J’ai souligné, à l’adresse de mes amis de Lille, qu’au-delà du leurre à usage personnel que peut constituer l’espérance, au sens qu’a ce mot quand il renvoie à une projection de soi-même dans un espoir infatigablement renouvelé, elle contribue, si l’on pense à la communauté des hommes dans son ensemble, à une démobilisation générale. Parce qu’il y a un autre élément, malheureusement, dans la manière dont les catholiques envisagent la vie – même s’ils mettent le doigt, avec les paroles d’Évangile, sur une grande vérité quant aux ressorts de la condition humaine – qui va dans le même sens de la démobilisation : il existe, à l’arrière-plan de tout ce que l’on perçoit dans le monde sensible, un lieu où l’on se rendra après avoir passé l’épreuve de la mort – laquelle n’est pour les vrais croyants rien d’autre qu’une transition –, où justice sera enfin rendue, tous comptes soldés, où nous serons récompensés pour les vertus dont nous avons fait preuve ici-bas et punis pour les vices qui furent tristement les nôtres. Il y a dans cette croyance – « croyance » parce qu’il n’y a en sa faveur pas un atome de preuve – un facteur démobilisant.
Cette idée que, même si l’on cesse un beau jour de se retrousser les manches, même si l’on finit par baisser les bras, une récompense vous sera cependant accordée, quelque part, le moment venu, pour ce qui aura été accompli durant la vie terrestre, constitue un facteur de démobilisation pour ce qu’il convient d’accomplir ici et maintenant.
Mais ce n’est pas ainsi que le voit le christianisme dans sa dévalorisation du monde qui est le nôtre. Il est écrit dans l’Évangile de Jean : « N’aimez point le monde, ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui, car tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et l’orgueil de la vie, ne vient point du Père, mais vient du monde… » (1 Jean 2 : 15-16). Ce dénigrement du seul séjour qui nous soit véritablement offert est exprimé plus crûment encore dans L’Imitation de Jésus-Christ : « Celui-là est vraiment sage qui, pour gagner Jésus-Christ, regarde comme de l’ordure, du fumier, toutes les choses de la terre » (I, 3, 6).
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