boe ? Jamais. Les personnages sont presque tous d'une blancheur de peau immaculée, dont Vellit Boe, l’héroïne. Un ou deux autres ont vaguement le teint hâlé, et voilà. Y a-t-il une interrogation posée sur les discriminations ethniques ? Non. Y a t-il des manifestations de discrimination de la part de Vellit Boe envers des créatures qui ne lui ressemblent pas du tout ? Oui, et pas qu'un peu. On peut clairement noter son dégoût pour plusieurs créatures des mondes oniriques, même si elle finit par s'y habituer parfois vaguement. Las chats, c'est cool, elle connaît. Les autres créatures qu'elle n'a jamais appris à côtoyer, c’est cracra. Et puis celle des créatures "dégoûtantes" qui la suit le plus longtemps va se transformer en bagnole à la fin : ben ouais, un bel objet utilitaire, c'est quand même mieux qu'un ami qu'on trouve moche (oui, je divulgâche, et je m'en fous). Voilà pour le racisme : Johnson nous fait une belle démonstration de ses propres préjugés (et vu ce qu'elle dit des créatures fantastiques des mondes oniriques, je n'ose même pas imaginer ce qu’elle pense des clochards, par exemple. Je suppose qu'elle les trouverait plus charmants si on les transformait en voitures).

Quid à présent de la misogynie ? Comme je l'écrivais en début de critique, ce serait si facile si on se contentait de remplacer un héros masculin par une héroïne et qu'on réglait ainsi tous les problèmes. Visiblement, c'est ce que prétend réussir Johnson. Sauf que là encore, il y a un léger hic. Car La quête onirique de Vellit Boe est un roman sexiste. Alors en effet, ce ne sont pas les femmes qui sont en première ligne. Ce sont les hommes. Ici, les hommes sont lâches, voire brutaux, rêveurs donc puérils, incapables d'affronter la vie, pénibles, inutiles. Remplacer un type de sexisme par un autre, voilà qui est constructif, ma foi ! Quant aux petites phrases de Kij Johnson, qui joue l'innocence dans l’interview de fin de livre, tout en affirmant que certaines femmes violées ont tout intérêt à donner dans le déni et à éviter se considérer comme victimes, je ne crois pas que ça aide beaucoup les victimes (car oui, ce sont des victimes) de viols... Par conséquent, et au-delà de cette dernière et épineuse question, on a là un roman aux tendances discriminatoires, et clairement sexiste. Et quand vous saurez qu'en 2017 , Johson n'a rien de trouvé de mieux que d'écrire le remake du Vent dans les saules en remplaçant les personnages masculins par des personnages féminins, vous aurez compris qu'elle explpite juste un bon filon, sur la base d’œuvres littéraires inventées par d'autres qu'elle. On attend donc dans les années à venir Le Hobbit avec une hobbite et des naines, Vingt mille lieues sous les mers avec une capitaine et un équipage féminin, un docteur Jekyll qui se transformerait en femme, etc. etc. C'est à pleurer.

Et je ne sais même pas ce que me dérange le plus dans tout ça. Parce qu’en sus, Kij Johnson, ça se sent dans le roman mais ça se se confirme dans l'interview, ne connaît pratiquement rien à Lovecraft. Pire, elle n'a rien compris à La quête onirique de Kadath, qui est une ode à la nostalgie de l’enfance. C'est pourtant clair, faut pas un QI de 180 pour le comprendre, mais elle est complètement passée à coté de ça ; là aussi, c'est à pleurer. Parce que la conclusion de La quête onirique de Vellit Boe, c'est qu'être serveuse à mi-temps dans un café miteux aux États-Unis pour pouvoir se payer des études au rabais, c'est le pied, que conduire un 4x4, c'est le pied (message hautement écologique), que se nourrir en se faisant livrer de la bouffe industrielle, c'est le pied, et, cerise sur la gâteau (je l'ai déjà dit, mais il faut que je le répète), que les créatures vivantes qui nous dérangent parce qu'elles sont trop différentes de nous, c'est le pied de les voir être reléguées au statut d’objets utilitaires. Belle morale, ma foi, qui fait sacrément honneur à son auteur ! Ah oui, et j’oubliais un détail, Kij Johnson affirme ceci dans son interview : "J'ai grandi dans un coin de campagne où tout le monde était d'origine allemande, norvégienne ou suédoise, sans trop penser aux questions de races [en France, on n’utilise pas le terme de race, évidemment], une problématique qui me semblait essentiellement urbaine." Alors c'est marrant ; qu’elle n'ait jamais réfléchi au racisme, ça, on l'avait bien compris, mais on notera au passage qu'il n'est pas question dans ce coin de campagne, dont le racisme était - évidemment ! - absent, d’Africains, d'Asiatiques, de Latino-Américains, d'Océaniens...

