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EAN : 9782911188336
329 pages
Allia (19/05/1998)
4.4/5   24 notes
Résumé :
Lorsque Montesquieu croise Machiavel, les idées des Lumières sont passées au filtre du réalisme politique dans sa version cynique. Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande... l'action de tous les chefs d'états peut se comprendre dans cette balance entre l'idéal démocratique et la prise en compte factuelle de ce qu'est l'âme humaine. Dans son Dialogue aux enfers, Maurice Joly signe un pamphlet intemporel dont l'actualité étonne. Pour autant, les amateurs d'... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Sous le règne despotique de Napoléon III, Maurice Joly, juriste très opposé au régime, a l'idée de faire dialoguer sur la politique contemporaine deux morts célèbres, Montesquieu qui représente celle du droit et Machiavel celle du totalitarisme, de la force brutale et cynique. Dans une série de dialogues fort bien rédigés, il commence par opposer les principes politiques développés dans les écrits des deux hommes célèbres puis il s'attache à prouver comme thèse générale que le despotisme sans complexe présenté par Machiavel dans « Le Prince » est parvenu par toutes sortes de moyens assez peu avouables à s'imposer définitivement dans les sociétés modernes. Il démontre qu'une perversion de la démocratie et un abâtardissement du principe monarchique traditionnel est parvenu à égarer le bon sens populaire, à dégrader le caractère foncièrement honnête du pays et au bout du compte a corrompu ses moeurs, le livrant sans réaction aux affres de tyrannies plus ou moins ouvertement assumées. C'est de loin la partie la plus passionnante de ce livre de philosophie politique qui a un peu vieilli mais pas tant que cela...
Joly pose la problématique politique sur le terrain de l'affrontement de deux principes opposés (en apparence). D'un côté, Montesquieu, légaliste, libéral, républicain, progressiste, démocrate. En gros, le camp du beau, du bien, de l'idéal et du progrès. Et de l'autre Machiavel, réaliste, roué, pragmatique, réactionnaire, autoritaire, monarchiste et quasi fasciste. A la louche, le camp du moche, du mal, des heures les plus sombres et du retour à la guerre et à la barbarie. Mais si l'on analyse plus finement les arguments des deux bords (et Dieu sait s'ils fusent et pleuvent drus dans cet affrontement de titans de la pensée), on s'aperçoit que rien n'est aussi simple ni aussi tranché. L'enfer est pavé de bonnes intentions. de jolis idéaux souvent utopiques peuvent facilement évoluer en sanglantes dérives totalitaires. Et surtout qu'il suffit de peu de choses pour tromper un peuple et l'asservir. A ce titre, il faut classer ce « Dialogue aux enfers » comme un livre majeur entre « La Psychologie des foules » de le Bon et « 1984 » d'Orwell. Joly fait montre d'une véritable vision prémonitoire de dérives sans doute en germe à son époque mais qui arrivent à leur paroxysme de nos jours. Un peu moins intéressante est la partie où Machiavel tombe le masque et s'exprime comme un Napoléon III sans complexe et surtout l'épilogue, composé de sept courts dialogues de moins haute volée, qui furent écrits plus tard pour un journal et rajoutés dans cette nouvelle édition. Pour toutes celles et tous ceux qui s'intéressent à la « chose publique » et à un homme qui paya d'années de prison puis de la vie d'avoir osé se lever contre le totalitarisme.
Lien : http://www.etpourquoidonc.fr/
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A lire absolument
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Citations et extraits (40) Voir plus Ajouter une citation
Cinquième dialogue

MONTESQUIEU
J’hésite à vous répondre, Machiavel, car il y a dans vos dernières paroles je ne sais quelle raillerie satanique, qui me laisse intérieurement le soupçon que vos discours ne sont pas complètement d’accord avec vos secrètes pensées. Oui, vous avez la fatale éloquence qui fait perdre la trace de la vérité, et vous êtes bien le sombre génie dont le nom est encore l’effroi des générations présentes. Je reconnais de bonne grâce, toutefois, qu’avec un aussi puissant esprit on perdrait trop à se taire ; je veux vous écouter jusqu’au bout, et je veux même vous répondre quoique, dès à présent, j’aie peu d’espoir de vous convaincre. Vous venez de faire de la société moderne un tableau vraiment sinistre ; je ne puis savoir s’il est fidèle, mais il est au moins incomplet, car en toute chose, à côté du mal il y a le bien, et vous ne m’avez montré que le mal ; vous ne m’avez, d’ailleurs, pas donné le moyen de vérifier jusqu’à quel point vous êtes dans le vrai, car je ne sais ni de quels peuples ni de quels États vous avez voulu parler, quand vous m’avez fait cette noire peinture des mœurs contemporaines.
