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EAN : 9782290138113
500 pages
J'ai lu (03/05/2017)
3.69/5   1240 notes
Résumé :
Aurore est styliste et mère de famille. Ludovic est un ancien agriculteur reconverti dans le recouvrement de dettes. Ils partagent la cour de leur immeuble parisien et se rencontrent car des corbeaux s'y sont installés. Leurs divergences pour régler ce problème les mènent à l'affrontement mais ils finissent par apprendre à se connaître.
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Critiques, Analyses et Avis (305) Voir plus Ajouter une critique
3,69

sur 1240 notes
Ludovic : quarante-six ans, veuf depuis trois ans, sans enfant, agriculteur reconverti dans le recouvrement de dettes, mal à l'aise dans ce boulot et à Paris.
Aurore : styliste, citadine friquée, la quarantaine, mariée depuis huit ans à un homme d'affaires américain, mère de jumeaux de six ans.
Lui : un doux géant effrayant, mi-nounours mi-grizzly, un roc, une puissance minérale.
Elle : élégante, gracieuse, désemparée, fatiguée par sa vie de famille, angoissée par l'avenir de sa petite entreprise.

Le livre pourrait s'appeler 'Les oiseaux' ou 'Fenêtre sur cour', comme ces deux films d'Hitchcock : c'est grâce à sa phobie des corbeaux qu'Aurore fait connaissance avec Ludovic, et c'est parce que leurs fenêtres sont en vis-à-vis qu'ils vont maintenir le lien. Ça serait plus sobre, plus mystérieux et surtout moins cucul que 'Repose-toi sur moi'. Mais ce titre s'explique joliment, à la fin.

Dans 'L'écrivain national', je voyais l'auteur dans le personnage principal. Ici aussi, bien que ces deux histoires soient très différentes. Le ton est plus grave dans ce dernier roman, moins mordant. Ludovic et Aurore vivent chacun une période difficile. Ils sont arrivés à un point de rupture, ils s'entraident... ou s'entraînent mutuellement vers le fond ?

Bien qu'il reprenne des thématiques déja évoquées dans ses autres textes (ville/campagne, solitude, crise existentielle), Serge Joncour a une capacité à se renouveler qui me laisse admirative. Il nous offre ici une belle histoire qui prend des allures de thriller. Ce roman m'a fait penser à Maupassant, Zola (un titre en particulier), Zweig, et Boileau-Narcejac, mais aussi à Delphine de Vigan pour la sensibilité 'féminine' de certains propos et certaines descriptions (cf. la soupe).

L'intrigue est peut-être un peu trop diluée, mais l'intérêt grandit à mesure que la tension monte. Le dénouement m'a agréablement surprise, grâce à la façon dont les choses sont exprimées, par les gestes et les mots... Comme 'son' Ludovic, Serge Joncour fait preuve d'une grande subtilité sous ses airs d'ours maladroit - et ça aussi, j'admire et j'aime, au point de me jeter sur chacune de ses nouvelles parutions.

• Un grand merci à J. ! 😊
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Repose-toi sur moi Serge Joncour Flammarion ( 427 pages 21€)
Rentrée littéraire Septembre 2016
Le douzième roman de Serge Joncour s'inscrit dans la lignée de L'Amour sans le faire.

Pour Aurore Dessage, femme hyperactive, qui jongle avec les aléas du quotidien et son triple rôle de mère, épouse et businesswoman, faire une pause, le soir, dans la cour arborée de son immeuble parisien, est vital.Cet îlot de verdure qu'elle se plaît à cultiver reste son havre de paix, sa « bouffée d'air », « un vrai sas », son refuge jusqu'au jour où des « croassements glaçants » ont supplanté les «  gazouillis épars, les sifflotements des merles » . Traverser la cour de nuit devient sa hantise. Mauvais présage que ces oiseaux de malheur qui semblent la défier, « se jouer d'elle ».

L'auteur focalise notre attention sur Aurore et Ludovic depuis leur rencontre fortuite dans cette cour, cette «  petite campagne ». Scène incroyablement hallucinante, digne d'un film d'Hitckock : croassements, hystérie des « bêtes affolées ». Suspense.