Et j'ai donc envie de dire que, franchement, on ne prétend pas se réapproprier Lovecraft (ou n’importe qui d'autre) quand on connaît très peu et très mal son œuvre. Qu'on ne prétend pas donner des leçons d'anti-misogynie lorsqu’on est soi-même sexiste, ou d’anti-racisme quand on suinte les clichés discriminatoires. Et qu'on ne prétend pas donner des cours d'écriture fictive (c'est le métier de Johnson) quand on écrit des nullités soi-même. Mais ce qui me rend le plus triste, que Le Bélial', d'abord, s'abaisse à publier ce genre de bouse sous prétexte de faire du chiffre, et ensuite de me rendre compte que le lectorat français se fait avoir aussi facilement que le lectorat nord-américain avec ce genre de supercherie. Misère !
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Il y a quelques années j'avais beaucoup apprécié ma lecture de la novella « Un pont sur la brume » et je m'étais promis de suivre l'auteure Kij Johnson. Me voilà donc à lire le roman « la quête onirique de Vellit Boe » qui se veut une variation du roman de Lovecraft « La quête onirique de Kadath l'inconnue ». Une auteure qui m'avait fait une première bonne impression, HPL, les ingrédients étaient là pour me séduire. Il n'en est rien. Je ressors de ma lecture plus que déçue, presque en colère car « la quête onirique de Vellit Boe » est très mauvais, navrant.

Je n'ai pas lu le roman de Lovecraft dont s'inspire ici Johnson mais je connais suffisamment les écrits du maître de Providence pour pouvoir comparer les deux oeuvres. Il me semble que Johnson n'aime pas Lovecraft, c'est ce qui transparait tout au long du roman et aussi dans l'interview qui suit. L'auteure explique pourquoi elle a voulu proposer une variation de l'oeuvre de HPL, gênée qu'elle était par le racisme et le côté rétrograde de Lovecraft. Elle ajoute qu'elle n'a pas lu Lovecraft de la même façon adulte qu'elle l'avait lue étant adolescente. Et bien moi, je lis Lovecraft aujourd'hui comme je le lisais autrefois, toujours aussi enthousiasmée par l'angoisse qu'il sait susciter. J'avoue en outre que le racisme de Lovecraft ne pollue en rien le plaisir que j'ai à le lire. J'en fais abstraction, je le mets de côté et je me délecte de l'atmosphère et du talent de l'écrivain. Dans l'interview, Johnson ose même dire que « la quête onirique de Kadath » n'est pas très bien écrit ni très bien mené, que le personnage principal est plat et mal caractérisé. C'est là que la moutarde me monte au nez. Comment Johnson se permet-elle de juger de façon si péremptoire et si prétentieuse l'oeuvre d'un auteur dont elle ne parvient pas à la cheville ? Prétend-elle faire mieux avec son « Vellit Boe » ? C'est ce que laisse penser cette interview. Or, « la quête onirique de Vellit Boe » est un roman absolument désolant en tous points. Tout d'abord, le personnage principal est totalement insipide, plate et sans intérêt. D'autre part, le récit est extrêmement mal mené et raconté. Chez Lovecraft, il ne se passe pas forcément des choses tout le temps, ses récits ne sont pas vraiment trépidants. Mais, il sait installer une ambiance, une atmosphère et créer un crescendo qui met le récit sous tension et le rend addictif. Chez Johnson, tout est une platitude infinie, il n'y a aucun relief. Les péripéties s'enchaînent en donnant l'impression qu'il ne se passe strictement rien, que le personnage n'est jamais en danger. Quel ennui ! le périple de Vellit Boe ressemble à une randonnée du 3ème âge qui l'emmène jusqu'à un dénouement totalement ridicule avec son héroïne qui sait tout instinctivement du monde dans lequel elle vient d'arriver au volant de sa créature transformée en voiture.

