AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur La Couverture du soldat (15)

La nuit de la pluie, elle savait déjà que la vie n'appartient pas seulement à qui la détient, mais aussi à qui la raconte.
Et que la vie de Walter n'appartenait pas seulement à lui, mais à beaucoup d'autres puisque à Valmarès, tous l'imaginaient et racontaient ce qu'ils imaginaient.
Commenter  J’apprécie          121
Le lointain soldat de 1945 est maintenant un homme qui vit en Argentine. Il faut que j'aille à la rencontre de cette personne, de ce cyclope séduisant qui se moque bien d'être appelé par un nom ou par un autre, tellement le passage du temps nous a meurtris. Elle emporte dans un sac trois récits fantasques sur un personnage attirant, absent présent, qui avait nourri leurs vies.
Commenter  J’apprécie          70
Mobile, toute entière mobile, et comme sa tête à la chevelure ondulée tournait en tous sens, sa respiration s'ajoutait à la pluie pour engendrer un souffle enveloppant qui se mêlait au bruit du thé et le transformait en cascade bouillonnante. Sa main tremblait, le thé déviait de son cours, les anses des tasses heurtaient les verres de vin. Des taches rouges s'étalaient sur la table. Elle disait "Ah!" Les deux frères se précipitaient, accouraient en même temps. Elle leur souriait à tous deux avec la même bouche fardée. On comprenait que Maria Ema s'était maquillé la bouche seulement pour Walter. C'était une femme à l'apogée de sa jeunesse, une femme visitée par l'amour, incendiée par le brasier du désir, mise enfin au bord de l'étreinte. L'amour au masque rose lui posait la main sur l'épaule et la poussait vers le corps de l'homme dont il avait fait sa demeure.
Commenter  J’apprécie          50
Plus tard, quand elle eût près de vingt-cinq ans, la fille de Walter conclut qu'il n'y avait pas d'autre façon de rédiger des tirades telles que celle-ci : "Pars et rends-toi, songe pernicieuse vers les agiles vaisseaux des Achéens". Elle s'attacha à gagner sa vie, amassa de l'argent et s'acheta une Dyane.
Commenter  J’apprécie          30
Ils veulent sûrement s'épargner les drames, les tiraillements, les crises de nerfs qu'entraîne le partage d'un héritage fait de rien. Un héritage pour rien. Les Dias absents paient pour ne rien avoir, pour ne pas hériter d'un tas de pierrailles, d'yeuses, de terres sablonneuses et calcaires où personne ne veut construire ni rien planter. Entre la mer et la montagne, leur père a édifié un empire situé sur un parallèle sans valeur aucune, sans se rendre compte qu'il serait un jour le roi des pierres. Et c'est vrai, toutes les nuits des pierres dégringolent des murets qu'il a fait construire il y a plusieurs dizaines d'années. Les yeuses y prospèrent comme si l'abandon était une vitamine, le mépris le meilleur guano, comme si elles croissaient de n'être ni vues ni regardées. Seul le roi des yeuses vit sans s'apercevoir qu'elles ont envahi tout le domaine. Les Dias éparpillés sur les continents américains ne peuvent venir ici se compliquer la vie avec cet héritage encombrant, ces champs redevenus ce qu'ils étaient autrefois, des étendues arides offertes à la désolation, aux genettes et aux renards. Ces Dias-là ne viendront pas ici. La fille de Walter le déduisait des lettres qu'elle écoutait à peine, elle n'en avait ni le temps ni les vacances nécessaires. Mais Francisco Dias traversait la cour, allait jusqu'au portail, l'ouvrait tout grand et avant que la Dyane ne sorte il criait à Custodio : "Allons, un peu de courage ! Flanque-là à la porte !"
Commenter  J’apprécie          30