Avec beaucoup de finesse, Serge Joncour décrit l'évolution des sentiments d'Aurore et de Ludovic, ce voisin qui exacerba sa peur. Aucun attrait immédiat entre eux.
Ils se croisent, se jaugent, s'épient. Il la toise. Échanges secs. Son « ton faussement jovial », son humour l'insupportent. Elle le trouve « plouc ». Pourtant elle a envie de le revoir ce « colosse » aux « mains de matamore » qui a compris sa phobie. Comment interpréter ce «  petit cadeau » du « plumeau », trouvé dans sa boîte ? Une façon d ' apprivoiser l'autre ? La fascination opère insidieusement.

Après avoir été source de frayeur, la cour retrouve sa quiétude et revêt un rôle majeur. L'« infime forêt » devient leur jardin secret, leur cocon, le théâtre des balbutiements de leur idylle ( un instant d'abandon) , le berceau de leurs ébats ( étreinte totale) et le témoin d' instants volés entre les deux amants. Leurs fêlures les rassemblent mais ralentissent leur fusion amoureuse. Ces deux-là s'accrochent l'un à l'autre comme à une bouée de sauvetage. Les liens se nouent, les mains se frôlent, se caressent, les corps se fondent. Aurore trouve en Ludovic une écoute , «  un rempart » et vit chaque rencontre comme «  une pure parenthèse, un dépaysement ».

Voici Aurore, en plein maelström, écartelée entre la raison et le coeur, taraudée par la culpabilité, cédant à la panique, plongée dans ses atermoiements : revoir Ludovic ou l'éviter ?

L'ironie du destin : Aurore, revenue en catastrophe, découvre que celui qu'elle a pris pour « un prédateur, un nuisible » n' est autre que Ludovic, l'homme providentiel, le voisin bricoleur, envers qui elle ne peut être que doublement reconnaissante ! Comment le remercier d'avoir limité les dégâts ? Pour les mômes, admiratifs, le « doux géant », qui «  se sent d'ailleurs », devient le « superplumber », leur héros.
Mais qui est ce parfait inconnu, qui sait si bien la deviner ?
Un oxymore vivant, déraciné, qui a dû s'approprier les codes du monde urbain.

Ludovic, avec son « mètre quatre-vingt quinze pour cent deux kilos » en impose.
C'est préférable pour son métier de recouvreur de dettes. Souvent confronté aux difficultés des ménages qu'il visite, il restitue le pouls de la France des banlieues.
Métier dangereux.Une lame est vite sortie quand le ton monte, la colère gronde.

Si Aurore s'épanche lors de leurs rencontres, de leurs virées en forêt de Boulogne ou de Barbizon, Ludovic, «  le fauve malchanceux » se confie difficilement, ne laisse rien paraître, «  se verrouille, au point de paraître insensible, indifférent ». Hormis l'adrénaline de méfaits et le sexe ( vertige, ivresse), il se moque de tout. Pourtant : « Tout d'elle l'attirait » alors qu'elle « représentait tout ce qu'il aurait dû fuir ».

Serge Joncour se révèle un subtil entomologiste des coeurs, traquant les méandres du désir charnel, violent, pour ces deux amants au désert affectif. Il offre des pages «  ardentes », sulfureuses, du 37°2 et habille son écriture de tendresse , de douceur et mieux encore de sensualité. Il met en exergue l'emprise que peut avoir un être sur un autre. Ludovic reconnaît que « jamais personne ne l'avait ensorcelé à ce point ». Il est prisonnier de cette dépendance amoureuse, « dangereusement attaché », possédé.

En fin de compte, Aurore est-elle pour Ludovic une bénédiction ou sa plus grande malédiction ?
Au lecteur d'en juger à travers leurs portraits très fouillés que Serge Joncour brosse, avec maestria, les suivant en parallèle dans leur vie professionnelle.

