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Chronique familiale (Jón Kalman Ste... tome 2 sur 2
EAN : 9782070179312
448 pages
Gallimard (06/04/2017)
4.12/5   185 notes
Résumé :
« Et maintenant, il est trop tard, répond Ari, pétri de remords. Anna esquisse un sourire, elle lui caresse à nouveau la main et lui dit, quelle sottise, il n’est jamais trop tard tant qu’on est en vie. Aussi longtemps que quelqu’un est vivant .»

Après plusieurs années d'absence, Ari rentre en Islande. Il est devenu éditeur et a récemment quitté sa femme. À Keflavík, la neige recouvre tout mais les souvenirs affleurent. Dans ce village de pêcheurs in... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (38) Voir plus Ajouter une critique
4,12

sur 185 notes
Nul ne peut marcher sur la mer, ça se saurait sinon, et si « d'ailleurs les poissons n'ont pas de pied » c'est pour cette raison, apprenait-on dans le premier volet.
Voici donc le deuxième tome du diptyque, de cette saga familiale islandaise sur trois générations qui m'avait plongé avec délice dans la prose lyrique et poétique de cet auteur. C'était en 2015 déjà, ma mémoire bancale m'a incité à m'y replonger avant d'aborder la suite (mais ça n'est peut-être pas forcément indispensable, l'on peut lire sereinement le tome 2, les rappels y sont suffisants... enfin à mon avis).

L'on retrouve la famille d'Ari, poète de retour à Keiflavik pour se rendre au chevet de son père, après avoir quitté 2 ans plus tôt femmes et enfants pour Copenhague, et n'y avoir trouvé que regrets. Revoici ses amours, ses amis, ses emmerdes. Les souvenirs de son oncle Pordur, sa grand-mère Magret. Entre autres bien sûr, car les personnages prolifèrent. Construit comme le précédent, le récit oscille entre jadis et aujourd'hui, et se permet même des incises. Avec pour lien en guise d'héritage à ses diverses époques la gifle, monumentale gifle qu'ils se sont parfois transmise de père en fils.

Mais là n'est pas l'essentiel. le livre ne peut être résumé, tant les histoires des habitants de Keflavik se croisent et s'entre-mêlent, en plus de celles de la famille d'Ari.

Il y est aussi et surtout question d'univers, dans cette suite à « D'ailleurs les poissons n'ont pas de pied".
Quoi de mieux comme titre qu'« A la mesure de l'univers » en effet, quand avec Jon Kalman Stefansson on a cette sensation unique de basculer dans un monde si particulier, islandais, mêlant à l'humanité fjords et poésie, mers et étoiles, anges et glaciers. Une Islande où il ne neige pas comme ici ou là, où il faut s'attendre à voir dans les flocons des signaux d'un au-delà.

L'univers de ce roman n'est donc pas que terre-à-terre. Avec sa prose poétique et son lyrisme en conducteurs, il semble étirer parfois le réel vers un ailleurs, comme s'il cherchait dans les différentes époques une raison à l'humanité.

« Ari ouvre les yeux au son d'un chant qui lui semble venu de très loin. Il met longtemps à se réveiller vraiment, en tout cas, suffisamment pour distinguer le sommeil de la veille, le rêve du réel, et voilà sans doute pourquoi, l'espace de quelques instants, il pense que cette mélodie n'est pas de notre monde, il pense que cette nuit, les frontières entre les univers ont été abolies et que maintenant, les défunts chantent à son intention, si magnifiquement, pour l'aider à sortir du sommeil et l'envelopper de douceur avant que la réalité ne le percute. »

