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Dominique Millet-Gérard (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070387540
672 pages
Gallimard (13/09/1996)
4.15/5   87 notes
Résumé :
Dans ce roman autobiographique, l'auteur conte l'histoire d'un écrivain et de son retour à la religion catholique.

Admirateur du Moyen Âge, des cathédrales, de la peinture religieuse ancienne, le héros séjourne dans un couvent pour tenter de résoudre son drame de conscience. Roman de conversion, - et la conversion des artistes, de Claudel à Péguy ou Ghéon, au tournant du siècle est un phénomène de société -, celle-ci échoue. Roman de la vie spirituell... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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Plusieurs critiques ont déjà dit que ce second roman de Huysmans dont Durtal est le héros, raconte la conversion de ce dernier, à savoir son retour à la foi et à la pratique catholiques de son enfance. La "route" est ici la distance que parcourt cet homme solitaire et voluptueux, cet esthète raffiné et amoureux de ses habitudes et de son confort ; ce jouisseur finit par aller passer quelques jours dans un monastère, une Trappe, et en revenir transformé et régénéré. Par quelles étapes passe-t-il ? "Là-bas", le roman précédent, nous le montrait soulevé de dégoût devant son époque, prêt à tout, même au satanisme, pour déterrer un peu d'esprit dans des épaisseurs de matière et d'intérêts égoïstes. Le satanisme de "Là-bas" est une illusion, et "En route" nous montre un Durtal non moins écoeuré par son époque et cherchant dans l'art sacré, l'art chrétien, la nourriture dont il a besoin dans ce temps de famine spirituelle. Mais l'esthétisme est aussi une voie sans issue, une jouissance égoïste de plus. Il faut aller plus loin si l'on veut être vivant et ne pas étouffer. D'où les pages extraordinaires de la retraite à la Trappe, de la confession et de la communion. Peu de romanciers avant Bernanos ont su écrire pareilles pages sur la vie religieuse, les prêtres, les moines. Cette fin de roman est tendre et foudroyante, après les longues pages naturalistes, énumératives, sur les églises parisiennes, leur manière de chanter le grégorien, bref les manoeuvres dilatoires d'un homme qui n'ose pas se confronter à lui-même. C'est de la critique picturale et musicale. Les chapitres de la Trappe, dans leur simplicité divino-humaine, sauvent tout le roman de ses lourdeurs.

J'apprends qu' En route" a joué un grand rôle dans le retour du catholicisme dans la culture française. Comme Huysmans se convertissait, l'état adoptait ses mesures de persécution anticléricales, et d'autres artistes, tel le jeune Claudel, étouffant comme Durtal dans cette France positiviste, maçonnique et affairiste de 1890, retrouvaient l'esprit et la foi. Ces romans de la fin de carrière de Huysmans rendent possibles les grands poèmes et les grands textes théâtraux des années 30.
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L'écrivain Durtal, après avoir épuisé ses sens dans Là-bas, se trouve subitement croyant. D'où lui vient ce retour de foi ? « Quand je cherche à m'expliquer comment, la veille, incrédule, je suis devenu, sans le savoir, croyant, eh bien je ne découvre rien, car l'action céleste a disparu, sans laisser de traces. » (p. 77) Et pourtant, il faut bien comprendre comment son taedium vitae a disparu et comment son, âme s'est retrouvée à chercher Dieu. « Durtal a été ramené à la religion par l'art. Plus que son dégoût de la vie même, l'art avait été l'irrésistible aimant qui l'avait attiré vers Dieu. » (p. 85)