Pour Aurore Dessage, styliste, Paris reste le symbole de la mode, « l'emblème de la création », une ville qui la «  rassure ». Elle conjugue l'innovation et le «  made in France ». A l'opposé, Fabien, son associé mise lui sur le profit, «  faire du chiffre » et privilégie le commerce avec la Turquie, la Chine. Leurs objectifs divergent.Leur différend gangrène leur relation et menace l'avenir de leur petite entreprise en pleine tempête, alors que la société de son mari florissante rayonne jusqu'aux USA. Comment tout assumer seule quand on se retrouve en butte aux problèmes économiques  ? Sans compter un déplacement urgent pour régler une livraison défectueuse.
Elle sent son couple se déliter par manque de disponibilité de chacun.Un mari de plus en plus distant, souvent à l'étranger, hyper connecté ou avachi devant la télé.
N'est-elle pas au bord du découragement et du burn out, rendue à sa déréliction, quand elle croise Ludo, du genre altruiste, prêt à l'aider, à l'accompagner à un rendez-vous d'affaire ?
Nouveau dilemme cornélien : sauvegarder son couple, ses enfants ou refaire sa vie.

Quant à Ludovic, le regard des autres lui renvoie l'image d'un « costaud » inébranlable, « rayonnant d'une densité minérale brute », d'un « gars solide que rien n'atteint » «  ne gêne », alors «  qu'en réalité il se sent écrasé par la capitale», qu'il peut être «  cloué par la douleur ». Pour sa mère , n'est-il pas « le plus grand, le plus fort » ? Odette Mercier considère ce « voisin facile » comme «  le faux fils providentiel », serviable. Pourtant, lui est miné par ce sentiment d'être « bas de gamme », «  un tocard » et de ne pas mériter Aurore. « Il y a des êtres pires que des pièges, des êtres toxiques, s'y frotter,c'est s'y rayer. Les rencontrer, c'est courir à sa perte. », assène l'auteur. Ludovic se retrouve impliqué dans un sac de noeuds invraisemblable, propice à alimenter le suspense. Que fait le fusil dans le coffre de sa twingo?Que fomente -t-il pour se venger de l'humiliation subie ? N'a -t-il pas «  tout envenimé », causé du désordre ? Comment expliquer ses accès de rage, son impulsivité , ses coups de sang? Il se sent « piégé », dépassé.

Si Serge Joncour a opté pour un ton plus grave, il ne se départit pas de son humour, et nous offre des intermèdes plaisants ( Ludovic poursuivant la cérémonie du thé, après la «  chorégraphie parfaite des serveurs ») ou hilarants comme l'essayage de pantalons qui «  mobilisait trois personnes » autour de Ludovic. Comment ne pas rire de concert avec les vendeuses à la vue de « la cabine prise de spasmes » !

Chez Serge Joncour, l' histoire, avec ses luttes et violences sociales, n'est jamais absente de son esprit ou indifférente à sa plume.Si l'argent était déjà au centre de L'écrivain national avec l'exploitation de la forêt, ici la loi des marchés domine, irrigue les vies professionnelles des protagonistes. Ils savent que « le business , c'est soit tu bouffes les autres, soit tu te fais bouffer », «  c'est comme monter sur un ring, il faut donner des coups, sans quoi c'est toi qui en prends ». L'auteur livre un vif témoignage de notre époque où le profit l'emporte ( fabriquer à l'étranger) sur la qualité, le savoir-faire «  made in France ». Il glisse un clin d'oeil indirect à la ville de Troyes et son passé de la bonneterie. Par chapitres alternés on suit les destins protéiformes de ses deux protagonistes happés par une succession d'imprévus, d'embûches, d'embrouillaminis, au bord du précipice, et d'autres vies minuscules.

En filigrane, Serge Joncour renoue avec la dualité ville/campagne. Pour Ludovic, que Paris «  tend comme un ressort », le retour aux sources dans la vallée de Célé lui offre ce « bol d'air » salvateur. Dans cette nature, « l'environnement se foutait pas mal de son gabarit », de sa stature si imposante. Il pose un regard poétique sur la capitale aux multiples perspectives, sur la Seine. Avec tact et pudeur il évoque le désarroi de ceux qui voient leurs aînés se dégrader, ainsi que la maladie,le deuil. Il soulève la délicate question d'aimer de nouveau tout en restant fidèle à celui qui est parti.