Il ne suffit pas d'utiliser l'univers créé par un autre pour prétendre le révolutionner. Il ne suffit pas de mettre du Lovecraft à toutes les pages pour prétendre qu'on a compris son oeuvre. Ah ça oui, Johnson ne cesse de citer Lovecraft, Ulthar, Kadath, les zoogs, les chats… mais ce qu'elle est bien incapable de faire c'est de créer une atmosphère. du coup, j'en viens à me demander si la réussite d'un « Pont sur la brume » était un coup de chance ou bien si je m'étais faite avoir à l'époque. En tout cas, Kij Johnson c'est fini pour moi mais par contre, je compte bien lire tout plein d'autres Lovecraft.
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C'est bel et bien la couverture exceptionnelle du roman qui m'a poussée à le lire ! Et je ne le regrette pas car j'ai voyagé plaisamment dans un univers singulier.
Bien sûr, j'avais lu des avis et des informations autour de ce roman. Je sais qu'il est une sorte de prolongement d'une oeuvre de Lovecraft, que je n'ai jamais lu et qui ne me tente pas du tout pour l'instant (n'en déplaise aux amateurs). Alors lorsque j'ai trouvé qu'il manquait des explications ou des descriptions pour appréhender le monde dans lequel évoluent les personnages, je savais que cela était dû à cette lacune. Cela dit, je n'ai pas été gênée outre mesure.
Je suis entrée progressivement dans cette lecture, me laissant porter par le style qui m'a touchée dès les premières lignes avec ce vocabulaire précis et riche, ces phrases mesurées et empruntes d'une certaine poésie. le personnage de Vellitt est d'emblée charismatique et j'ai aussitôt apprécié son regard sur les choses et son recul vis-à-vis du passé. Il ne s'agit pas d'un roman initiatique puisque Vellitt est âgée et a déjà fait le plein de très nombreuses expériences avant de s'installer dans une vie calme et rangée. C'est peut-être davantage la conclusion de toutes ses expériences pour parvenir au bout de cette quête.
Si le parcours de Vellitt m'a semblé intéressant, j'en ai surtout apprécié la deuxième partie malgré quelques passages peu vraisemblables et des facilités excessives parfois.
Il me restera en mémoire de nombreuses images, certaines lumineuses d'autres plus sombres, de ce parcours.
Une expérience de lecture enrichissante.
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Je me suis lancé dans ce roman sur le seul nom de son auteure, Kij Johnson, dont j'avais beaucoup aimé "Un pont sur la brume", un petit bijou de fantastique rêveur.

Je ne connaissais pas les nouvelles de H.P. Lovecraft à la base de ce livre. Je dois préciser que ce n'est vraiment pas un de mes auteurs favoris... J'ai appris leur existence et leur importance dans la narration grâce à un entretien-bonus publié en guise de postface.

Je m'apprêtais à louer les grandes qualités d'inventivité de son autrice. Et je persiste dans cette très bonne impression, malgré cette découverte tardive. Je ne suis évidemment pas en mesure de "rendre à César" Lovecraft ce qui est de lui, mais c'est un bel univers, entre rêve et réalité, que celui imaginé par Kij Johnson.

La grande quantité de goules et autres monstres souterrains indescriptibles aurait dû me mettre la puce à l'oreille, mais je me suis seulement laissé emporter dans le sillage de Vellit Boe, par son énergie et son courage dans ses recherches sans cesse contrariées.

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Un bien étrange roman a paru chez les éditions le Bélial' en ce mois de mars 2018...