Comme la nuit où Walter rendit visite à sa fille, ses pas s’arrêtent à nouveau sur le palier, il se déchausse contre le mur avec l’agilité d’une ombre, il s’apprête à gravir l’escalier et je ne peux l’en dissuader ni l’arrêter pour la simple raison que je désire qu’il atteigne vite la dernière marche, qu’il ouvre la porte sans frapper et franchisse le seuil étroit sans dire un mot. Et c’est ainsi que les choses se passèrent. Le temps de reconstituer ses gestes ne s’étaient pas écoulé que déjà il était au milieu de la pièce, ses chaussures à la main. Il pleuvait en cette lointaine nuit d’hiver sur la plaine de sable et le bruit de l’eau sur les tuiles nous protégeait des autres et du monde comme un rideau tiré qu’aucune force humaine n’aurait pu déchirer. Autrement, Walter ne serait pas monté et ne serait pas entré dans la chambre.
Commenter  J’apprécie          30
" Sans moi Maria Ema serait aux côtés de Walter, les fils de Custodio Dias, seraient d'une autre femme et mes frères seraient les fils de Maria Ema et de Walter Dias. Peut-être qu'ils existeraient et pas moi. J'étais la fille d'un hasard, d'une bêtise de jeunesse de l'exubérance du corps ... "
Commenter  J’apprécie          10
J'évoque la décennie de l'ironie, la décennie du silence traversée par le rire oblique du cynisme, et Maria Ema, à la fenêtre de la maison de Valmares, faisait le guet pour que sa fille ne sorte pas, et sa fille sortait ou ne sortait pas, selon son bon plaisir.
Commenter  J’apprécie          10
Elle ne demandait pas qu'il ait été un héros, ni que son nom ait été cité à la radio ou gravé sur un monument, elle désirait seulement qu'il ait disparu simplement, enroulé dans une couverture, un quelconque morceau de serge grise, et n'ait pas donné lieu à ces lettres. Elle enviait les morts dont les corps n'étaient jamais revenus chez eux et dont on ne savait rien, dont il n'était rien resté, pas même l'ardillon d'une boucle de ceinturon. Avec la crauté de ses trente ans, elle aurait voulu que Walter ne soit jamais venir emplir ce jour glorieux de 1963, troubler la paix du boiteux, embraser la vie de Maria Ema, parce qu'il aurait été mort à tout jamais. Elle aurait préféré qu'il soit enterré dans le passé, dans le vaste monde extérieur d'où elle était absente. Elle aurait préféré cela, pensait-elle des heures durant. Et tandis qu'elle marchait sur la fine couche de pétales blancs et roses qui collaient à la semelle de ses souliers et qu'elle rapportait à la maison comme une deuxième semelle, sans les essuyer sur le paillasson métallique à l'entrée, elle comprenait qu'elle ne pourrait pas continuer à vivre si elle n'annihilait pas la vie de Walter.
Commenter  J’apprécie          00
Elle savait aussi que Maria Ema aurait attendu Walter car in ne gardait pas le silence, il écrivait, il envoyait des dessins, des dessins d'oiseaux, à mesure qu'il avançait et arrivait en vue d'une terre. Il les envoyait de Sao Tomé, de Lourenço Marques, en route pour les Indes, il les envoyait à son cher père et à son cher frère. Mais bientôt tous comprendraient à qui il les envoyait. Custodio l'avait toujours su. En 1947 les communications étaient lentes, les mois longs, les soirées sans fin. Les voyages interminables laissaient le temps de penser et de réfléchir, de créer des personnages entre l'aller et le retour, entre ce qui se disait et ce qui se savait. Cinq faits suffisaient à remplir une vie. Encore fallait-il que ces faits fussent séparés par de l'eau, de l'amour, des lettres. Les années pouvaient s'écouler, même s'il n'était pas toujours possible d'attendre. Elle, pourtant, attendait.

La fille de Walter l'apprendrait.
Commenter  J’apprécie          00






    Lecteurs (78) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Antigone de Jean Anouilh

    Qui sont les parents d'Antigone :

    Jocaste et Oedipe
    Créon et Jocaste
    Créon et Eurydice
    Hélène et Ménélas

    10 questions
    629 lecteurs ont répondu
    Thème : Jean AnouilhCréer un quiz sur ce livre

    {* *}