Si certains êtres vous habitent de façon obsessionnelle, il en est de même de certains livres. Serge Joncour signe un très beau roman complexe, ambitieux, ample, captivant, foisonnant de personnages, en prise avec l'actualité. Le talent de Serge Joncour est toujours de se raccrocher à l'humain. Il nourrit une empathie généreuse, profondément sincère pour ses protagonistes devant leurs turbulences intérieures. On retrouve avec délectation le style Joncourien: puissant, écorché vif, cinématographique suscitant des images fortes( corbeaux « jaillissant comme des assiettes au ball-trap », geyser,cataracte chute dans l'étang, métaphore du buffle)

Cette love story entre voisins,une passion adultère improbable, « tellurique » teintée de culpabilité, d'autant plus inattendue que tout les oppose, saura tatouer le lecteur de façon indélébile.
Si on a tous rêvé que « quelqu'un nous attende quelque part », après avoir lu Anna Galvada, en quittant le roman prégnant de Serge Joncour, le lecteur va guetter la voix bienveillante, lénifiante qui l'apaisera par son invite : «  Repose-toi sur moi ». «  Double sens quand tu nous tiens », déclare Serge Joncour, en écho au titre magnifique.
Un livre tour à tour, touchant, drôle, inquiétant, violent, poignant, tendre, nostalgique, hypnotique à ne pas laisser au repos et qui ne vous laisse pas au repos! Il enflamme et séduit. On souscrit. STYLISSIME.
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Ludovic, solide gaillard de la campagne quitte sa ferme et ses parents pour laisser la famille de sa soeur vivre du revenu des terres insuffisant pour tous.
Il vient de perdre son épouse Mathilde. Il va travailler à Paris dans une société de recouvrement de dettes. Il revient régulièrement dans son village pour voir ses parents et surtout sa mère atteinte d'une maladie sénile.
A Paris, il est très mal à l'aise car la nature n'est pas présente sauf près du fleuve où il retrouve une ouverture.
Il habite dans un immeuble avec une cour intérieure.
D'un côté, les logements luxueux et de l'autre les petits logements non rénovés où il habite.
Un jour, il fait la connaissance d'Aurore, habitante d'un grand appartement luxueux dans le même immeuble que Ludovic. Elle est très angoissée par la présence de corbeaux dans la cour.
Aurore est mariée, mère de famille, styliste à la tête d'une boîte en difficulté.
Pour moi, c'est une première rencontre avec Serge Joncour et on peut parler de révélation.
Souvent, j'ai pensé à ce thème de milieux différents abordé avec humour par Katarina Mazetti dans "Le mec de la tombe d'à côté" mais la comparaison s'arrête là.
L'écriture de Serge Joncour est magnifique et les sentiments de Ludovic magnifiquement exprimés.
Je peux dire que je suis allée à la rencontre du personnage. Au début, le titre s'explique par la force de Ludovic et la fin est surprenante au niveau du titre et du contenu.
Pas décevante du tout la fin du roman...mais je ne peux pas en dire plus. Ce serait malhonnête!
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Après l'excellent et remarqué « L'écrivain national » sorti en 2014 et qui fut finaliste du prix Renaudot, Serge Joncour nous propose pour cette rentrée littéraire 2016 Repose-toi sur moi son dernier opus.

« Parfois, à de petits carrefours inattendus de la vie, on découvre que depuis un bon bout de temps déjà on avance sur un fil, depuis des années on est parti sur sa lancée, sans l'assurance qu'il y ait vraiment quelque chose de solide en dessous, ni quelqu'un, pas uniquement du vide, et alors on réalise qu'on en fait plus pour les autres qu'ils n'en font pour nous, que ce sont eux qui attendent tout de nous, dans ce domaine les enfants sont voraces, avides, toujours en demande et sans la moindre reconnaissance, les enfants après tout c'est normal de les porter, mais elle pensa aussi à tous les autres, tous ceux face auxquels elle ne devait jamais montrer ses failles, parce qu'ils s'y seraient engouffrés, ils ne lui auraient pas fait de cadeaux. Ils sont rares ceux qui donnent vraiment, ceux qui écoutent vraiment »

Aurore a tout pour être heureuse. Styliste réputée, elle est propriétaire de sa marque de vêtements Aurore Dessage. Mère de deux enfants, mariée à un riche homme d'affaires américains, elle vit dans un luxueux appartement à Paris.