Oui, La Quête onirique de Vellitt Boe est d'abord un récit étrange et beau. Nous suivons l'aventure, au début charmante, de Vellitt Boe, enseignante cinquantenaire au Collège de femmes d'Ulthar, est réveillée en sursaut car l'une des pensionnaires, la meilleure même semble-t-il, a quitté l'institution en catimini pour suivre un « Rêveur ». Imaginez donc une professeure McGonagall réveillée en panique par Ginny Weasley parce que Hermione Granger a fugué pour rejoindre un puissant Moldu dont elle est amoureuse… Minerva ne s'en laisserait pas compter, eh bien Vellitt encore moins, d'autant que celle-ci a connu dans sa jeunesse des aventures ô combien trépidantes et aventureuses. Courir après la fugueuse est ainsi l'occasion de reprendre la route, de s'échapper d'un quotidien peut-être devenu banal et de retrouver l'onirisme des Contrées du rêve. Dans cette quête, tout semble à la fois logique et réaliste dans les descriptions, mais tout aussi bizarre et impossible quand des étrangetés surviennent, comme le fait que certaines distances des Contrées du rêve dépendent au fond du bon vouloir des dieux endormis et peuvent parfois s'étirer ou se rapprocher sans cohérence. La beauté du texte tient à la fois au contenu (des portes enchantées, des villes qui émergent de l'océan, ce chat qui suit constamment l'héroïne, etc.), à la forme (l'autrice aime s'appuyer sur les sensations de son héroïne, cela est visible dès l'incipit et son réveil progressif, comme un retour à la réalité, alors qu'elle s'éveille dans les Contrées du rêve) et à l'onirisme trouble qui rôde à chaque coin de forêt, de montagne ou de rivière.
Les sous-entendus sont particulièrement évidents pour ceux qui connaissent l'oeuvre de H. P. Lovecraft, mais ce n'est sûrement pas le cas pour tous. Donc, il faut bien préciser que ce roman est un hommage particulièrement référencé aux Contrées du rêve de ce maître du fantastique horrifique. Toutefois, c'est un hommage à double sens. En effet, d'un côté, tous les détails (en tout cas, à ce que je peux en cerner) des canons lovecraftiens sont respectés (les lieux, certains personnages et créatures, la puissance des dieux endormis), au point que la quête ressemble parfois à un méticuleux guide de voyage. D'un autre côté, Kij Johnson use de cet hommage pour glisser vers le pastiche astucieux en pointant l'un des grands travers de Locevraft : le sexisme. Là où celui-ci ne considérait que des hommes, société patriarcale oblige (et on peut faire les mêmes remarques pour le racisme d'époque), Kij Johnson propose une aventure où les personnages féminins ont le beau rôle : elles déclenchent l'intrigue, elles tentent des choses, elles résolvent leurs problèmes… au fond, elles se débrouillent seules. L'apparition voulue du héros lovecraftien, Randolph Carter, renvoit à sa propre Quête onirique de Kadath l'inconnue, mais c'est surtout l'occasion de placer un contrepoint bienvenu mais un brin machiste face à cette héroïne qui dépote au fur et à mesure qu'elle retrouve ses habitudes de jeune aventurière.
Enfin, il ne faut pas négliger l'aspect graphique et visuel de ce roman. En effet, les éditions le Bélial' ont opté pour un objet particulièrement décoré, histoire d'agrémenter le texte qui, au départ, n'est pas très long (une novella pour la terminologie anglo-saxonne). C'est Nicolas Fructus qui officie ici, non seulement à la couverture, où le symbole du roman est bien saisi et attire l'oeil, mais aussi et surtout dans les illustrations intérieures. Ainsi, c'est l'occasion d'avoir des visions parfois ensorcelantes, parfois cauchemardesques de certains lieux et personnages du roman, c'est à voir. Et si jamais vous le croisez en dédicace, il semble partant pour ajouter un visuel à votre exemplaire. Enfin, notez bien que le roman est agrémenté dans les rabais de début et de fin d'ouvrage d'une carte des Contrées du rêve tout à fait charmante, qui se révèle bien utile pour suivre le long périple de Vellitt Boe pour trouver la clé du monde de l'Éveil.