MACHIAVEL
Eh bien, admettons que j’aie pris pour exemple celle de toutes les nations de l’Europe qui est le plus avancée en civilisation, et à qui, je m’empresse de le dire, pourrait le moins s’appliquer le portrait que je viens de faire....
MONTESQUIEU
C’est donc de la France que vous voulez parler ?
MACHIAVEL
Eh bien, oui.
MONTESQUIEU
Vous avez raison, car c’est là qu’ont le moins pénétré les sombres doctrines du matérialisme. C’est la France qui est restée le foyer des grandes idées et des grandes passions dont vous croyez la source tarie, et c’est de là que sont partis ces grands principes du droit public, auxquels vous ne faites point de place dans le gouvernement des États.
MACHIAVEL
Vous pouvez ajouter que c’est le champ d’expérience consacré des théories politiques.
MONTESQUIEU
Je ne connais point d’expérience qui ait encore profité, d’une manière durable, à l’établissement du despotisme, en France pas plus qu’ailleurs, chez les nations contemporaines ; et c’est ce qui tout d’abord me fait trouver bien peu conformes à la réalité des choses, vos théories sur la nécessité du pouvoir absolu. Je ne connais, jusqu’à présent, que deux États en Europe complètement privés des institutions libérales, qui ont modifié de toutes parts l’élément monarchique pur : ce sont la Turquie et la Russie, et encore si vous regardiez de près aux mouvements intérieurs qui s’opèrent au sein de cette dernière puissance, peut-être y trouveriez-vous les symptômes d’une transformation prochaine. Vous m’annoncez, il est vrai, que, dans un avenir plus ou moins rapproché, les peuples, menacés d’une dissolution inévitable, reviendront au despotisme comme à l’arche de salut ; qu’ils se constitueront sous la forme de grandes monarchies absolues, analogues à celles de l’Asie ; ce n’est là qu’une prédiction : dans combien de temps s’accomplira-t-elle ?
MACHIAVEL
Avant un siècle.
MONTESQUIEU
Vous êtes devin ; un siècle, c’est toujours autant de gagné ; mais laissez-moi vous dire maintenant pourquoi votre prédiction ne s’accomplira pas. Les sociétés modernes ne doivent plus être envisagées aujourd’hui avec les yeux du passé. Leurs mœurs, leurs habitudes, leurs besoins, tout a changé. Il ne faut donc pas se fier sans réserve aux inductions de l’analogie historique, quand il s’agit de juger de leurs destinées. Il faut se garder surtout de prendre pour des lois universelles des faits qui ne sont que des accidents, et de transformer en règles générales les nécessités de telles situations ou de tels temps. De ce que le despotisme est arrivé plusieurs fois dans l’histoire, comme conséquence des perturbations sociales, s’ensuit-il qu’il doit être pris pour règle de gouvernement ? De ce qu’il a pu servir de transition dans le passé, en conclurai-je qu’il soit propre à résoudre les crises des époques modernes ? N’est-il pas plus rationnel de dire que d’autres maux appellent d’autres remèdes, d’autres problèmes d’autres solutions, d’autres mœurs sociales d’autres mœurs politiques ? Une loi invariable des sociétés, c’est qu’elles tendent au perfectionnement, au progrès ; l’éternelle sagesse les y a, si je puis le dire, condamnées ; elle leur a refusé le mouvement en sens contraire. Ce progrès, il faut qu’elles l’atteignent.
MACHIAVEL
Ou qu’elles meurent.
