AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782082107105
506 pages
Flammarion (08/01/1992)
5/5   2 notes
Résumé :
Le message du dieu étranger et les débuts du christianisme
Que lire après La religion gnostiqueVoir plus
Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Une fois de plus, notre investigation nous ramène à la dualité de l'homme et de la nature (phusis), arrière-fond métaphysique de la situation nihiliste. On ne saurait négliger la différence cardinale des dualismes gnostique et existentialiste : l'homme gnostique est jeté dans une nature qui lui est contraire, une nature anti-divine et donc anti-humaine ; l'homme moderne est jeté dans une nature indifférente. Dans ce dernier cas seulement il y a vide absolu, insondable abîme. Dans la conception gnostique, l'hostile, le démoniaque, est encore anthropomorphique ; il est connu même dans son étrangeté, et le contraste lui-même donne une orientation à l'existence : une orientation négative, assurément, mais qui a derrière elle la sanction de la transcendance négative, dont la positivité du monde est le pendant qualitatif. A la nature, la science moderne n'accorde même pas cette qualité d'adversaire ; et de pareille nature, on ne peut tirer la moindre orientation.

C'est là ce qui rend le nihilisme moderne infiniment plus radical et plus désespéré que ne fut jamais le nihilisme gnostique, malgré la terreur panique qu'il ressentait devant le monde, malgré son insolent mépris des lois du monde. Que tout soit égal à la nature, voilà le véritable abîme. Que l'homme soit seul en souci, dans sa finitude qui ne donne sur rien d'autre que sur la mort, tout seul avec sa contingence et le néant objectif de ses créations subjectives de sens, c'est une situation véritablement sans précédent.
(...)
La rupture entre l'homme et la réalité totale est au fond du nihilisme. L'illogisme de la rupture, c'est-à-dire, d'un dualisme sans métaphysique, n'en rend pas le fait moins réel, ni l'autre semblant de solution plus acceptable : il se peut que l'homme souhaite renoncer à ce regard braqué sur le moi indépendant, sur le moi isolé, ce regard à quoi le nihilisme le condamne, et qu'il veuille faire place à un naturalisme moniste qui abolirait, en même temps que la réalité, l'idée d'homme comme homme. Entre cette Scylla et sa jumelle Charybde, l'esprit moderne hésite. Savoir si une troisième voie s'offre à lui, qui permettrait d'éviter la déchirure dualiste et de garder assez d'intuition dualiste pour maintenir l'humanité de l'homme, c'est la tâche de la philosophie. (pp. 440-442)
Commenter  J’apprécie          70
De la même veine contredisante est la conception gnostique du serpent et du rôle qu'il joua en induisant Eve à manger du fruit de l'arbre. Pour plus d'une raison, la moindre n'étant pas la mention de la « connaissance », le récit biblique sollicita vigoureusement l'attention des gnostiques. Puisque c'est le serpent qui persuade Adam et Eve de goûter le fruit de connaissance, et par là de désobéir à leur Créateur, il en vint à représenter, dans tout un groupement de systèmes, le principe « pneumatique » venu de l'au-delà pour contrecarrer les desseins du Démiurge. Il pouvait ainsi devenir un symbole des puissances de rédemption, tout comme le Dieu biblique avait été dégradé en symbole d'oppression cosmique. Aussi bien, plus d'une secte gnostique tirait son nom du culte du serpent (les sophites, du grec ophis ; les naassènes, de l'hébreu nahas — le groupe dans son ensemble étant appelé « ophitique »).

Cette position du serpent est fondée sur un traitement audacieusement allégorique du texte biblique. Telle est la version que l'on trouve dans l'aperçu des doctrines ophitiques chez Irénée (Contre les hérésies, I, 30, 7) : la Mère d'outre-monde, Sophia-Prou-nikos, essayant de contrecarrer l'activité démiurgique de son fils rebelle Ialdabaôth, envoie le serpent pour induire Adam et Eve à violer le commandement de Ialdabaôth. Le plan réussit ; ils mangent tous deux de l'arbre dont Dieu [c'est-à-dire le Démiurge] leur avait défendu de manger. Mais quand ils eurent mangé, ils connurent la puissance de l'au-delà et se détournèrent de leurs créateurs.

