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Lucile Clauss (Traducteur)Max Stadler (Traducteur)
EAN : 9782268065076
376 pages
Le Serpent à plumes (10/04/2008)
3.67/5   24 notes
Résumé :
L'histoire que raconte Montecore est parfaitement ordinaire. Presque banale. Dans les années 70, un jeune Tunisien vit de petits boulots et rêve de devenir photographe. Après le travail, il traîne sur la plage, drague les touristes occidentales qui succombent facilement à ses charmes méridionaux. Jusqu'au jour où... il fait la connaissance d'une Suédoise, hôtesse de l'air, militante de gauche, et cette fois, c'est le grand amour, le vrai. Il emprunte de l'argent à s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Me contenter, pour vous parler de "Montecore, un tigre unique", d'en raconter l'histoire, aurait été assez simple, mais cela n'aurait pas rendu justice à ce premier roman de Jonas Hassen Khemiri, dont tout l'intérêt réside dans la manière dont il met cette histoire en scène.
Il utilise un procédé qui, sans maîtrise, aurait pu virer au n'importe quoi, mais qui en l'occurrence est ici admirablement exploité.

"Montecore, un tigre unique" se présente en réalité comme l'ébauche d'un roman. C'est du moins ainsi qu'il est présenté par Kadir, le personnage à l'origine de ce projet d'écriture. Celui-ci prend contact par courrier depuis sa Tunisie natale avec Jonas, qui vit en Suède, fils de son ami d'enfance Abbas, qu'il n'a pas vu depuis des années.
Nous apprenons par ces lettres que Jonas, brouillé avec son père, n'a plus de ses nouvelles non plus, et qu'il vient de publier un premier roman salué par la critique. C'est la raison pour laquelle Kadir lui propose le marché suivant : en échange d'informations sur le passé de son père, Jonas devra, en y ajoutant ses souvenirs, élaborer un récit inspiré de l'existence d'Abbas, depuis son arrivée, orphelin, chez la grosse Charifa (où il fit la connaissance de Kadir), aux années où, marié à une suédoise et vivant à Stockholm, il fit tout pour s'y intégrer, en passant par la période de ses débuts comme photographe dans la Tunisie des années 70. le roman en question se construit ainsi partiellement sous nos yeux, brossant peu à peu, par facettes, le portrait d'une famille que l'immigration a marquée du sceau de la différence...

Le récit alterne ainsi entre les lettres de Kadir, accompagnées de "fichiers" relatant divers épisodes de la vie d'Abbas, et les souvenirs rédigés par Jonas, que Kadir commente ensuite.
Cette méthode narrative met le lecteur dans une position de remise en question permanente. En effet, les événements relatés sont ainsi abordés sous un angle différent selon l'intervenant (Kadir ou Jonas) qui les rapporte, et bénéficient parfois de deux versions quasiment opposées !
De plus, Kadir émaillant ses commentaires de considérations techniques littéraires, suggérant des embellissements de la vérité pour rendre le récit plus attrayant pour le lecteur, nous ne savons jamais de façon vraiment certaine où se situe la limite entre l'imagination et les faits réels. Et malgré tout, comme s'il louvoyait habilement entre relativité des souvenirs et nécessité fictionnelle, le roman se construit, tel un puzzle, sous nos yeux émerveillés...
Il m'a semblé que l'auteur démontrait ainsi que la vérité ou les faits importent peu, finalement. Ce qui est intéressant, c'est l'interprétation de ces faits, passés par le prisme des fantasmes, des résonances et des émotions qu'ils ont laissé dans l'esprit des individus.
Ce que j'ai apprécié aussi, avec cette approche originale, c'est qu'elle donne au récit une dynamique particulière : le changement de ton, en fonction de qui s'exprime, y participe grandement. Et dans ce domaine aussi -celui du langage-, Jonas Hassen Khemiri est un virtuose. Les paroles qu'il prête à ses personnages sont riches d'enseignement quant à leur personnalité, mais aussi leurs influences culturelles ou sociales.
Quand c'est Kadir s'exprime, il le fait de façon souvent alambiquée, utilisant un langage parfois "fleuri", -oriental ?- voire suranné... mais le lecteur devine assez rapidement qu'il s'agit d'une ruse de la part du tunisien pour imposer plus facilement son point de vue, ou pour sermonner Jonas avec une sorte de retenue, en enrobant ses mots (comme lorsqu'il lui écrit : "range ta colère juvénile dans un coffre bancaire qu'on appelle "maîtrise de soi", par exemple !).
Précisons que nous n'avons pas connaissance des lettres que Jonas envoie à Kadir. Mais grâce aux réponses de ce dernier, nous savons qu'elles peuvent être parsemées d'insultes et de jurons, et que le jeune homme s'exprime avec fougue et colère, parfois dans un langage de "banlieue" que fait mine de ne pas comprendre Kadir.