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Premier dialogue

MACHIAVEL
Sur les bords de cette plage déserte, on m’a dit que je rencontrerais l’ombre du grand Montesquieu. Est-ce elle-même qui est devant moi ?
MONTESQUIEU
Le nom de Grand n’appartient ici à personne, ô Machiavel ! Mais je suis celui que vous cherchez.
MACHIAVEL
Parmi les personnages illustres dont les ombres peuplent le séjour des ténèbres, il n’en est point que j’aie plus souhaité de rencontrer que Montesquieu. Refoulé dans ces espaces inconnus par la migration des âmes, je rends grâces au hasard qui me met enfin en présence de l’auteur de l’Esprit des lois.
MONTESQUIEU
L’ancien secrétaire d’État de la République florentine n’a point encore oublié le langage des cours. Mais que peuvent avoir à échanger ceux qui ont franchi ces sombres rivages, si ce n’est des angoisses et des regrets ?
MACHIAVEL
Est-ce le philosophe, est-ce l’homme d’État qui parle ainsi ? Qu’importe la mort pour ceux qui ont vécu par la pensée, puisque la pensée ne meurt pas ? Je ne connais pas, quant à moi, de condition plus tolérable que celle qui nous est faite ici jusqu’au jour du jugement dernier. Être délivré des soins et des soucis de la vie matérielle, vivre dans le domaine de la raison pure, pouvoir s’entretenir avec les grands hommes qui ont rempli l’univers du bruit de leur nom ; suivre de loin les révolutions des États, la chute et la transformation des empires, méditer sur leurs constitutions nouvelles, sur les changements apportés dans les mœurs et dans les idées des peuples de l’Europe, sur les progrès de leur civilisation, dans la politique, dans les arts, dans l’industrie, comme dans la sphère des idées philosophiques, quel théâtre pour la pensée ! Que de sujets d’étonnement ! que de points de vue nouveaux ! Que de révélations inouïes ! Que de merveilles, s’il faut en croire les ombres qui descendent ici ! La mort est pour nous comme une retraite profonde où nous achevons de recueillir les leçons de l’histoire et les titres de l’humanité. Le néant lui-même n’a pu briser tous les liens qui nous rattachent à la terre, car la postérité s’entretient encore de ceux qui, comme vous, ont imprimé de grands mouvements à l’esprit humain. Vos principes politiques règnent, à l’heure qu’il est, sur près de la moitié de l’Europe ; et si quelqu’un peut être affranchi de la crainte en effectuant le sombre passage qui conduit à l’enfer ou au ciel, qui le peut mieux que celui qui se présente avec des titres de gloire si purs devant la justice éternelle ?
MONTESQUIEU
Vous ne parlez point de vous, Machiavel ; c’est trop de modestie, quand on laisse après soi l’immense renommée de l’auteur du Traité du Prince.
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MACHIAVEL
Comptez-vous sérieusement soutenir que le despotisme est incompatible avec l’état politique des peuples de l’Europe ?
MONTESQUIEU
Je n’ai pas dit tous les peuples ; mais je vous citerai, si vous voulez, ceux chez qui le développement de la science politique a amené ce grand résultat.
MACHIAVEL
Quels sont ces peuples ?
MONTESQUIEU
L’Angleterre, la France, la Belgique, une portion de l’Italie, la Prusse, la Suisse, la Confédération germanique, la Hollande, l’Autriche même, c’est-à-dire, comme vous le voyez, presque toute la partie de l’Europe sur laquelle s’étendait autrefois le monde romain.
MACHIAVEL
Je connais un peu ce qui s’est passé en Europe depuis 1527 jusqu’au temps actuel, et je vous avoue que je suis fort curieux de vous entendre justifier votre proposition.