On ne peut en dire autant de Ludovic. Ce provincial, agent de recouvrement de dettes, a quitté la ferme familiale et sa vallée du Célé suite au décès de sa femme Mathilde il y a 3 ans. Il vit depuis seul dans un petit appartement parisien qui ne paye pas de mine.

« dans une vie le drame est toujours là à roder, tout près de tout abîmer. »

Tout semble opposer ces deux individus si ce n'est le fait qu'ils partagent une cour arborée commune (leurs deux appartements se faisant face dans le même immeuble). Si ce n'est que l'un comme l'autre doute, s'interroge, ... La citation qui suit résume à elle toute seule tous ces tourments.

« En se serrant contre cet homme, en s'y plongeant avec tout ce qu'elle mobilisait de forces, elle embrassait l'amour et le diable, la peur et le désir, la mort et la gaîté, elle avait la sensation de se perdre en plein vertige dans ces bras-là, d'être embarquée dans une spirale qui n'en finirait jamais de les avaler. »

L'auteur utilise d'ailleurs beaucoup ce processus d'opposition des genres : la ville vs la campagne, la famille vs la solitude, la pensée vs la réalité, les idées vs les faits, la face visible et la face cachée de l'humain…

« En ville la solitude a un écho démesuré. Il aurait cru que ce serait le contraire, qu'en ville, vivre seul serait un genre de bienfait, une bénédiction, la compensation de toutes ces heures occupées à évoluer au milieu du monde, à être sans cesse entouré. En fait non. »

« A la campagne l'extérieur n'était jamais hostile, dans le froid il bougeait toujours, il ne faisait jamais de surplace, pas même à la chasse, à la limite il aimait bien se faire secouer par un coup de gelée ou une bonne pluie, marcher dans la neige aussi bien qu'en plein cagnard, alors qu'à rester planté sans bouger dans le souffle de ces deux avenues immenses, deux nationales aux perspectives interminables, il était pris de tremblements, comme s'il ressentait l'instant exact, la seconde précise où il attrapait froid, c'était curieux de concevoir ça, pourtant il demeurait immobile, se croyant le plus fort encore une fois. »

Et pourtant… une rencontre fortuite dans cette « petite campagne » va bouleverser la vie de Aurore et Ludovic. Une histoire de corbeaux en est l'origine : leurs cris effrayant et rendant hystérique la femme, l'homme décide de lui venir en aide et d'éliminer les oiseaux.

En fin de première partie, le décor est ainsi planté. Malgré les apparences, on est loin d'une intrigue banale. C'est tout l'art de l'écriture de Serge Joncour. Tour à tour intimiste, tendre, drôle, touchante, poignante, abrupte, hypnotique et finalement addictive, sa prose nous envoûte, nous émerveille, nous émeut et au final nous séduit véritablement.

Les chapitres sont majoritairement courts, l'alternance descriptions et dialogues donne un vrai rythme. Les phrases sont longues, douces, mélodiques, poétiques. Elles nous plongent dans les pensées des deux personnages, leurs questionnements, leurs souhaits et leurs contradictions, décryptent leurs faits et leurs actes.

« Cette femme représentait bien tout ce qu'il détestait de Paris, tout ce qui le rejetait, tout ce qu'il aurait dû fuir, et pourtant elle l'attirait. Tout d'elle l'attirait. »

« plus que jamais elle avait réalisé à quel point cet homme lui échappait complètement, qu'ils n'avaient rien en commun, rien de familier, et malgré ça, à ce moment précis, il était l'être duquel elle se sentait le plus proche, le plus intime. En plongeant sa tête dans son cou, les yeux fermés elle se dit, Je ne le connais que depuis un peu plus d'un mois, mais il est entré en moi par une porte cachée, secrète, que lui seul a su trouver… »

Cela rend surtout Aurore et Ludovic terriblement attachants. On est à leur côté, on sourit ou on souffre avec eux. Plus on avance dans les pages, plus la lecture est agréable, plus on savoure et on a envie de savourer. J'ai eu beau essayer de ralentir mon rythme, j'ai dévoré et avalé la dernière partie à vitesse grand V tellement cet opus est addictif. Il a été impossible de ne pas me sentir concerné tant cela me touchait et me marquait.