Ces différences linguistiques entre les deux correspondants sont le reflet de ce qui les sépare...

Pour Kadir, comme pour Abbas avant son départ pour la Suède, l'Europe -et l'occident en général- représentent l'Eldorado, le modèle à imiter... C'est flagrant notamment quand Kadir cite certaines références culturelles américaines (de Stephen King à Jennifer Lopez). Jonas, quant à lui, né en Suède -de surcroît d'une mère suédoise- et n'ayant jamais vécu en Tunisie, adopte, face aux manifestations racistes croissantes dont son pays natal est le théâtre, une attitude de rejet et de mépris vis-à-vis du dit pays et de ses citoyens.
Il naît de ces divergences une grande incompréhension entre le père et le fils : Abbas, obsédé depuis son arrivée en Suède par la crainte que ses enfants ou lui-même soient considérés comme des marginaux, a toujours tout fait pour se fondre dans sa nouvelle patrie, et faire oublier ses origines. Sans doute parce que n'y étant pas né, et éprouvant malgré les années toujours du mal à maîtriser parfaitement la langue de son pays d'adoption, Abbas ne se considère pas le droit de revendiquer sa particularité. Nous pouvons comprendre à l'inverse le sentiment de révolte de Jonas, qui réprouve l'attitude paternelle qu'il juge humiliante : né en Suède, il considère comme légitime son exigence d' y être reconnu et accepté pour ce qu'il est.

J'en reviens à cette maîtrise de la langue, dont on ressent tout au long du récit l'importance cruciale. Possédée, elle est la clé qui vous ouvre toutes les portes d'une nation, l'acceptation par ses citoyens, la possibilité de travailler... Imparfaite, elle est le barrage qui vous isole, le motif de votre rejet, le stigmate de votre différence.
Et pourtant... elle est belle, la langue d'Abbas, mâtinée d'arabe, de français, de suédois, d'anglais, voire de néologismes. C'est celle d'un citoyen du monde, riche de cultures diverses, avide d'échanges avec autrui.
Elle est en tout cas source d'un véritable enchantement pour le lecteur...

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Si l'on se contente du résumé, voici : Dans les années 70, en Tunisie, Abbas Khemiri rêve de devenir photographe; avec son ami Kadir, il connait de nombreux succès auprès des touristes occidentales jusqu'au jour où il tombe amoureux de Pernilla Bergman, la rejoint en Suède et fonde avec elle une famille. L'aîné, Jonas Khemiri, donc (tiens tiens...) devient écrivain. Mais entre temps son père a disparu.



Ce n'est déjà pas mal, non?

Mais attendez!



D'abord une construction dynamique et originale:

Kadir contacte Abbas afin de l'obliger à écrire l'histoire de son père, il lui fournit des documents, lui donne des conseils, le corrige, (en notes de bas de pages par exemple), etc...

"Afin de nourrir constamment la volonté de lire de notre lecteur, je propose le procédé suivant: transformons cycliquement notre livre en de nouvelles formes littéraires! Commençons maintenant la deuxième partie du livre où nous mettrons d'abord les lettres authentiques de ton père à la disposition du lecteur et où nous t'inviterons, ensuite, à présenter tes premiers souvenirs de ton père. A quelle valeur estimes-tu cette idée? Je suis pleinement confiant en ce qui concerne sa génialité."



Kadir écrit en suédois, langue que, comme Abbas, il a apprise adulte, et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il s'exprime dans une langue bien savoureuse pour le lecteur... J'en profite pour saluer les traducteurs!



Au fur et à mesure, la vérité se dévoile, s'enfuit, Kadir et Jonas ont chacun leur vision d'Abbas. Jonas lui même passe d'une relation privilégiée avec son père à une incompréhension de ses choix. Vient la rupture... Une belle histoire père-fils, donc.



