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Stephen Graham Jones (Autre)
EAN : 9782370490902
300 pages
La Volte (28/05/2020)
3.72/5   66 notes
Résumé :
Il ne s’appelle pas ; il est cet anonyme, cet étranger habitant à la marge des villes avec sa tante Libby et son oncle Darren : un garçon sur le point de devenir adulte et confronté à un choix qui décidera de son avenir. Doit-il croire au pied de la lettre les récits d’apparence fantasques de son grand-père, emplis de conseils absurdes relatifs au quotidien des loups-garous, ou bien grandir comme n’importe quel enfant et rejeter cette prétendue «anormalité» qui le c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
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C'est mon coup de coeur récent pour le dernier roman de Stephen Graham Jones, Un bon indien est un indien mort, qui m'a amenée à remonter jusqu'à Galeux, son premier roman traduit en France. Toujours dans une veine fantastique mais moins horrifique, le récit est mené essentiellement à la première personne, celle d'un garçon élevé dans une famille itinérante de loups-garous dans l'Amérique d'aujourd'hui, forcés par leur condition à se déplacer dans tout le Sud des Etats-Unis. On les suit des huit au dix-sept ans du garçon. Avec l'adolescence, il voit son corps changer, ses émotions s'exacerber mais ce qu'il attend, c'est de savoir si lui aussi a le gène loup-garou, si lui aussi va se transformer. Son oncle et sa tante sont persuadés que oui, mais la transformation lycanthropique tarde …

Les thèmes de l'appartenance et de l'identité sont omniprésents dans ce roman initiatique. le garçon est poussé par un désir désespéré de devenir un loup-garou, hanté par la mort de sa mère à sa naissance, mystifié par l'absence d'un père dont on lui cache l'identité, porté par la mémoire d'un grand-père loup-garou plein de formidables histoires à raconter. En attendant sa possible transformation, il écoute les contes et légendes, observe de près sa famille, note tout afin de reprendre le pouvoir sur son histoire. Et petit à petit, il propose au lecteur un véritable guide de survie ou manuel du parfait loup-garou.

L'auteur déconstruit ainsi les clichés à la pleine lune et réinvente complètement le mythe du loup-garou en l'intégrant dans une réalité sociale douloureuse profondément humanisée. C'est ce mélange étonnant de réalisme et de fantastique qui propulse le lecteur dans le récit, même lorsque celui-ci se fait un peu confus et redondant. On découvre ainsi pourquoi les loups-garous ne peuvent pas manger de frites, pourquoi ils ne portent que des jeans, sortent méticuleusement les poubelles le soir, adorent les jeux culturels télévisés et vident consciencieusement leur vessie avant une nuit d'errance.

Les scènes d'action pure et dure sont très cinématographiques, imprimant dans les rétines les formidables scènes de transformation physique à la lisière du body horror. Pour le reste, Stephen Graham Jones cultive un ton tragicomique. Les choses tournent vite mal avec la police lorsque le « sang » prend le contrôle du loup-garou et libère ses pulsions féroces, tant il est difficile de préserver leurs secrets à l'égard des locaux 100% humains, tant il est impossible d'entretenir des relations amicales ou amoureuses avec des personnes que vous pouvez déchiqueter à la moindre explosion émotionnelle.

La forme est divertissante mais le fond chargé. le recours au fantastique est sali par la crasse de la vraie vie pour dire la douleur d'être « Autre » dans un pays peu accueillant et de plus en plus violent.

« Un loup-garou ne se résume pas à ses crocs et à ses griffes. C'est à l'intérieur. C'est le regard que tu portes sur le monde. C'est le regard que te renvoie le monde. »

On peut remplacer le mot « loup-garou » par « Indien ». La métaphore est limpide. le loup-garou, c'est l'Amérindien obligé de vivre ou survivre dans un monde moderne construit par les Blancs, devant faire avec l'héritage du traumatisme du génocide culturel passé, tiraillé entre l'acceptation des traditions ou leur refus. Pris au piège en tant que « bâtards » ( le titre originel, « Mongrels » ) alors que ce devrait être formidable de pouvoir habiter deux mondes et de les voir à travers des yeux différents.