C'est aussi un roman contemporain et engagé à l'image des valeurs de l'auteur. Les travers du business actuel sont largement abordés avec finesse :
« parce qu'eux ils savaient bien que dans les affaires il ne faut jamais chasser seul mais toujours en meute, que dans les affaires il ne faut jamais s'isoler, il ne faut jamais partir seul sans s'assurer de ses appuis, à moins de chercher à se faire bouffer. »

Ou force :

« le business, c'est soit tu bouffes les autres, soit tu te fais bouffer ».

Souvent avec justesse :

« C'est pourtant vrai, il ne suffit pas d'être génial pour réussir, il faut surtout anticiper, dans la vie c'est toujours ceux qui ont un coup d'avance qui réussissent, pas les surdoués ! »

« Il ne priverait personne de ce cadeau. » est la dernière ligne des 427 pages de ce formidable livre. Merci Serge de nous avoir offert ce grand moment de sérénité, de beauté, d'humanité, d'introspection, de questionnement, de joie, de vie, d'amour… Que serait la vie sans l'amour ? A quoi servirait ce dernier sans vie ? Parfois il faut savoir oser… Oser aller vers les autres, oser faire confiance à l'autre, oser se remettre en cause, oser desserrer la bride. le résultat est bien souvent au-delà de nos espérances. Mais autant faut-il oser bouleverser ses habitudes, mettre un mouchoir sur sa fierté et accepter de se reposer sur quelqu'un d'autre comme l'ont fait nos deux protagonistes.

« C'est elle qui prit l'initiative, il avait des lèvres tellement charnues et douces qu'elle n'eut même pas le temps de se demander ce qu'elle faisait, elle n'eut pas le moindre mouvement de recul tellement elle les voulait encore ses lèvres, elle se plaqua cotre l'arbre, elle était éperdument exaucée, cette cour qui depuis des années lui donnait de l'énergie, cette enclave de sérénité, voilà qu'elle allait jusqu'au bout de cette promesse, pour une fois elle était au coeur même de ce refuge qui la protégeait du monde, il faisait nuit maintenant, et dans l'obscurité, sous ces feuillages, tout était plus sombre encore, parfaitement caché. »

Repose-toi sur moi est définitivement un ouvrage qui fait du bien, qui donne envie de lire, qui fait aimer la littérature, tout simplement une lecture indispensable de cette rentrée littéraire. Non, ne vous privez pas de ce cadeau, bien au contraire même. Je vous encourage très fortement à le réserver chez votre libraire ou bibliothécaire favori. Vous passerez assurément un merveilleux moment qui vous marquera longtemps. A lire, relire et transmettre.

Une dernière citation pour la route en guise de conclusion de ce billet :
« Quitter c'est se redonner vie à soi, mais c'est aussi redonner vie à l'autre, quitter c'est redonner vie à plein de gens, c'est pour ça que les hommes en sont incapables, donner la vie est une chose qu'ils ne savent pas faire. »