En tout cas une chose est sûre avec cet auteur, les étoiles s'allument à chaque fois que je le lis, à commencer par celles de Babélio.
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Lorsque j'ai décidé de lire A la mesure de l'univers de Jon Kalman Stefansson, je ne connaissais cet auteur que par les critiques élogieuses que j 'en avais lues sur Babelio.
J'avoue que j'ai été surprise lorsque j'ai commencé la lecture du roman et qu'il m'a fallu opérer un certain lâcher-prise avant de me laisser entraîner dans l'histoire de cette saga familiale sur trois générations. Stefansson balade sa lectrice ou son lecteur à différentes époques et opère un télescopage temporel qui va de l'entre deux guerres à l'époque actuelle. Même chose pour les lieux : Reykjavik, Keflavik - petite ville où débarque le héros principal Ari sur la demande de son père mourant, Jakob - parfois aussi quelque part dans l'univers...
Pourquoi ai-je accepté aussi facilement de perdre pied et de suivre Ari dans ce retour vers ses racines familiales ?
Les raisons sont multiples. Mais la plus évidente est la force et la densité de l'écriture de Stefansson lorsqu'il évoque ses obsessions majeures.
Celle de la mort, présente dès les premières pages du livre dans une très belle scène où une petite fille demande à sa mère si ça fait mal de mourir. Difficile dans une évocation comme celle-la de ne pas tomber dans le pathos ou le mièvre. Eh bien, non, Stefansson nous offre un tableau à la fois tragique et d'une incroyable douceur.
La violence physique exercée sur les femmes, sur les enfants ou tous ceux dont le seul défaut est d'être différent, irrigue également tout le roman et scande littéralement tous les moments forts.Mais il ne s'agit jamais d'une violence gratuite ou dépeinte avec une certaine complaisance. Stefansson n'en donne pas non plus une explication simpliste. Bien sûr il fait la part belle à l'alcoolisme apparemment omniprésent en Islande, sur fond de misère sociale. Ce n'est pas la seule explication. En arrière-plan, derrière les gifles et les coups assénés aux plus faibles, se dessine l'image d'une virilité masculine abusive qui ne trouve pas d'autres moyens que cette violence incontrôlée et incontrôlable pour exprimer son désarroi ou son mal-être. Et là encore comment ne pas être profondément ému lorsque le père d'Ari, Jakob, va accepter de laisser couler des larmes salvatrices : celles qu'il n'a jamais pu verser à la mort de sa femme... et qu'il va verser dans les bras de sa dernière compagne, Anna. Un très beau moment romanesque pour la lectrice ou le lecteur qui n'en pouvait plus de la violence de cet homme tout en tensions et non-dits.
Les figures féminines sont d'ailleurs de très beaux personnages dont la fragilité et la force cohabitent dans une belle promiscuité. J'ai été vraiment touchée par Margret, la grand-mère d'Ari, une femme vibrante, courageuse mais aussi dévoreuse de vie car elle n'hésitera pas à aimer deux hommes en même temps, ce qui dans les années trente n'était pas vraiment dans les moeurs surtout pour les femmes... L'amour transgressif est très présent dans le roman et il fait un beau contraste avec l'amour mère-enfant, leit-motiv, qui revient en boucle, notamment, dans l'évocation des relations d'Ari avec sa mère, morte alors qu'il avait cinq ans. Cela donne lieu à de très beaux passages fantasmagoriques, qui, dans une sorte de ralenti, évoquent les derniers moments de complicité passés entre eux. Moments vécus ? rêvés ? fantasmés ? On ne sait pas, on perd pied mais pour mieux se retrouver dans une autre dimension : "celle où l'univers nous traverse". C'est beau, consolant, apaisant et quel merveilleux contrepoids à la noirceur et au désespoir également omniprésents.
Dernier clin d'oeil de Stefanssoon à la fin du roman : le narrateur s'en va, quitte Ari ou plutôt il disparaît sans qu'on sache là non plus s'il a vraiment existé ou s'il n'a été tout au long de l'histoire qu'un double d'Ari et non un parent comme on le pensait. Trait d'humour habilement glissé et qui laisse le lecteur sur le chemin avec ses questionnements, ses doutes et peut-être l'envie de lire la suite des aventures d'Ari ;-)
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Ari a pris une chambre à l'hôtel de l'aéroport de Keflavik, dans les prochains jours il rendra visite à Jacob, son père, dont les jours sont comptés. Je retrouve le narrateur que j'avais quitté, en août 2015, après ma lecture de D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds, j'ignorais alors que c'était le premier tome d'un diptyque. Comme dans le premier livre, le narrateur n'arrête pas de me balader entre aujourd'hui, les années soixante, les années quatre-vingt et le temps jadis ; je renoue aussi avec tous les personnages de cette saga familiale.
Cette fois encore, j'ai été sous le charme de la prose poétique de Jón Kalman Stefánsson.
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Quel roman magnifique !

Un récit où il est question d'amour, et de mort, de musique, beaucoup, de poésie aussi, beaucoup – il faut dire que les Islandais y portent une attention toute particulière, beaucoup plus que nous, qui avons perdu de vue l'importance d'en lire. Il souffle un vent de nostalgie sur ce roman qui parle de destinées, d'enfant orphelin, de morts injustes, des étoiles la nuit, de l'alcool qui entraîne la violence et les coups parfois sur ceux ou celles qu'on aime.