La Quête onirique de Vellitt Boe est donc un bien bel ouvrage recellant un récit charmant (c'est définitivement ce mot qui correspond le mieux). Lisez-le avant de rêver.
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Auteur prolifique aux États-Unis, Kij Johnson est malheureusement assez peu connue du public français. Et c'est bien dommage, car après l'excellent « Un pont sur la brume », la seconde oeuvre traduite de l'auteur est encore une fois une réussite. le pari était pourtant risqué, l'auteur ayant choisi de s'inspirer d'un texte du maître du fantastique, H. P. Lovecraft, pour le réadapter en donnant aux femmes un rôle bien plus conséquent. le roman s'inscrit par cet aspect dans une mouvance en vogue actuellement qui propose de réadapter des oeuvres de ce monstre de la SFFF tout en prenant le contre-pied de ses opinions concernant les « minorités visibles » (les noirs et les femmes, pour faire court). Outre le roman de Kij Johnson on peut également citer celui de Victor Lavalle, « La ballade de Black Tom », qui vient lui aussi de paraître chez le Belial' et propose pour sa part une nouvelle lecture de « Horreur à Red Hook ». Je n'adhère pas particulièrement à l'idée qui se développe actuellement selon laquelle il serait nécessaire de retoucher des oeuvres du passé afin de les faire correspondre à notre vision actuelle du monde, chose qui commence à se multiplier de plus en plus dans différents domaines (changement de noms de tableau, publication d'oeuvres expurgées...). Ce n'est toutefois pas la démarche choisie ici par Kij Johnson qui, plutôt que se contenter de supprimer les mentions misogynes dans le texte de Lovecraft, propose une véritable réinterprétation de l'oeuvre du « maître », avec une réflexion intéressante sur la place de la femme dans ses textes et dans son univers. N'ayant pas lu le texte d'origine sur lequel se base l'auteur (« La quête onirique de Kadath l'inconnue »), j'ai évidemment du passer à côté d'un nombre important de références que ne manqueront toutefois pas de relever les connaisseurs de Lovecraft.

Le roman reste cela dit tout à fait accessible aux lecteurs néophytes qui apprécieront certainement, comme se fut mon cas, de suivre le voyage mouvementée entrepris par Vellitt Boe. Et quel périple ! Alors qu'elle coulait des jours tranquilles dans le collège de jeune filles d'Ulthar, Vellitt Boe, enseignante vieillissante et ancienne grande voyageuse, découvre qu'une de ses élèves s'est fait la malle avec un garçon. Jusque là rien de très grave. Sauf que le jeune homme en question est un rêveur, ce qui signifie qu'il compte emmener l'étudiante dans son propre monde : le nôtre ! Ni une, ni deux, voilà donc l'énergique cinquantenaire lancée à la poursuite des deux amants. Premier élément qui « jure » carrément dans l'univers de Lovecraft : le protagoniste est une femme. Et qui plus est une femme aguerrie et particulièrement débrouillarde ! Mais ce qui fait de ce roman une oeuvre féministe, c'est avant tout l'ensemble des remarques effectuées par le personnage qui permettent de brosser un portrait à mon sens très pertinent de la place accordée aux femmes dans ces Contrées du rêve. On apprend par exemple que, s'il y a des rêveurs, il n'y a en revanche pas de rêveuses, une preuve selon certains que les femmes « ne rêvent pas en grand », trop obnubilées par les tâches ménagères et les enfants. Charmant... L'auteur se penche aussi brièvement sur la question du viol (l'héroïne jugeant positif de n'avoir été violée « qu'une seule fois »), ainsi que sur le comportement tour à tour condescendant ou méprisant des hommes à l'égard des femmes qui sortiraient un peu trop du rôle qu'on leur a attribué. J'ai pour ma part beaucoup apprécié la personnalité de l'héroïne, une vraie baroudeuse qui sait se débrouiller sans l'aide de personne et qui est capable de faire preuve de beaucoup de recul sur ses expériences de jeunesse ainsi que sur son vieillissement.