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« Nous sommes des loups-garous. Et c'est ainsi que nous vivons. Si on peut appeler ça une vie. »

Les brebis galeuses, ce sont ceux que l'on veut sortir du rang parce qu'ils ne sont pas comme les autres ? Ou ce sont ceux qui sortent du rang d'eux-mêmes parce qu'ils ne veulent ou ne peuvent pas s'intégrer ?

Il ne se passe pas grand-chose aux pays des loups-garous et en même temps il s'y passe trop de choses.
Des anecdotes plus ou moins discutables, des sensations, des conseils, des légendes corrigées… On passe d'un Etat à un autre, on change de métier, on se transforme, on porte des jeans, on regarde des jeux télévisés, on vit dans des caravanes, on tombe amoureux, on mange des steaks crus, des lapins crus… J'ai déjà abandonné des romans qui en racontaient plus et pourtant je n'ai pas lâché ce roman.

Stephen Graham Jones parvient à me transmettre les inquiétudes, les joies, les interrogations. J'ai débordé d'empathies pour ce jeune garçon à neuf ans, à onze ans, à quatorze ans, à seize ans… Il est le criminel, le journaliste, le biologiste, le mécanicien, l'auto-stoppeur mais quand sera-t-il le loup-garou comme son oncle et sa tante ? Il y a dans ce roman, quelque chose que j'ai trouvé très touchant et un amour familial primitif absolument émouvant que j'aie aaaadoré !
L'auteur revisite le loup-garou en lui donnant une âme.

J'ai lu parfois que c'était une métaphore pour aborder les Natifs, Stephen Graham Jones étant de la tribu des BlackFeet. Je n'ai pas assez de connaissance sur le sujet. Quoi qu'il en soit, cela peut parler à toutes les personnes qui se sont sentis oppressées pour leurs différences.
Je repense à cette expression Brebis Galeuse, qui est un comble pour un loup-garou. D'ailleurs, le roman parlera de « mouton » pour parler des loups-garous endormis. Pour nous un mouton c'est effectivement celui qui rentre dans le rang sans réfléchir à sa condition. Et tout au long du roman, on se posera une question essentielle qui nous maintiendra jusqu'au bout de la dernière ligne.
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Chassant toujours en des contrées inexplorées, les éditions La Volte ont cette fois déniché un auteur strictement inconnu en France et qui, pourtant, a déjà publié plus de vingt ouvrages par-delà l'Atlantique.
Cet auteur, c'est Stephen Graham Jones, un natif-américain (Blackfoot, pour être précis) et le roman en question, c'est Galeux (Mongrels en VO), finaliste du Shirley Jackson Award en 2016.
Fidèle à leur ligne éditorial, les gens de la Volte nous offre une curiosité quelque part entre le roman fantastico-horrifique et l'épopée sociale d'un gamin qui peine à trouver sa place.
Un livre qui a les crocs, et ça tombe bien, parce que nous aussi.

Loup-garou, y es-tu ?
« Mon grand-père était un loup-garou », nous avertit immédiatement le narrateur de Galeux. Sans détour.
Le narrateur en question, lui, nous ne connaîtrons pas son nom… et à raison.
Jeune garçon élevé par son oncle Darren, loup-fou et féroce père de substitution, et par sa tante Libby, pudique mais sacrément protectrice aussi, notre héros doit d'abord encaisser la fin de son Grandpa, colosse sur le déclin, vielle bête à la peau dure et aux histoires pléthoriques.
Dans la famille, pourtant, les épreuves, on connaît. Partir sur les routes et changer d'État, perdre des proches et retrouver des parents oubliés au bord du chemin, c'est un peu le lot de tous les loups-garous.
Mais pour notre narrateur, c'est aussi une peur, un fardeau, car les années passant, sa métamorphose tarde et il s'interroge : est-il vraiment un loup comme son oncle Darren ?
Parmi une collection de moments choisis et d'aventures plus ou moins sanglantes, le lecteur va suivre le petit garçon alors qu'il devient un homme, de huit à seize ans, de la naïveté enfantine à la douleur de l'âge adulte.
Ce gamin-là, il vit avec quelques fantômes dans ses tiroirs. Une mère morte en couches, un père qu'il n'a jamais connu. C'est déjà pas mal quand on est humain… alors quand on est garou, vous imaginez ?
Mais les garous, voyez-vous, ça ne pleure pas. Les garous, ça avance, ça montre les crocs et ça reste soudés, comme une famille.
Voilà un peu de quoi parle Galeux : de loups-garous, de famille, de passage à l'âge adulte et d'une vie de chien…enfin de loup, évidemment.
Mais si vous pensez que Galeux se limite à une histoire de loups-garous justement, vous avez tort. Vous avez sacrément tort.