On va croiser Margret et Oddur, le grand-père d'Ari, les femmes Veiga, Lilla, Sigga, mais aussi Tryggvi, et Jakob, le père d'Ari, Anna, sa dernière compagne, mais aussi Pordur, Svavar, Arni et bien d'autres.

Ari rentre en Islande pour voir son père Jakob, qui va bientôt mourir. On découvre alors Reyflavik, une ville de pécheurs, parce que pécher du poisson c'est important.
« Si nous oublions de tirer le poisson de la mer, ce poisson qui compte de plus en plus et qui, bientôt, sera plus important que l'agriculture, eh oui, qui l'eût cru, nous peinerons de plus en plus à survivre et notre rêve d'indépendance ne se réalisera pas. » pense Oddur, alors que son fils Pordur, très doué pour l'écriture, rêvasse sur le bateau où Oddur règne en maître. Et c'est le drame. « Oddur souffle. Il s'approche lentement du poisson que Pordur vient d'abîmer, l'examine, l'attrape par la nageoire caudale, puis s'avance sans hésiter vers son fils qui lève les yeux, la tête ailleurs, toujours ce sourire aux lèvres – et là, Oddur le frappe. de toutes ses forces. L'énorme poisson rebondit sur la joue de Pordur si bien que la chair de l'animal est endommagée, elle éclate, il le frappe si fort que Pordur fait tomber son crocher et manque de passer par-dessus bord. Puis, c'est le silence. »

Jon Kalman Stefansson entremêle les époques – on suit trois générations d'islandais, des Fjords de l'Est jusqu'à Reyflavik, qui va beaucoup changer elle aussi, en une sarabande qui nous fait comprendre les connections, les legs qu'une génération donne à l'autre. le destin de ceux et celles qui avaient en eux ce besoin d'écrire, très souvent contrecarré comme Pordur face à son père Oddur. Parfois on n'est perdus : dans le même chapitre sont entremêlés plusieurs époques, mais ce sont comme les maillons d'une longue chaîne qui défile sous nos yeux, une continuité de destin dans cette saga familiale qui n'en finit pas.

Il y a des personnages de femmes magnifiques. Qui rêvent, qui aiment, qui lisent et écrivent, qui bataillent dans ce pays où le vie est dure et cruelle, qui ont des enfants, les chérissent, et disparaissent parfois beaucoup trop tôt.

Et puis il y a tous ces titres de chapitres, j'aimerais tous les citer : « quel fardeau la mort est pour la vie …aussi longtemps que quelqu'un est vivant », Qu'adviendra-t-il de la justice et de la beauté si les idéaux périssent ? » « Quelque part, à proximité de l'univers », « Quelqu'un pleure et Elvis a le pouvoir d'ouvrir les coeurs » « Comment est-il possible de créer une telle quiétude » ...

Encore un mot pour signaler une originalité sur la forme : l'auteur n'est jamais loin dans ce récit. Il se glisse auprès d'Ari, nous prend par la main pour nous entraîner à sa suite, et se retire, à la fin, comme à regret. « Je vois tout cela », nous dit-il, « la pierre qui devient terreau, Ari qui se gare devant la maison où sa belle-mère vit avec Mani. Je vois tout cela tandis que je m'unis peu à peut à l'averse de neige. Et je m'unis si radicalement à elle qu'on dirait que jamais je n'ai vraiment existé. » … Comme l'auteur, on se retire sur la pointe des pieds à la fin de ces 438 pages.

Il y aurait encore tant à dire pour vous convaincre de découvrir l'écriture de Jon Kalman Stefansson. Parler de nostalgie, de personnages très loin géographiquement, mais tellement proches qu'on croit, en fermant le livre, les avoir côtoyés de près.
Magnifique, oui, vraiment.

Lien : https://versionlibreorg.blog..
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Indicible, c'est le mot qui me vient à l'esprit pour décrire mon ressenti à la lecture de ce roman. Indicible, c'est ce que je ressens au plus profond de moi.

Encore une fois Jon Kalman STEFANSSON me touche au-delà de tout.
Vous dire en quoi, est difficile à expliquer. Ce sont les mots, tout simplement, l'atmosphère... La magie a une nouvelle fois opérée. Ce livre est empreint de nostalgie, de mélancolie, mais aussi d'espoir. Les portraits des femmes sont magnifiques. C'est peut-être cela qui fait que j'aime particulièrement cet auteur.