Le second gros attrait de l'ouvrage réside évidemment dans l'étrangeté et la richesse de son univers, ici les Contrées du rêve. Un monde dans lequel presque aucune de nos règles ne s'applique : le temps pour effectuer une même distance varie d'un jour à l'autre, le ciel n'a rien à voir avec notre étendue bleue immobile... Ces vastes territoires sont de plus peuplés de créatures toutes plus étranges les unes que les autres, dont certaines sont vraiment horrifiques. La dernière partie du voyage de l'héroïne est notamment très oppressante, avec des passages assez gores qui nécessitent d'avoir l'estomac bien accroché. La quête prolongée de Vellitt Boe fournit au lecteur l'occasion idéale d'arpenter une bonne partie de cet univers et de ses lieux emblématiques : Ulthar, la forêt des zoogs, Ilek Vad, la mer cérénarienne... On rencontre aussi un certain nombre de personnages dont j'ai cru comprendre qu'ils sont déjà présents dans l'oeuvre d'origine comme le chat d'Ulthar ou encore Randolph Carter, le héros du texte dont s'inspire ici l'auteur. J'ai à ce propos beaucoup aimé le regard que porte Vellitt Boe sur ce personnage qui se révèle au final être assez vide, un « blanc bec sans grande jugeote à qui l'on a donné un vaste terrain de jeu et l'illusion du pouvoir » (dixit l'auteur elle-même). La seule chose qui m'a gêné tient en fait au rythme adopté par le récit qui passe parfois très vite sur des endroits ou des événements à propos desquels j'aurais aimé en savoir plus, tandis qu'il s'attarde trop longuement sur des passages moins captivants (je pense notamment à la dernière partie dans les entrailles de la terre). le tout reste tout de même de bonne facture, et si vous aviez besoin d'un argument supplémentaire pour vous laissez tenter, sachez que l'ouvrage dispose d'un écrin particulièrement soigné, avec une très belle carte en couleur signée Serena Malyon, une couverture et des illustrations intérieures de Nicolas Fructus, et un entretien avec l'auteur qui revient sur l'ensemble de sa carrière et son rapport avec l'oeuvre de Lovecraft.

Kij Johnson propose avec cette « Quête onirique de Vellitt Boe » un roman idéal non seulement pour les connaisseurs de Lovecraft, qui se régaleront des nombreux clins d'oeil à l'oeuvre d'origine, mais aussi pour les néophytes qui souhaiteraient en savoir un peu plus sur l'univers de l'auteur avant de se lancer dans le matériel d'origine. L'auteur livre de plus une réflexion très pertinente de la place des femmes dans l'oeuvre de Lovecraft et met en scène une héroïne débrouillarde et très attachante dont on prend plaisir à suivre le périple. Une belle découverte.
Lien : https://lebibliocosme.fr/201..
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Un nouveau titre de cette auteure dont j'avais beaucoup aimé "Un pont sur la brume". Je l'avoue mon avis est plus mitigé pour ce titre. J'ai retrouvé le style poétique et nébuleux auquel j'avais accroché.
Dans cette quête, on suit Vellitt Boe, une vieille professeur de mathématiques qui part à travers les contrées du Rêve jusqu'au monde de l'Eveil pour retrouver l'une des ses étudiantes en fuite, Clarie Jurat. Je reste assez perplexe des paysages et créatures rencontrés, les mots propres à l'univers du Rêve sont nombreux et je m'y suis parfois un peu perdue. Et j'avais comme l'étrange impression qu'il me manquait quelques clés pour comprendre pleinement les références distillées par l'auteure. N'ayant jamais lu Lovecraft (à part La maison de la sorcière), je n'ai su retrouver l'atmosphère qui visiblement imprègne ce roman. Le personnage du chat noir m'a intriguée tout du long et finalement un peu laissée sur ma fain, est-ce une incarnation d'un dieu, à l'image des avatars de Bastett dans American Gods ?
J'ai aimé la poésie du style mais reste un peu frustrée de cette histoire trop simple et de ce vocabulaire trop hermétique pour moi. Je m'attendais à mieux même si ce fut une agréable lecture.
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lovecraftien... et féministe !