Reconstruire le mythe
Sous la plume somptueuse et émouvante de Stephen Graham Jones se terre des trésors de subtilité et d'inventivité. Ce roman-hybride (d'où son titre original, Mongrels) s'amuse non seulement à réinventer le mythe archi-connu du loup-garou mais aussi à l'humaniser de façon terriblement efficace.
Reprenant des bases imparables comme l'argent-kryptonite ou encore la faim qui suit la transformation, l'auteur brise les os du mythes et les refaçonnent à sa manière.
Saviez-vous que la lune n'a rien à voir dans cette histoire ? Saviez-vous que les loups-garous ont une urine qui constitue le plus puissant des pesticides au monde ? Saviez-vous qu'un garou, ça doit porter des jeans sous peine de mort lente et douloureuse ?
Si ce n'est pas le cas, vous allez apprendre un tas de choses amusantes et franchement bien pensées dans ce bouquin qui regorge de trouvailles.
Loin des bêtes sanguinaires des films qui ont finit par leur voler la vedette, les loups-garous deviennent ici des être humains de chair et de poils, de vrais créatures émouvantes et passionnantes pourchassées et dévoyées.
Traversé par des personnages superbes, Galeux redonne un visage et des intentions à ceux que l'on a voulu faire passer pour des animaux mus par l'instinct et le besoin le plus primaire.
Pourtant, la vie n'est toujours pas simple pour ces marginaux dans une Amérique qui ne veut pas d'eux en l'état, qui voudrait en faire des moutons, qui voudrait tuer le loup et récupérer le reste. Roman social, Galeux offre une tribune à des laissés-pour-compte de l'American way of life.
Pauvreté et violence, oui, mais aussi intelligence, courage et…humanité !

Le sang qui m'habite
Au-delà du passage à l'âge adulte de notre narrateur, Stephen Graham Jones s'interroge sur l'identité. Si notre jeune loup n'a pas de nom, il a pourtant bien des qualificatifs : le vampire, le journaliste, le criminel, le biologiste, le prisonnier… Galeux explore la construction d'un gosse qui vit comme un loup-garou, avec des loups-garous… mais qui n'a pas les attributs de ses loups-garous d'oncle et de tante.
Roman de la recherche, de la quête, Galeux retrace le questionnement, la douleur, la peine, l'impatience d'un gamin qui veut désespérément savoir qui il est : humain ou loup-garou…ou pire, mouton ?
Entre les lignes, le message du natif-américain rôde et étend son ombre.
Le natif devient le loup, et notre narrateur devient un bâtard, un hybride, une seconde génération. À travers cette épopée loup-garou, Stephen Graham Jones explique la difficulté à être amérindien en Amérique hier et aujourd'hui…et certainement demain. Certains acceptent et délaissent leurs traditions, d'autres refusent et sortent les crocs. Mais lorsque l'on est au croisement des deux, que fait-on ? Si le loup ne sort pas, est-on vraiment un loup ?
Le sang amérindien devient sang de loup, les légendes américaines se transforment, du Lone Ranger traître à sa propre espèce à un Billy The Kid plus poilu qu'on ne le pense, Stephen Graham Jones décalque le monde réel pour le relire sous sa plume fantastique et tranchante comme un rasoir.
Le lecteur, captivé, s'interroge et comprend alors que le monstre n'en a certainement jamais été un. Que ce sont le monde et les autres, ces humains, ces envahisseurs qui ne sentent pas et ne hurlent pas, qui ne chassent pas à quatre pattes et qui ne souffrent pas pareil, ce sont eux qui ont redéfini les normes des garous.
C'est beau, follement intelligent et carrément émouvant.