MONTESQUIEU
Eh bien, écoutez-moi, et je parviendrai peut-être à vous convaincre. Ce ne sont pas les hommes, ce sont les institutions qui assurent le règne de la liberté et des bonnes mœurs dans les États. De la perfection ou de l’imperfection des institutions dépend tout le bien, mais dépendra nécessairement aussi tout le mal qui peut résulter pour les hommes de leur réunion en société ; et, quand je demande les meilleures institutions, vous comprenez bien que, suivant le mot si beau de Solon, j’entends les institutions les plus parfaites que les peuples puissent supporter. C’est vous dire que je ne conçois pas pour eux des conditions d’existence impossibles, et que par là je me sépare de ces déplorables réformateurs qui prétendent construire les sociétés sur de pures hypothèses rationnelles sans tenir compte du climat, des habitudes, des mœurs et même des préjugés.
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Deuxième dialogue

MONTESQUIEU
Vos doctrines n’ont rien de nouveau pour moi, Machiavel ; et, si j’éprouve quelque embarras à les réfuter, c’est bien moins parce qu’elles inquiètent ma raison que parce que, fausses ou vraies, elles n’ont point de base philosophique. J’entends bien que vous êtes, avant tout, un homme politique, et que les faits vous touchent de plus près que les idées. Mais vous conviendrez cependant que, quand il s’agit de gouvernement, il faut aboutir à des principes. Vous ne faites aucune place, dans votre politique, ni à la morale, ni à la religion, ni au droit ; vous n’avez à la bouche que deux mots : la force et l’astuce. Si votre système se réduit à dire que la force joue un grand rôle dans les affaires humaines, que l’habileté est une qualité nécessaire à l’homme d’État, vous comprenez bien que c’est là une vérité qui n’a pas besoin de démonstration ; mais, si vous érigez la violence en principe, l’astuce en maxime de gouvernement ; si vous ne tenez compte dans vos calculs d’aucune des lois de l’humanité, le code de la tyrannie n’est plus que le code de la brute, car les animaux aussi sont adroits et forts, et il n’y a, en effet, parmi eux d’autre droit que celui de la force brutale. Mais je ne crois pas que votre fatalisme lui-même aille jusque-là, car vous reconnaissez l’existence du bien et du mal.
Votre principe, c’est que le bien peut sortir du mal, et qu’il est permis de faire le mal quand il en peut résulter un bien. Ainsi, vous ne dites pas : Il est bien en soi de trahir sa parole ; il est bien d’user de la corruption, de la violence et du meurtre. Mais vous dites : On peut trahir quand cela est utile, tuer quand cela est nécessaire, prendre le bien d’autrui quand cela est avantageux. Je me hâte d’ajouter que, dans votre système, ces maximes ne s’appliquent qu’aux princes, et quand il s’agit de leurs intérêts ou de ceux de l’État. En conséquence, le prince a le droit de violer ses serments ; il peut verser le sang à flots pour s’emparer du pouvoir ou pour s’y maintenir ; il peut dépouiller ceux qu’il a proscrits, renverser toutes les lois, en donner de nouvelles et les violer encore ; dilapider les finances, corrompre, comprimer, punir et frapper sans cesse.
MACHIAVEL
Mais n’est-ce pas vous-même qui avez dit que, dans les États despotiques la crainte était nécessaire, la vertu inutile, l’honneur dangereux ; qu’il fallait une obéissance aveugle, et que le prince était perdu s’il cessait de lever le bras un instant .
MONTESQUIEU
Oui, je l’ai dit ; mais quand je constatais, comme vous, les conditions affreuses auxquelles se maintient le pouvoir tyrannique, c’était pour le flétrir et non pour lui élever des autels ; c’était pour en inspirer l’horreur à ma patrie qui jamais, heureusement pour elle, n’a courbé la tête sous un pareil joug. Comment ne voyez-vous pas que la force n’est qu’un accident dans la marche des sociétés régulières, et que les pouvoirs les plus arbitraires sont obligés de chercher leur sanction dans des considérations étrangères aux théories de la force. Ce n’est pas seulement au nom de l’intérêt, c’est au nom du devoir qu’agissent tous les oppresseurs. Ils le violent, mais ils l’invoquent ; la doctrine de l’intérêt est donc aussi impuissante à elle seule que les moyens qu’elle emploie.
MACHIAVEL
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Le principal secret du gouvernement consiste à affaiblir l’esprit public, au point de le désintéresser complétement des idées et des principes avec lesquels on fait aujourd’hui les révolutions.
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