C'est le premier succès d'un principe transcendant contre le principe du monde, lequel a un intérêt vital à empêcher la connaissance de venir en l'homme, otage de Lumière en ce monde : l'acte du serpent marque le commencement de toute gnose sur terre. La gnose, par son origine même, porte le sceau de l'hostilité au monde et à son Dieu, et, pour ainsi dire, un contresel de rébellion. (pp. 128-129)
Commenter  J’apprécie          40
« Animal », au sens grec du mot ne signifie pas « bête », mais «être animé»: cette acceptation inclut les démons, les dieux, les astres qui eux aussi ont une âme — et même l'univers, considéré comme un tout pourvu d'âme (Platon, Timée, 30 c) : ce n'est nullement « rabaisser » l'homme que le situer dans cette échelle, et le spectre de l'« animalité », avec ce qu'il donne à entendre au sens moderne, se faufile ici clandestinement. En réalité, le rabaissement consiste, pour Heidegger, à situer « l'homme » sur une échelle, quelle qu'elle soit, c'est-à-dire dans l'enceinte de la nature comme telle. La dévaluation chrétienne d'« animal » en « bête », qui, de fait, empêche de se servir du terme autrement que par opposition à « homme », reflète simplement la rupture accentuée avec la position classique — cette rupture par laquelle l'Homme, unique possesseur d'une âme immortelle, en vient à se tenir tout entier hors de la « nature ». Le raisonnement existentialiste prend son envol en partant de ce nouveau tremplin : il joue de l'ambiguïté sémantique d'« animal », ce qui lui permet de marquer un point sans difficulté, mais il dissimule ce changement de tremplin, dont cette ambiguïté est fonction, et il omet d'affronter la position classique avec laquelle il dispute en apparence. (p. 434, n. 2).
Commenter  J’apprécie          60
Simon battit du pays en prophète, en faiseur de miracles et en magicien, et visiblement avec un grand art de la mise en scène. L'image qui reste de lui et de ses gestes nous vient de source chrétienne, et il va de soi qu'elle n'est pas faite pour nous inspirer une excessive sympathie. Il serait même allé faire son rôle à la cour impériale de Rome, et il aurait mal fini en essayant de s'envoler. Il est intéressant, même si les entours étaient fort étrangers aux nôtres, que dans la société romaine Simon se soit fait appeler Faustus (« le favorisé », « l'heureux »). Si l'on songe à son surnom permanent de « Magicien », et à sa compagne Hélène, qui se disait l'Hélène de Troie revenue à la vie, nous apercevons nettement ici une des sources de la légende de Faust, telle qu'elle nous arrive au début de la Renaissance. A coup sûr, peu d'admirateurs des drames de Marlowe et de Goethe se doutent que leur héros descend d'un sectaire gnostique, et que la belle Hélène évoquée par son art fut jadis la Pensée de Dieu, la Pensée déchue dont le relèvement devait opérer le salut des humains. (p. 151)
Commenter  J’apprécie          50
Faisant partie de cette totalité, étant un cas de la nature, l'homme n'est qu'un roseau, que peuvent écraser à tout moment les forces d'un univers aussi aveugle qu'il est immense, où l'existence n'est qu'un accident aveugle parmi d'autres, non moins aveugle que le serait l'accident de sa destruction. Toutefois, comme roseau pensant, il ne fait point partie de la totalité, il n'en relève pas ; il est radicalement différent, et sans commune mesure avec elle : car la res extensa ne pense pas, Descartes nous l'a appris, et la nature n'est que res extensa : corps, matière, grandeur extérieure. Si la nature écrase le roseau, elle le fait sans penser, tandis que le roseau — l'homme — même au moment qu'on l'écrase, a conscience d'être écrasé. Il est seul dans le monde à penser, non parce qu'il fait partie de la nature, mais en dépit de cette appartenance. Comme il n'a plus part à la signification de la nature, mais qu'il se borne à participer, du fait de son corps, à la détermination mécanique de cette nature, de même la nature n'a plus part à ses préoccupations intérieures (...) telle est la condition humaine. Il n'est plus, le cosmos, ni son logos immanent, avec qui mon logos pouvait se sentir une affinité ; il n'est plus, l'ordre du tout, au sein duquel l'homme a sa place. La place qu'il occupe, elle lui apparaît à présent comme le résultat d'un simple et brutal accident (...) l'indifférence de la nature signifie aussi que la nature est étrangère à toutes fins. La téléologie étant chassée du dispositif des causes naturelles, la nature, elle-même sans but, cesse de donner la moindre sanction aux buts que l'homme pourrait se proposer. Un univers sans hiérarchie intrinsèque de l'être, tel qu'est l'univers copernicien, laisse les valeurs sans soutien ontologique ; le moi est rejeté tout entier vers lui-même quand il est en quête de sens et de valeur.

Le sens ne se trouve plus : il est « conféré ». Les valeurs ne sont plus envisagées dans la vision d'une réalité objective : elles sont posées comme décrets, comme actes qui confèrent de la valeur à l'objet. Comme fonctions du vouloir, les buts ne sont rien d'autre que ma propre création. Le vouloir remplace la vision ; la temporalité de l'acte dépouille l'éternité du « bien en soi ». C'est la phase nietzschéenne de la situation dans laquelle le nihilisme européen revient en surface. Désormais, l'homme est seul avec lui-même.
(...)
« Dieu est mort » : en désignant ainsi la racine de la situation nihiliste, Nietzsche pensait surtout au Dieu chrétien. Si l'on avait demandé aux gnostiques de dire en aussi peu de mots ce. qu'il y avait de métaphysique à la base de leur nihilisme, ils auraient pu répondre seulement : « Le Dieu du cosmos est mort ». Il est mort, c'est-à-dire qu'en tant que dieu, il a cessé d'être divin pour nous, et par conséquent, il ne nous offre plus l'étoile polaire qui pouvait guider nos vies. Convenons que, dans ce cas, la catastrophe est moins générale, donc moins irrémédiable ; mais le vide qu'elle laisse, s'il n'est pas aussi insondable, n'est pas ressenti moins douloureusement (pp. 420-431)
Commenter  J’apprécie          10

Videos de Hans Jonas (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Hans Jonas
Serge Audier Si l'écologie a pour objectif d'étudier les rapports entre un organisme et le milieu naturel, et se donne à cette fin les outils d'une science, elle ne peut ignorer les facteurs qui influent sur ces rapports complexes, lesquels ne sont pas « naturels » mais tiennent à des données sociales, culturelles, économiques, politiques. Aussi, de l'intersection de l'écologie et des sciences sociales ou économiques, est née l' « écologie politique », terme forgé en 1935 par le physiologiste américain Frank Thone mais utilisé surtout à partir des années 70. Impulsée par les travaux pionniers de l'anthropologue Eric R. Wolf, de Michael J. Watts, de Susanna Hecht, du philosophe Hans Jonas ou, en France, d'André Gorz, l'écologie politique a connu un essor considérable, et a déjà une « histoire ».
+ Lire la suite
autres livres classés : philosophieVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (11) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
438 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}