Journal d'une enfance et d'une adolescence, roman de loups-garous et de légendes à moitié oubliées, relecture d'un peuple qui se cherche et qui se bat, Galeux de Stephen Graham Jones va vous arracher le coeur et les tripes avant de vous faire pleurer comme l'humain que vous êtes.
Jamais vous ne brûlerez ces lignes, parole de loup.
Lien : https://justaword.fr/galeux-..
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🍁Automne Fantastique🍁

« C'est à croire que le monde voulait faire de nous des monstres. Qu'il ne nous permettrait jamais de vivre une vie de citoyen lambda. »

Il est des histoires qui débutent étrangement. Et l'étrange, pour commencer l'automne, c'est euphorisant. Muni.e.s d'un plaid, je vous place l'ambiance, on va courir les routes, les forêts, l'Amérique. La belle, la grande, la sauvage. Tous ces grands espaces, où la nature prend le dessus, transforme et révèle. Parce que Galeux sent, autant le bitume que la mousse des bois, parce qu'être ou ne pas être, telle est bien la question: alors est-ce qu'une légende urbaine peut définir, la trajectoire d'une famille?

Il est des histoires qui hurlent à la lune. Je sais déjà que vous voyez venir, la bête. Et pourtant, Stephen Graham Jones remodèle la légende du loup-garou. Exit les clichés, cette histoire réinvente le genre, l'identité, la condition d'un jeune homme en devenir. Ce n'est pas seulement le canidé qui se fait attendre, mais bel et bien, une société qui regarde de haut, ces êtres en marge. Faute de ne pouvoir dompter leurs essences mêmes, elle bride leurs espaces, leurs capacités, leurs natures profondes. Les réduisants à n'être que des Galeux, menant des vies de chiens errants. La voilà, la belle Amérique, celle qui rejette les différents, les trop sauvages, les trop instinctifs, les trop anormaux, les trop hurlants, les trop libres…Ça la dérange, la belle Amérique, tous ces êtres fantastiques…

Il est des histoires qui se transmettent de génération en génération. Des histoires qui portent en elle, le germe de la liberté, de la survie, de la persévérance. Des histoires fabuleuses racontées par les Anciens qui soudent des familles, qui créent le lien, la légende, la force. Des histoires qui s'écrivent dans le sang, dans l'encre, dans l'Histoire. Parce que des fois, il ne reste plus que les mots pour témoigner d'une souffrance ancestrale. Parce qu'il est nécessaire de trouver dans les récits, même imaginaires, surtout imaginaires d'ailleurs, le hurlement puissant pour contrer l'asservissement. Alors n'est pas loup qui veut, mais qui voudrait être mouton?

Tout comme eux, dévorent plus vite que leurs ombres, j'ai lu et dévoré, ce roman extraordinaire. Je me suis attachée à ce jeune, à sa faim, à sa famille, à sa souffrance, à son folklore. Je ne sais pas ce qui fait le garou, mais j'ai ressenti le loup à l'intérieur, il était là et bien vivant, l'oeil vif et gueule ouverte, ayant à coeur de protéger les siens. Et si pour éviter de serrer les poings lors de l'écriture de ces ressentis, c'est quand même le coeur mu par l'émotion, que je vous livre cette chronique. Ne brûlez jamais ces lignes.