S'inscrivant dans une mouvance littéraire qui a pris de l'ampleur ces dernières années, et qui consiste à donner une voix à ceux qui n'en ont pas dans les univers lovecraftiens (la personne de couleur, ou la femme ici) tout en rendant hommage à ces derniers, La quête onirique de Vellitt Boe est évidemment une sorte de contrepartie féminine (et féministe, progressiste) à celle de Randolph Carter chez l'écrivain de Providence. Son sous-texte interroge donc la place de la femme, que ce soit dans les Contrées du rêve, l'oeuvre de Lovecraft ou nos sociétés bien réelles. Son texte principal, lui, offre une aventure sympathique (et vaguement young adult) s'inscrivant avec aisance dans les codes oniriques lovecraftiens tout en n'atteignant pas la puissance évocatrice de la quête onirique de Kadath l'inconnue (à part dans les dernières pages) ou d'autres textes oniriques de l'américain. D'ailleurs, si le roman de Johnson est lisible sans rien connaître du volet Fantasy de la bibliographie de Lovecraft (voire sans avoir jamais rien lu écrit par ce dernier), il ne prendra cependant son plein sens qu'en connaissant ses textes centraux, dont celui consacré à Randolph Carter, aux Chats d'Ulthar, à la Malédiction de Sarnath ou aux Autres dieux. Et évidemment, difficile d'établir la pleine mesure du « négatif » (au sens photographique du terme, comme le déclare très justement l'auteure) établi par Johnson si on ne connaît pas l'original. En tout cas, j'en ressors plutôt satisfait dans l'ensemble (aussi bien sur le volet aventure que sur celui « je revisite Lovecraft dans une perspective féministe » ou encore sur le plan d'une construction très astucieuse).

Ceci n'est que résumé de ma critique complète, que vous pouvez lire sur mon blog.
Lien : https://lecultedapophis.com/..
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Ce court roman débute avec une bonne idée. Il s'agit d'explorer l'univers de Lovecraft, mais d'un point de vue féminin.

Un peu comme l'a fait Lovecraft Country sur les questions raciales.

On y suit Vellitt Boe, une aventurière devenue professeure de mathématique au seul collège pour femme du monde des rêves. Une étudiante s'enfuit avec un rêveur (un humain de notre monde), et Boe doit la retrouver.

Et le début du livre est intéressant, ainsi que sa fin. Donc le gros défaut de ce roman est d'avoir sa partie centrale, où l'histoire stagne, où rien n'a vraiment d'impact sur aucun personnage.

Ce qui aurait pu être une excellente nouvelle devient ici un roman moyen.
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A bas le jeunisme : les vieilles aussi ont le droit à leur quête initiatique !

Suite à la fugue d'une de ses élèves dont, malheureusement, le père est un riche donateur, une vieille prof prend son ballot et part à la recherche de sa protégée. le pitch aurait pu faire un magnifique téléfilm américain diffusé l'après midi sur M6 ou TF1, mais Kij a préféré en tirer une nouvelle fantastique se déroulant dans les contrées du rêve. Ouf !

Faire d'une vieille marcheuse une nouvelle qui tient le lecteur en haleine n'est pas donné à tout le monde. Avec le mystère entourant le passé de la voyageuse, les contrées plus fantasmatiques les unes que les autres ou encore ce chat noir qui ne quitte pas les pas de Vellitt, on prend le pas de cette prof et on se demande vers où veut nous emmener l'autrice.

Les clefs de ce monde fantasmagorique nous sont livrés peu à peu, comme le passé de cette bourlingueuse. Ceci dit, l'histoire est assez linéaire : malgré la profusion d'ennemis lancés à ses trousses, dont les Dieux eux mêmes, Vellitt sans sort à peu près sans égratignures. Et la fin n'est pas à la hauteur du reste, me laissant un tout ça pour ça !

Avec une chatte en couverture, je pensais que la présence féline allait être bien plus importante. En lisant les avis des uns et des autres, pour comprendre cette place du chat, la connaissance de Lovecraft reste indispensable. En effet, ce texte est une réécriture de la Quête onirique de Kadath l'inconnue. Ce dernier était raciste et ne laissait que peu de place aux femmes, Kij en fait un texte féministe, en mettant une héroïne forte accompagnée de quelques égratignures à la société patriarcale. Mais je l'ai trouvé plus intéressante dans sa critique de la religion. Pour moi, il est nécessaire de connaitre le texte original pour apprécier pleinement cette quête.
J'ai pensé à Christopher Priest et son archipel du rêve en lisant ce livre, surtout dans sa partie sur l'eau, car le temps s'écoule différemment dans les contrées du rêve.

Cette édition est illustrée par Nicolas Fructus et se termine par un entretien de l'autrice. Des petits plus toujours bien sympathiques.
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