Mais aussi l'évocation de l'intégration (ou non-intégration) des immigrés en Suède. Après les années 80 viennent celles où fleurissent les partis et groupuscules d'extrême droite, sans sympathie pour les "turcs" ou "bougnoules." Abbas et Jonas vont chacun choisir des réactions différentes.



Voilà donc un chouette roman, à la construction et l'élaboration originales, à l'écriture personnelle, drôle et émouvant, en plein dans le problème fort actuel des immigration de première et seconde génération, et qui présente une Suède pas toujours bien connue (et parfois raciste).



"- Refaat [un immigré] fut élu pour recevoir le signe de distinction le plus excellent de la Suède!

- le prix Nobel?

- Non.

- La position de premier ministre suédois?

- Non.

- La position de PDG d'IKEA?

- Non!

- La position de chanteur d'ABBA?

- Te moques-tu de moi?"



Allez, n'hésitez pas, faites connaissance avec les papas (et les mamans...)


Lien : http://en-lisant-en-voyagean..
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Une forme originale,
Nous suivons l'évolution de ce qui va devenir un livre, comment à partir d'une succession d'échanges de courriers, va se construire le récit d'une vie ou plutôt de celle d'une famille avec les papas, les mamans, les petits frères et lui.
Lui, un être perdu dans sa vie, dans la vie des autres, qui essaie de se construire dans son vécu et dans son imaginaire.
Un livre puissant qui nous parle de la différence, (comment on peut arriver à vivre dans un monde difficile ou le meilleur échappatoire reste l'imagination),
de l'intégration ou de tentative d'intégration, (qu'est ce qui nous différencie des autres, qu'est ce qui peut être considéré comme de l'assimilation et non au renoncement de ses propres valeurs),
de ce qu'est devenue la Suède au fil du temps, avec l'immigration qui petit à petit ronge les valeurs de la social démocratie, (comment peut on accepter de vivre dans un monde où les agressions envers ceux que l'on considère comme ses frères deviennent de plus en plus courantes),
de l'importance de l'art dans la réalisation de sa vie, (qu'est ce que l'on va laisser derrière soi, quels souvenirs les autres auront ils de nous ?),
De ce qu'est la filiation, (comment essayer de comprendre les actes de son père au travers d'un jugement qui essaie de comprendre les difficultés et les choix qu'il a été obligé de faire ou qu'il a subi, un jugement qui ne soit pas uniquement une condamnation).
Un livre passionnant qui incite à découvrir l'oeuvre de Jonas ou plutôt de Younes.
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Les papas se transforment en gaz

La création, la description d'un personnage à partir des visions imagées, imaginées, vécues ou déformées de Kadir l'ami tunisien et de Jonas le fils suédois. Une ou deux biographie(s), dans un échange de lettres. Une correspondance illuminant le temps. Derrière le personnage d'Abbas, l'ami, le photographe, le père, l'émigré, l'amant de Pernilla, les rêves des un-e-s et les réalités des autres. Des réalités suédoises incompréhensibles pour le tunisien, les évolutions contradictoires de la « seconde génération » face à la stigmatisation, au racisme, à la violence des skins.

Une construction littéraire brillante pour nous rendre à la fois les personnes, leurs espérances, leurs déceptions et les réalités du monde. Un livre qui interpelle le lecteur « le lecteur se penche vers la terre, transporte un marron dans sa poche et se promène ensuite à la maison, au rythme du soleil qui se réveille ».

La poétique acide de la vie « des papas » (« les yeux des papas ont perdu leur feu, les papas commencent à avoir l'air d'une carcasse vide et semblent perdre toutes leurs couleurs ») et des « mamans » dans une Suède aux rapports humains durcis par la haine, le refus de l'autre. La tendresse ironique du chemin parcouru à rebours, du refus de se conformer à une assimilation déshumanisante. Les langues apprises, oubliées, renaissantes. L'atelier brûlé. Les mots rayés par le refus de la réalité, les mots inscrits à la peinture sur les murs « cette nuit-là, nous marquons le ville de nos mots », les mots du déracinement permanent.