Mais en matière de religion, Durtal est aussi exigeant qu'en matière d'art ou de plaisirs charnels : il abhorre la religion bourgeoise de son siècle et les liturgies mâchonnées des églises parisiennes. « Il faut un clergé dont l'étiage concorde avec le niveau des fidèles ; et certes, la Providence y a vigilamment pourvu. » (p. 54) Même s'il fréquente Saint-Sulpice et Saint-Séverin, il ne rêve que de gothiques édifices et de plain-chant médiéval. Dans l'esprit affamé d'exquisité de Durtal, seul le Moyen Âge était digne de célébrer Dieu. « Alors, dans cet admirable Moyen Âge où l'art, allaité par l'Église, anticipa sur la mort, s'avança jusqu'au seuil de l'éternité, jusqu'à Dieu, le concept divin et la forme céleste furent devinés, entr'aperçus, pour la première et peut-être pour la dernière fois, par l'homme. Et ils se correspondaient, se répercutaient, d'arts en arts. » (p. 59)

Durtal est croyant, mais pas encore pleinement converti. « Il fallait pourtant bien étancher le pus de ses sens et expier leurs appétits inexigibles, leurs convoitises abominables, leurs goûts cariés. » (p. 230) Il lui faut s'extraire des fanges où ses désirs le précipitent et lutter contre les incessantes arguties auxquelles son esprit se livre. « Ne vous découragez point, si vous sombrez. Ne vous méprisez pas trop ; ayez le courage d'entrer dans une église, après. » (p. 151) Sur les conseils de l'abbé Grévesin, il accepte de faire une retraite dans une Trappe. D'abord terrifié par la perspective de se couper du monde et d'abolir ses habitudes parisiennes, Durtal rencontre enfin la grâce au milieu des moines, en compagnie de l'oblat Bruno, dans la grande simplicité de la règle bénédictine. « Il y a bien des gens qui vont à Barèges ou à Vichy faire des cures de corps, pourquoi n'irai-je pas, moi, faire une cure d'âme, dans une Trappe ? » (p. 255)

En route est un roman autobiographique, au même titre que Là-bas : Durtal est la figure de papier de l'auteur et il suit le même chemin que ce dernier. Après la tentation du satanisme, Durtal/Huysmans se convertit et le roman est principalement un monologue intime où s'affrontent les tentations sensuelles et la volonté de prière. Après le corps, c'est l'âme qui est au centre des préoccupations du personnage. « Mon âme est un mauvais lieu ; elle est sordide et mal famée. » (p. 271) Durtal bat sa coulpe, lutte contre la brûlure des désirs, rechute, se dégoûte, cherche la voie salutaire et le pardon. La retraite à la Trappe de Cîteaux est l'ultime tentative de guérison. « J'ai l'âme si courbaturée que j'ai vraiment besoin qu'elle repose. » (p. 308) Durtal met ses dernières forces dans ce traitement qui agit, enfin, par un miracle ordinaire : quand le patient veut être guéri et que le remède est disponible, il n'y a aucune raison que ce dernier n'agisse pas. Mais le nouveau croyant saura-t-il rester en état de grâce une fois de retour à Paris ? « Je suis encore trop homme de lettres pour faire un moine et je suis cependant déjà trop moine pour rester parmi les gens de lettres. » (p. 524) le chemin vers la Foi pleine et entière, débarrassé des doutes et des retours en arrière est encore long. Pour en connaître le terme, j'ai hâte de lire La cathédrale et L'oblat, les deux autres titres qui composent le roman de Durtal.

En route est également une bibliographie fabuleuse sur la religion, la mystique et la foi. Huysmans présente ici sa bibliothèque et elle pourrait devenir celle de tout croyant. Et, au-delà des textes, il y a l'art en général : peinture, architecture, chant, sculpture, impossible d'échapper à l'immense érudition du critique d'art qu'était Joris-Karl Huysmans. Avec le style riche que j'avais tant apprécié dans Là-bas et Sainte Lydwine de Schiedam, Joris-Karl Huysmans a écrit un superbe texte sur la conversion. Touchée par la poésie des mots – souvent rares parfois archaïques, quelquefois inventés –, je le suis également par la profondeur et la beauté du propos. Mais, lecteur, si tu n'es pas croyant, ne crains pas de lire ce roman qui illustre à merveille le courant de conversion qui a touché bien des auteurs à la fin du 19e siècle.
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Le deuxième roman du cycle de Durtal, un double de l'écrivain, que l'on avait vu dans Là-bas, aux prises avec le monde du satanisme, et déjà animé d'un dégoût de son époque matérialiste.