Par petites touches, et tout au long des deux volumes STEFANSSON nous raconte ce qu'a été la vie de chacun de ses personnages. Ceux de la famille d'Ari mais également ceux qui gravitent autour d'eux, et ce, sur trois générations. Petit à petit tout prend corps, tout s'explique. L'histoire de chacun est tellement forte en émotion, qu'il n'était pas possible de tout raconter en une fois. Et le charme n'aurait pas opéré de la même façon.

Je l'ai acheté à sa sortie, mais j'attendais le moment propice pour le lire. Car un livre de Jon Kalman STEFANSSON ne se lit pas n'importe comment. Il faut le déguster, avoir le temps de se l'approprier.

J'attends la suite avec impatience ! Parce que pour moi, il doit y avoir une suite. Tout n'a pas été dit dans ce deuxième opus. Qu'en est-il des amours d'Ari et de Pora ?

Comme pour le précédent, ma critique n'est pas à la hauteur. J'aurais tellement aimé vous communiquer ce qu'il y a d'indicible et de ce que j'ai pu palper en me plongeant dans cette lecture. Vous pouvez vous référer aux citations que j'ai relevées tout au long du livre pour vous donner une idée de la dimension de ce roman.

De nouveau, une superbe traduction d'Eric BOURY.
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critiques presse (4)
LeDevoir
31 juillet 2017
Avec À la mesure de l’univers, Jón Kalman Stefánsson poursuit ce qu’il avait commencé dans D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds, plongeant toujours plus profondément dans les destins d’Ari, son père Jakob, sa grand-mère Margret et tous les autres.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LaPresse
28 juillet 2017
Cette chronique familiale voyage dans l'Islande du XXe siècle, depuis les fjords de l'Est jusqu'à Keflavik, pour couvrir l'histoire de trois générations d'est en ouest.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Actualitte
15 mai 2017
Une lecture sans rupture, sensible et savoureuse ; une invitation à la rêverie et à la contemplation, au dépaysement et à l'agréable mélancolie.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LaLibreBelgique
09 mai 2017
La plume impressionnante de densité et de lyrisme de Jón Kalman Stefánsson.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (97) Voir plus Ajouter une citation
Page 381
C’était un dimanche, j’étais allée à la sjoppa, le magasin du coin, pour manger un hamburger et acheter des cigarettes, j’avais la gueule de bois, j’étais triste, puis j’avais déambulé jusqu’à me retrouver sur le port, je n’avais pas vraiment envie de vivre, j’ai vu des gens endimanchés entrer dans salle de Duus-hus – et je me suis retrouvée assise là-bas sans vraiment savoir pourquoi ? Evidemment, je l’ai aussitôt regretté. La salle était remplie de gens chics et j’avais l’impression de n’être qu’une idiote employée à l’usine de poissons ; je faisais tache parmi tout ce beau monde. J’aurais voulu ressortir, mais je n’ai pas osé me relever, de peur d’attirer l’attention. Puis le concert a commencé et… Je l’ai passé entier à pleurer. Je n’arrivais plus à me maîtriser. Les larmes ruisselaient sur mes joues. Dieu du ciel, je me demandais comment un corps aussi fluet que le mien pouvait en contenir autant. Le lendemain, je me suis inscrite aux cours pour adultes du lycée polyvalent. Brusquement, j’avais envie de vivre, de vivre pour moi. Il faut vivre pour soi afin de donner aux autres. C’est de là que nous vient la force : du désir de vivre. Mais j’avais également compris qu’il allait falloir que j’affronte tout ça. Cela vaut autant pour les nations que pour les individus, celui qui ne connaît pas son passé, ou qui refuse de l’assumer, se perd immanquablement dans le futur. Celui qui veut avancer doit parfois d’abord consentir à retourner en arrière.
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Page 413
Et pourquoi as-tu renoncé à écrire de la poésie, demande Sigga. J’ai toujours les poèmes que tu as lancés sur mon balcon cette nuit-là. J’en étais incroyablement fière, des poèmes sur ma poitrine, je ne m’étais pas attendue à ça. Et je crois que tu n’imagines pas à quel point ils ont compté pour moi. Il m’arrivait de les lire pour me consoler, quand mon estime de moi était au plus bas et que je pensais mourir. Tu as composé trois recueils, puis tu as renoncé, pourquoi ? Tu ne sais donc pas que c’est un devoir de se servir des dons qu’on a reçus. Celui qui a une voix doit chanter. Celui qui a un cerveau conçu pour calculer doit résoudre des équations complexes. Celui qui comprend l’âme humaine doit devenir psychologue ou pasteur et consoler les autres. Personne ne t’a donc jamais dit que celui qui ne se sert pas de ses dons trahit la vie, qu’il se trahit lui-même et se condamne à mourir malheureux ?