Un ouvrage sur la littérature, la photographie, l'émigration et un portrait volontairement imprécis ou flou d'Abbas.
Lien : http://entreleslignesentrele..
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Deux voix différentes nous racontent le parcours d'Abbas, un tunisien qui a émigré en Suède à l'âge adulte, après avoir rencontré une jeune suédoise de passage en Tunisie. La voix principale est celle de leur fils aîné, un jeune écrivain qui a toujours vécu en Suède, et qui a dans l'idée d'écrire la vie de son père, aujourd'hui disparu on ne sait où. La seconde voix est celle du meilleur ami d'Abbas, Kadir, resté en Tunisie. Apprenant le projet du jeune homme, Kadir veut lui apporter son aide, lui donnant quelques pistes pour mieux appréhender le parcours chaotique de son ami. le récit du jeune homme (nommé Jonas Hassen Khemiri, tout comme l'auteur du roman…) alterne avec les mails du vieil ami, personnage un peu énigmatique dont on ne sait trop quand il raconte la vérité et quand il l'arrange à sa façon.



Tout cela donne le portrait très vivant d'un homme, de l'enfance à l'âge adulte. Jonas s'est beaucoup affronté à son père, ne comprenant pas ses choix. Avec le temps, il se montre plus tolérant. Il comprend désormais que son père a tout fait pour s'intégrer en Suède, redoublant d'efforts pour tenter de vivre de sa passion, la photographie, tout en nourrissant sa famille. Nous, lecteurs, découvrons une Suède raciste et peu ouverte.

Voilà un livre original par sa forme, qui propose une réflexion intéressante sur les problèmes de culture et d'intégration. La langue est riche et imagée, un peu déroutante au début mais on s'y fait très vite. A noter aussi, les clins d'oeil à quelques photographes célèbres (comme Robert Capa).

Un jeune auteur suédois qui sait faire preuve d'originalité !


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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Tu es le seul à te rendre compte que tout est faux pour de faux, que ce n'est pas du tout le grand-père qui est couché sur le lit d'hôpital, avec son moignon et sa grimace béante, les ongles jaunis. Tu es le seul à te rendre compte que le grand-père n'est qu'une coquille, vide comme un carton d'Ice tea oublié, la peau blafarde, et tout cela n'est pas aussi horrible que tu le pensais, puisqu'il est clair comme le jour que ton grand-père a quitté ce corps cancéreux depuis longtemps déjà, et qu'il est pénard au ciel, à jouer au tennis sous le soleil à deux bras avec de vieux collègues cantonniers, qu'il boit du punch de luxe, qu'il fait du jet ski et qu'il se souvient en riant du magasin de panneaux.
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Il faut que tu saches - la tradition de Noël des Suédois est une affaire particulièrement interne et cela dure de nombreuses années jusqu'à ce qu'on atteigne le statut nécessaire pour être invité en tant qu'hôte externe.
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(New-York et Jendouba)
Ces deux villes ont en plus acquis un grand nombre de surnoms. New-York a the big Apple, the melting pot, the world's capital, the city that never sleeps. Jendouba a trou de cul, creux de l'aisselle, le sauna, l'appendice, le cul d'âne, le gril, la cuisinière, le four ou peut être l'expression ironique des papas, le compartiment congélateur. Et c'est seulement quand les papas veulent jouer l'académicien qu'ils disent que vous allez passer l'été dans l'anus rectum.
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Le lecteur se penche vers la terre, transporte un marron dans sa poche et se promène ensuite à la maison, au rythme du soleil qui se réveille
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les yeux des papas ont perdu leur feu, les papas commencent à avoir l’air d’une carcasse vide et semblent perdre toutes leurs couleurs
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Videos de Jonas Hassen Khemiri (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jonas Hassen Khemiri
« J'ai toujours écrit sur des vides. C'est quelque chose qui revient toujours dans mes oeuvres. Qu'est-ce qu'il se passe s'il y a un ami, un membre d'une famille, qui est parti, qui est mort [...] Les gens qui restent, qu'est-ce qu'ils font avec ce vide ? Est-ce que c'est possible de remplacer ce vide avec des mots ? Ça c'est une stratégie que j'ai utilisée personnellement chaque fois qu'il y a quelqu'un dans ma vie qui part ou qui meurt. »
Jonas Hassen Khemiri nous parle de son roman **La clause paternelle**, lauréat du prix Médicis étranger 2021 : https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/la-clause-paternelle
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