5/5 SUBLIME COUP DE COeUR

Repose-toi sur moiSerge JONCOUR
427 pages - Editions Flammarion - Parution le 17 Août 2016.
Lien : http://alombredunoyer.com/20..
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Et voilà ! ça nous vole dans les plumes. Autant dire que ça existe. Aimer ! Quand on ne pense plus qu'à ça, jusqu'à déconsidérer l'instant. Miné, muni de doutes et d'espérance ou animé d'une force transmutable.
Exister dans la tête de quelqu'un, dans ses bras jusqu'à plus soif, sans plaisir assouvi ni besoin satisfait. Agir en déraison pour cause de hors-jeu, dans un monde mais à côté. Et puis, vivre ! enfin. À tout prix emporté mais sans délai, au-delà des arrêtés de la vie publique et du cadre familial délimité. Tout ce désordre ! Pour cause d'une attention qui n'a pas de prix, par petites touches imperceptibles, entre trouble et hardiesse, peur et témérité. Cet appel à l'autre et ce rappel à soi.
Une écriture épurée qui prend sa source dans un élan de simplicité pour exprimer des mots de tous les jours. Et, quoi qu'il en soit du corbeau à la tourterelle, de la haute volée chez Serge Joncour.
Merci aux éditions Flammarion : "Personne d'autre ne lui aurait donné une telle preuve d'amour" et à Babelio pour cette opération masse critique, rentrée littéraire.
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critiques presse (5)
LeFigaro
29 septembre 2016
Une rencontre improbable entre un ancien agriculteur et une styliste de mode.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeFigaro
05 septembre 2016
Si on admire tant la prose de Serge Joncour, c'est parce qu'il est délicat. Et sait mieux que quiconque parler d'amour.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Telerama
31 août 2016
Cet auteur magique et malicieux sait comme personne évoquer la vie contemporaine et ses contradictions, les peurs sociales et la beauté des âmes.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
29 août 2016
Un formidable roman autour de la rencontre de deux solitudes, porté par la grâce et une sensibilité rare.
Lire la critique sur le site : Lexpress
LeJournaldeQuebec
22 août 2016
Avec une très belle plume, Serge Joncour raconte cette rencontre émouvante, cette histoire d’amour, parle de Paris au sens large et fait une sorte d’état des lieux.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Citations et extraits (292) Voir plus Ajouter une citation
Et même s'ils n'étaient pas mariés, Mathilde était sa femme. Il repensa à ces mois maudits, à ce long tunnel qu'est la maladie. Quand on perd cette bataille-là, ça veut bien dire qu'on n'est pas si fort que ça. Du cancer de sa femme il ne dirait jamais rien, et à qui en parler d'ailleurs ? Il gardait juste en tête ces petites marches qu'ils faisaient tous les deux dans les couloirs de l'hôpital, de la chambre jusqu'à la machine à café, à la fin elle avait du mal à se lever, ça lui semblait surhumain de se forcer à marcher sur deux cents mètres, mais elle le faisait, jusqu'au jour où il était allé seul lui chercher le gobelet de café tout chaud qu'elle aimait court et sucré, jusqu'au jour où elle n'a même plus parlé de boire du café, jusqu'au jour où elle n'a même plus parlé. Plus jamais il ne se croirait fort, il ferait juste semblant, il laisserait parler les apparences, le mètre quatre-vingt-quinze et les cent deux kilos, ce corps dans lequel il se cache. Il savait aussi qu'il n'aimerait plus, qu'il n'en serait plus capable, que plus jamais il ne prendrait ce risque.
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Pour Mathilde il n'avait rien pu faire, le plus révoltant dans la maladie c'est son obstination, son entêtement, cette impuissance totale à laquelle elle renvoie. Aujourd'hui encore, ça ne passait toujours pas, il n'arrivait toujours pas à accepter que Mathilde ait perdu la bataille et qu'il n'ait rien pu faire. La seule chose qu'il pouvait pour elle, c'était aller la voir tous les soirs à Toulouse, faire plus de cent kilomètres après le boulot pour lui apporter chaque soir un bol de soupe différent. Ils s'étaient mis à croire en la soupe, à la fin il n'y a plus que ça qu'elle mangeait, elle n'avalait plus rien en dehors de ces potages faits avec les légumes de chez eux, de la vallée du Célé, et rien que l'odeur quand elle ouvrait le bocal, une odeur vivante de nourriture vraie, voilà