Sigga regarde longuement Ari de ses yeux noirs. Il ouvre la bouche pour lui répondre, mais le téléphone sonne.
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Page 303
Ne dis donc pas de bêtises, conseille Veiga, sa tante paternelle, la sœur de Lilla dont nous avons déjà parlé, Lilla qui n’a écrit qu’un seul poème au cours de sa longue vie, un texte qui évoque le moment où la mort est venue chercher sa petite fille âgée de huit ans, elle a écrit ces mots, comme si la poésie était capable d’arrêter la faucheuse. Veiga est l’aînée de la fratrie, elle a publié un recueil de poèmes et travaille en ce moment à son premier roman, elle peint également, joue Chopin et Erik Satie sur son piano. Il arrive qu’elles se retrouvent chez Lilla, Veiga lui prête des livres, Virginia Woolf, Jean Rhys, et voilà qu’elle déclare, ne dis donc pas de bêtises, ne sois pas si timorée. Nous avons assez longtemps, sans doute pendant des millénaires, été forcées de mettre en veille nos aptitudes, nos passions, nos désirs, nous avons éduqué les enfants, cuisiné, fait la lessive, alors que les hommes agissaient à leur guise. Nous avons toujours été laissées pour compte, nous sommes cantonnées à être des mères, des femmes au foyer ou des prostituées, et quand on ose sortir de ces rôles, ce n’est jamais bien vu. C’est pour cette raison que nous sommes forcées d’agir comme des résistantes, forcées d’emprunter des voies secrètes, d’atteindre la maturité et de rassembler nos forces avant de paraître au grand jour. Sinon, ils t’étouffent dès la naissance. Pas forcément par méchanceté, mais tout simplement par la bêtise intrinsèque à la domination.
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Page 399
Le clair de lune entre par la fenêtre. Elle est là-haut, la lune, avec les traces de pas solitaires d’Armstrong à sa surface. Tu veux que je continue à raconter, demande-t-elle, quand un moment s’est écoulé, quelques secondes, quelques années, elle s’est contentée de respirer, c’est tout ce dont le monde a besoin. Je ne sais pas, répond-il, j’ai envie que tu continues, mais j’ai peur que tu meures quand tu seras arrivée à la fin du récit. Tu as raison, je mourrai quand l’histoire sera finie. Dans ce cas, arrête-toi là, demande-t-il. Je ne le peux pas, mon cœur, parce que si je le fais, tout le reste périra aussi. La mort traverse tous les êtres, elle emporte tout, elle efface tout le monde, l’unique résistance qu’on puisse lui opposer, c’est de vivre et de raconter. De consigner l’énergie vitale dans les mots. Cela ne permet sans soute pas d’en triompher, mais cela empêche peut-être la mort de triompher de la vie. Peut-être, consent Ari à contre-cœur. Tu peux me croire, dit-elle en lui caressant les doigts d’un geste apaisant, puis elle ferme les yeux et plonge…
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Que ce point soit bien clair avant de poursuivre pour nous engager plus loin profondément dans ce que nous ne comprenons pas, ne maîtrisons pas, mais que nous désirons, redoutons, et dont nous regrettons l'absence, il faut que ce point soit bien clair afin d'avoir en main ne serait-ce qu'une donnée tangible : Nous sommes à Keflavik. Cette ville excentrée et surprenante, ses quelques milliers d'habitants, son port vide, son chômage, ses concessionnaires automobiles, ses camionnettes à hamburgers, et cette terre si plate que, depuis le ciel, on dirait une mer étoilée.
Par les matins calmes, le soleil nous offre son éruption muette. Le feu naît, loin derrière les montagnes, il est cette force grandiose surgie de l'abîme, capable de soulever le ciel, de tout transformer, et de faire reculer le noir de la nuit. Puis l'astre du jour se lève. C'est d'abord cet embrasement qui efface les étoiles bienveillantes, il surgit et s'élève, majestueux, au-dessus de la péninsule de Reykjanesskagi. Lentement, il se lève, et nous sommes vivants.
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Jón Kalman Stefánsson vous présente son ouvrage "Mon sous-marin jaune" aux éditions Bourgois. Rentrée littéraire janvier 2024.
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