Lien : https://fairystelphique.word..
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Dans son nouveau label "Les étoiles montantes de l'imaginaire", dont je vous parlais hier, Pocket propose vraiment des textes variés. Après le Prophète et le vizir qui était très orienté conte oriental, ils reviennent ici avec un texte de fantastique pur, qui prend le contre-pied de l'urban fantasy à laquelle nous sommes habituée pour proposer à la place une sorte de "rural fantasy" fort séduisante mais un peu déstabilisante.


L'auteur, Stephen Graham Jones a déjà commis seize romans et six recueils de nouvelles dans sa langue. Galeux est pourtant le premier texte de sa plume à nous parvenir en langue française et quel texte ! Professeur danglais natif-américain à l'université de Colorado, il s'inscrit à merveille dans le courant littéraire de la Renaissance amérindienne avec un texte très proche de la terre et loin des villes, cadre auquel nous sommes plus habitués désormais à voir les loups garous dont il sera question ici.

Récit d'apprentissage, Galeux se place dans les pas d'un jeune américain différent des autres, qui appartient à une famille qui a bien des secrets. Apprenant que son grand-père, son oncle et sa tante avec qui il vit seraient des loups garous, il s'interroge sur son absence de transformation et nous emmène avec lui sur les routes, tandis que les adultes de sa famille fuient sans cesse quelque chose.

Alors que j'étais habituée à lire des histoires de loups-garous dans un cadre de fantasy urbaine bien marqué avec les oeuvres dites de "bit-lit" arrivées chez nous depuis une vingtaine d'années, j'ai été surprise de découvrir quelque chose de radicalement différent. Avec Stephen Graham Jones, nous retournons plutôt dans une Amérique profonde, terreuse et routinière, comme on peut la voir décrite dans les oeuvres de Clint Eastwood. C'est en quelque sorte la vraie Amérique, celle qui est loin des clichés mirobolants que nombres d'oeuvres de fiction veulent nous porter.

L'ambiance est donc saisissante. Avec une certaine lenteur et implacabilité, nous nous retrouvons aux côtés de notre jeune héros, son oncle Darren et sa tante Libby, sur les routes de l'Amérique, passant d'une bourgade à l'autre, ceux-ci n'y restant que quelques temps avant que forcément cela déraille. A leur côté, on revient à un côté primal du loup garou, mais non primitif, car on n'est pas dans les clichés du genre. L'auteur essaie plutôt de les déconstruire.

Cependant, il raconte avec une certaine crudité les ressorts de ces êtres, leur faim incontrôlable et le danger que c'est à l'époque moderne, tout comme la complexité pour eux d'entrer dans des relations avec de non garous. C'est raconté avec honnêteté et finesse, au cours de pages où l'auteur nous marque sans chercher à faire dans le choquant, pour le choquant, ou le sensationnel pour le sensationnel. Il essaie juste d'imaginer ce que ça signifie vraiment d'être loups garous à notre époque et c'est fort réussi. Les pages racontant leur attrait irrépressible pour les frites ou les poubelles m'ont beaucoup plu pour leur déconstruction, reconstruction du mythe en lui donnant une touche vraiment réaliste.

Le revers de la médaille, c'est que le concept et l'ambiance prennent le pas sur le reste. Je n'ai jamais ressenti le moindre attachement envers les personnages pris individuellement, que j'observais plutôt d'un regard clinique, c'est plus dans leurs dynamiques de famille que j'ai trouvé de l'intérêt, en les voyant se protéger les uns les autres. Parce que seuls, le héros est l'archétypique du jeune qu'on voit passer de l'enfance à l'âge adulte, avec la lycanthropie comme métaphore d'un corps qui change et de désirs qui naissent ; sa tante, Libby, m'a mis mal à l'aise par son caractère de femme soumise à des violences et ne cherchant pas forcément à en sortir, que ce soit des violences physiques avec ses compagnons ou psychologiques avec sa famille ; et son oncle, Darren, a tout du marginal, un peu déviant et souvent toxique pour son entourage. La question se pose : est-ce à cause de leur particularité qui les a toujours obligés à vivre en marge de la société qu'ils sont devenus ainsi ? le discours de l'auteur et son cheminement avec eux est intéressant à suivre.

