Frédéric Joly
EAN : 9782021100051
576 pages
Seuil
(03/09/2015)
4.25/5
4 notes
Robert Musil : Tout réinventer
Résumé :
Le nom de Musil (1880-1942) est rattaché à L'Homme sans qualités, ce grand roman faisant notamment le tableau de la disparition d'une civilisation. Mais Robert Musil n'est ni l'homme d'un seul livre, ni simplement le peintre du délitement d'un empire austro-hongrois auquel il donna le nom de Cacanie. La poétesse Ingeborg Bachmann rappela que l'auteur de L'Homme sans qualités avait voulu "faire bien plus qu'écrire un roman, bien plus que raconter l'histoire d'une Cac...
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Après plus de deux cent consumante pages lues avec difficulté, on ne rentre pas dans le sujet. L'écriture y est peu fluide. Semble écrit dans la douleur.
Pas à la hauteur de RM.
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Du côté de Robert, le refus de toute carrière, de toute Beruf, de toute profession à temps-plein ; le choix de l'étude, de l'activité d'écriture et de pensée, soit le choix de la solitude, d'une forme de marginalité sociale - quels que puissent être les prestiges susceptibles de l'accompagner, et les très hautes satisfactions afférentes. Ce refus de toute carrière est toutefois pleinement assumé, et même présenté comme un gage d'accomplissement, ainsi que le confirme cet éloquent autoportrait esquissé dans le Cahier 3 : "Robert ne s'attend à rien, ses relations sont purement sensuelles. A l'origine, il était très actif et productif ; maintenant, il ne peut se décider pour aucune profession, parce que l'homme sans profession, de nos jours, est presque le seul à pouvoir s'accomplir".
p126
Comme le souligne Coetzee dans son étude consacrée au roman (Les désarrois de l'élève Törless), les nombres irrationnels, "qui échappent à toute représentation en terme de nombres entiers", se révèlent infiniment plus nombreux que les nombres rationnels. Si des calculs réels peuvent être effectués au moyen de nombres imaginaires ou irréels comme la racine carrée de -1, le monde, autrement dit l'effectivité des phénomènes, se pense donc dans un ordre de causalités qui ne peut plus être celui, hérité des temps médiévaux, de la logique propositionnelle. C'est ainsi que les pensées mortes et les pensées vivantes se compénètrent - compénétration elle-même théorisée par l'élève Törless, décidément très précoce.
p85
Il se joue ici quelque chose de tout à fait fondamental dans la mesure où l'effectivité de l'intention se verra menacée, remise en cause. Et si celui-ci ressentira physiquement, sa vie durant, les manifestations de ce processus général de disparition d'une croyance et du crédit moral qui l'accompagne, s'il en fera tout objet de son travail, et s'il fera de la Cacanie son grand théâtre, c'est sans doute parce que celui qui vit du seul crédit qu'il s'accorde - et qui, à un moment, finit par en manquer - ne peut que porter une attention extrême à ce mécanisme fiduciaire-là, un mécanisme revêtant des formes que rien, sinon, ne signale spectaculairement à l'attention. Une grande partie de l'œuvre de Musil peut ainsi être présentée comme un enregistrement de cette perte et une tentative d'y remédier jusqu'à un certain point, d'y échapper ensuite [...], et sa vie même comme une pratique de l'impossible, et peut-être, de l'impossible crédit à soi-même.
p21
En réalité, si Robert Musil se préoccupe d'une vie équilibrée, il est surtout tout entier tourné vers l'éclaircissement patient de ce qu'il pressent être un dessein capital, une "perspective infinie", presque palpable déjà, de manière étonnamment précoce, quoique encore peu articulée. Une certitude tout de même : devenir un grand homme. Regard rétrospectif, datant du début des années 1920, sur cette ambition de jeunesse : "Qui veut devenir un grand homme. Qui a les dispositions nécessaires. Premières tentatives : officier, ingénieur. La manière dont il s'y prend montre son talent. Les systèmes religieux, les idées philosophiques de son adolescence révèlent de grandes dispositions. En même temps, forte composante autiste. Mais qu'explique aussi : fils unique. Pour devenir un grand homme, comment faire ?" (Journal 2, p90)
p56
Lle lecteur fera ainsi, tout d'abord, la connaissance d'un homme, d'un écrivain, nommé Robert Musil, et fera aussi la connaissance, au fil de la seconde moitié de cette vie, d'un personnage, le prénommé Ulrich ; mais il côtoiera aussi, et tout du long, dès le départ, par intervalles, par éclipses, un très discret, très souvent invisible, mais omniprésent nobody. Ce comptable des manques, des vides, des absences m'a aidé à ne pas confondre le biographique et le récit biographique, à ne pas oublier que si "le biographique est constitué par la totalité des relations de l'individu à la totalité des déterminations", l'événement biographique, lui, "n'est pas ce qui arrive au sujet, mais tout aussi bien ce qui ne lui arrive pas".
p15
Présenté par Robert Maggiori, philosophe co-fondateur des Rencontres Philosophiques de Monaco et critique littéraire.
« Pourquoi lire (13 bonne raisons au moins) », co-écrit par Annie Ernaux, Philippe Garnier, Jürgen Habermas, Eva Illouz, Frédéric Joly, Esther Kinsky, Sibylle Lewitscharoff, Nicolas Mahler, Oliver Nachtwey, Katja Petrowskaya, Hartmut Rosa, Clemens J. Setz et Joëlle Zask.
Publié chez Premier Parallèle, 20€, 240 pp.