qui la transportait hors de cet hôpital, ça la faisait voyager. Ludovic l'aidait à manger, et à chaque cuillérée il pensait qu'elle se régénérerait, qu'elle revivrait à force de laper la sève de ces légumes nés de la terre où eux-mêmes étaient nés, et comme les médecins ne voyaient plus comment la sortir de son cancer, ils étaient prêts à croire à la soupe, qu'il lui en apporte tous les soirs de sa soupe, pourvu qu'elle mange, pourvu qu'elle récupère un peu de ce corps qui la quittait. Pendant trois mois, tous les soirs Ludovic avait fait l'aller-retour entre la ferme et Toulouse, et tous les soirs vers vingt-deux heures, il rentrait dans la désillusion du vaincu, à ce même volant il roulait dans le ciel couchant, avec l'image de Mathilde couchée dans son lit. Ce n'était pas humain de vivre ça, il fallait le vivre pourtant, pendant plus d'une heure il roulait avec le bocal vide posé sur le siège passager, cette soupe qu'elle ne réussissait jamais à terminer, et que chaque soir il finissait d'un trait, sachant d'avance que le lendemain il roulerait de nouveau dans l'autre sens, le bocal de nouveau rempli, avec l'espoir que ces voyages durent le plus longtemps possible, ou qu'ils s'arrêtent, il ne savait plus.
(p. 312-313)
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Il regarda Aurore, il observa son beau visage, son cou, ses paupières, son visage d'ange parti loin dans le sommeil. Mais elle n'était pas un ange ni un don du ciel, c'était peut-être même tout l'inverse. A force de ne pas bouger, de tenir cette position, il avait mal au dos, aux jambes, partout, il était piégé, Aurore en réalité lui faisait mal... Possible que depuis le début, cette femme lui ait instillé un genre de doux poison, il se sentait lui-même devenir toxique, malade, mine de rien cette fille l'influençait, le manipulait sans arrière-pensée, sans s'en rendre compte ils se laissaient tous deux dériver vers les limites, à en devenir machiavéliques, à en sombrer, depuis qu'ils se voyaient ils coulaient, simplement en se laissant aller dans le mouvement naturel de l'âme, leur âme à tous les deux. Cette relation leur faisait mal.
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Cet incident est à l'image de sa vie, dernièrement. Depuis septembre, ses journées sont faîtes de ça, de temps qu'on lui vole, de temps qui ne lui appartient pas. Celui qu'ils lui prennent tous au bureau, et ces minutes englouties dans les couloirs du métro, même ses enfants elle les voit comme deux petits voleurs égoïstes, y compris Victor, son beau-fils, qui n'est là que dix jours par mois, son beau-fils qui s'efface le plus possible et qui se renfrogne, à la limite c'est pire, il lui vole un temps qu'il ne demande même pas, simplement en étant là, en ne faisant rien, ni son lit ni ses devoirs, en se vautrant avec sa console dans ce canapé blanc où elle rêverait de se poser un soir, rien qu'un soir, jeter ses affaires dans l'entrée et s'installer dans le profond cuir blanc, et que tout se fasse sans elle.
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Sa résistance, on la décide à tout instant, à tout moment on résout de se laisser envahir ou pas par l'angoisse, de se laisser submerger par une préoccupation à laquelle on accorde trop de place. Être fort, c'est ne pas prendre la mesure du danger, le sous-évaluer, consciemment, tandis qu'être faible, c'est le surestimer.

P276
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À l'occasion du Forum des libraires 2023, Anna Pavlowitch, directrice des éditions, présente la rentrée littéraire d'Albin Michel - @VideoAlbinMichel
Au programme de la rentrée d'automne 2023 : - Psychopompe d'Amélie Nothomb - À Dieu vat de Jean-Michel Guenassia - Le Pavillon des oiseaux de Clélia Renucci - Les Heures heureuses de Pascal Quignard - Chaleur humaine de Serge Joncour - L’Épaisseur d'un cheveu de Claire Berest - Les Amants du Lutétia d'Emilie Frèche - Les Grands Enfants de Régis de Sà Moreira - Paradise Nevada de Dario Diofebi - Illuminatine de Simon Bentolila - Le Diplôme d'Amaury Barthet
0:00 Introduction 0:16 Que vous évoque la rentrée littéraire ? 0:59 Selon vous, est-ce un risque de publier des primo-romanciers en période de rentrée littéraire ?
Un événement @livreshebdo_ avec le partenariat de @babelio
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