Narrativement cependant, j'ai été déstabilisée par ce texte qui alterne entre chapitres parfaitement clairs, où l'on suit le roadtrip de cette famille à travers des villes étapes tandis que le héros grandit, et chapitres plus opaques et mystérieux, où les noms ne sont pas cités mais remplacés par des périphrases et le texte rendu volontairement incompréhensible par moment. Heureusement que les explications viennent à la fin, sinon je n'aurais pas compris grand-chose et cela a appelé une seconde relecture de ceux-ci pour bien saisir toute la poésie finalement derrière ces mots cachés derrière la complexité de la narration tarabiscotées de l'auteur.

Galeux fut vraiment une lecture saisissante qui m'a permis de découvrir un concept mainte fois utilisé sous un autre angle. J'ai beaucoup aimé l'expérience. J'ai vraiment eu l'impression de retrouver un auteur américain amoureux de son pays dans le sens le plus pur du terme, utiliser son cadre terrien et rural pour déconstruire et reconstruire un mythe afin de le rendre plus réel, plus concret et plus moderne en même temps. Un très beau travail d'écrivain !
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Il avait plongé droit vers la source du bruit, sans se soucier des obstacles. Parce que son neveu... Parce que le son provenait de la chambre de son neveu.
Jamais de toute sa stupide vie Darren n'avait suivi le moindre cours de géométrie, mais il savait déterminer la distance la plus courte entre deux points. Il savait où j'étais.
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Ils se contenteraient sans doute de hausser les épaules, de marmonner qu'on avait l'air louche, non? Une sorte de pressentiment, le besoin de nous garder à l'œil, devant la camera, dans un miroir. Ne pas nous laisser accéder aux cabines d'essayage sans proposer de compter nos articles. Prétendre que les toilettes sont hors service. Vérifier nos sacs, scruter la forme de nos poches.
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Si jamais Darren avait déboulé dans la chambre et m'avait trouvé sur mon lit, la bouche et les mains ensanglantées, au-dessus d'un lapin éventré, il aurait simplement approuvé. Mais un livre... A chaque fois qu'il me surprenait à lire, il me demandait toujours ce qu'un bouquin pouvait m'apprendre que lui ne savait déjà.
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Darren m’avait raconté qu’il avait trois ans de moins lors de sa première métamorphose, qui avait ensuite déclenché celle de Libby. Ma mère, elle, n’avait pas bronché. Elle s’était levée sans geste brusque, avait fermé la porte de la cuisine afin de leur couper toute retraite, puis elle les avait tenus en respect au bout d’un balai jusqu’au retour de Grandpa.
Trois ans de moins… Darren et Libby avaient donc une dizaine d’années.
Ça tardait à arriver, semblait-il.
Pour peu que ça arrive un jour.
Même si Libby n’en parlait pas, je savais qu’elle misait plutôt sur « jamais ». Elle ne souhaitait pas pour moi la vie que Darren et elle menaient : ne jamais rester plus de quelques mois, pousser les voitures dans leurs ultimes retranchements, puis les abandonner au profit d’une autre. Elle voulait que j’en réchappe sans ce goût pour la viande crue. Que moi je profite d’une vie normale, en ville.
Mais nous sommes des garous.
Toutes les nuits, au crépuscule, l’un d’entre nous sort brûler les déchets, car nous savons tous ce qu’il adviendra de cette poubelle si elle reste dans la cuisine et que quelqu’un se change en loup dans la nuit. La transformation brûle jusqu’à la dernière calorie de l’organisme, ne laissant qu’une faim dévorante, si bien que le premier instinct du loup – la seule obsession, d’ailleurs, qui le ronge lors des premières métamorphoses -, c’est de se nourrir.
Ce n’est pas un choix, c’est un réflexe de survie. On engloutirait tout ce qui passe à notre portée, les voisins endormis sur l’aire de repos comme la poubelle de la cuisine, pour peu qu’on vive dans une caravane louée pour quatre mois.
Ça a beau paraître idiot, c’est la vérité.
Quand le loup ouvre les yeux pour la première fois, l’odeur de la poubelle semble si alléchante, si parfaite. Et si proche.
C’est là que le bât blesse.
On y trouve toutes sortes de choses impossibles à digérer, aussi cruelle soit la faim.
Imaginez-vous, au réveil, avec le couvercle découpé d’une boîte de conserve dans les boyaux. Darren prétend que ça revient à avaler une lame de scie circulaire en vitesse lente. Tout ça à cause de la fragilité de l’humain au petit matin. Même un lien de fermeture de sac congélation en métal risquerait de vous perforer l’estomac.
Le loup, lui, ne fait pas la différence. Il ne pense qu’à bâfrer, tout de suite.
Hélas, l’aube finit toujours par poindre. Ils sont si nombreux, les loups-garous à en avoir payé le prix, m’avait un jour raconté Libby. Tant de morts, poignardés de l’intérieur par les dents brisées d’une fourchette. La vésicule ou le pancréas transpercé par un os de bœuf jeté intact. Elle aurait même entendu parler, disait-elle, d’un loup mort d’avoir dévoré un chien domestique équipé d’une broche chirurgicale dans le bassin. La tige métallique, qui avait glissé sans peine dans le gosier du loup en même temps que les os croquants de l’animal, s’était muée, au matin, en une lance fatale à l’être humain.
Avec un regard appuyé et l’air solennel, Libby avait insisté sur le mot « lance », afin de s’assurer que je lui accordais l’attention adéquate.
C’était le cas. Dans un sens.
Je sortais systématiquement les poubelles. Parce que je savais ma transformation imminente. Parce qu’une nuit je tomberais à quatre pattes dans le long couloir qui menait à ma chambre, que je reniflerais la table basse, puis me concentrerais sur une fragrance bien plus riche émanant de la cuisine – je n’en doutais pas un seul instant. Quand bien même Libby prenait toujours soin de ne pas y laisser traîner de laine d’acier ou de bidon de javel. Quand bien même nous gardions sur le comptoir un pot de poivre noir à saupoudrer sur les déchets qui s’accumulaient au fil de la journée.
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Mon grand-père était un loup-garou.
En tout cas, c’est ce qu’il me disait, et il cherchait sans cesse à entraîner ma tante Libby et mon oncle Darren dans ses histoires, à les pousser à acquiescer quand il racontait qu’une vingtaine d’années plus tôt, il grimpait sur un moulin à vent pour lacérer la pluie de ses griffes. Qu’il courait ventre à terre à la poursuite du train venu de Booneville et le prenait de vitesse. Qu’il courait ventre à terre à la poursuite du train venu de Booneville et le prenait de vitesse. Qu’il battait la campagne, les yeux luisants d’excitation, un poulet vivant entre les crocs, poursuivi par tous les villageois de l’Arkansas. La lune était toujours pleine, et elle l’éclairait à contre-jour comme un projecteur.
Dans ces moments-là, je voyais bien l’air dégoûté de Libby.
Les lèvres fines de Darren s’étiraient en un sourire forcé, surtout quand Grandpa s’élançait d’un pas chancelant dans le salon où il feignait de rabattre des moutons contre une clôture. Tous les loups-garous ont un faible pour les moutons, disait-il, et il se mettait à incarner les deux rôles, tantôt grondant comme un loup, les épaules voûtées, tantôt bêlant de terreur, les yeux écarquillés.
Libby prenait d’ordinaire la fuite avant que Grandpa ne se jette sur le troupeau dans un concert de bêlements affolés, la bouche aussi béante et affamée que la gueule d’un loup, ses dents jaunes et émoussées éclaboussées par la lueur des flammes dans la cheminée.
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Videos de Stephen Graham Jones (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Stephen Graham Jones
À l'occasion du festival "America" 2022 à Vincennes, Stephen Graham Jones vous présente son ouvrage "Un bon indien est un indien mort" aux éditions Rivages
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2608061/stephen-graham-jones-un-bon-indien-est-un-indien-mort
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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