Nous le retrouvons assistant à un office dans l'Eglise Saint-Sulpice, et dès le début, il nous engage sur son chemin de réflexions et de doutes, sur son mépris d'une pratique religieuse qu'il trouve viciée, et sur sa nostalgie du Moyen-Age, déjà présente dans Là-bas, la peinture des Primitifs, le plein-chant, le dépouillement présumé de cette époque médiévale.
Ses errements dans différentes églises de Paris lui donnent beaucoup de déception, malgré leurs beautés architecturales, devant une liturgie médiocre, un clergé et des paroissiens à la piété de façade.
Sur le plan spirituel, Durtal est déchiré entre son attraction vers le catholicisme et sa vie personnelle qu'il trouve inadéquate et débauchée.
Mais une cérémonie plus sobre et plus sincère à l'église Notre-Dame des Victoires sera une étape dans son chemin, qui lui fera rencontrer l'abbé Grevesin, avec qui il va se lier. Ce dernier l'incitera à faire un séjour à la Trappde Notre-Dame de l'Âtre, séjour qui constitue la seconde partie du roman.
Cette retraite changera profondément Durtal, qui se libèrera progressivement de ses tourments pour trouver la paix intérieure, en s'intégrant à la vie monacale rude et contemplative, en traversant une grave crise de tentation démoniaque, et en ayant des discussions avec plusieurs moines qui vont l'éclairer à la fois sur la religion et sur le sens à donner à sa vie.
Le roman se termine avec un Durtal en route vers Paris, plein d'interrogations sur ce qu'il va faire.

Comme toujours chez Huysmans, il y a la beauté du style et des descriptions, l'érudition magnifique. Mais, je dois avouer que j'ai été moins séduit par ce récit qui correspond à cette période du renouveau du catholicisme de la fin du 19ème siècle. Certes, la démarche du héros qui cherche à se dépouiller de tout ce qui est superflu me parle, mais c'est celle que l'on retrouve aussi dans les philosophies orientales et d'autres.
Mais cette démarche est noyée dans un chemin religieux dont je me sens bien loin, référence à la Vierge Marie, tentations du démon, etc…, toutes ces « bondieuseries », je n'ai pas su y adhérer. Même si je respecte toutes ces croyances, mon adhésion au propos de ce roman est difficile, moi qui suis athée, ou qui pourrais au minimum accepter l'idée d'un Dieu qui soit celui de Spinoza, un Dieu immanent à l'Univers. Et puis, il y a la façon de considérer la femme essentiellement comme une tentatrice, une déconsidération de ce qu'il appelle « le péché de chair », qui m'ont rebuté.

En conclusion, et pour toutes ces raisons, En route me plaît beaucoup moins que A Rebours et Là-bas.
Mais ce n'est que mon ressenti de ce roman pourtant magnifiquement écrit.
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On imagine mal aujourd'hui l'effet que produisit la sortie du long roman de Huysmans. Pour en prendre la mesure, il faut se pencher sur la critique de l'époque, tour à tour élogieuse ou assassine.
Ce livre est à tort, nommé « roman d'une conversion » mais son personnage principal n'a jamais abandonné son attachement profond au catholicisme. Perdu dans le monde, étourdi de plaisirs et de satisfactions d'orgueil (comme nous tous), Durtal parvient au seuil de ses vieux jours et se rend compte qu'il est seul et empli de remords. Ses amis, connus dans le roman « Là-bas », sont décédés et, peu à peu, sombrant dans la dépression, il erre dans Paris à la recherche de plaisirs plus spirituels que seuls peuvent encore lui procurer les chants religieux et la contemplation de quelques églises parisiennes.
Insensiblement, contournant ses craintes d'inconfort et d'introspection radicale, un prêtre plus cultivé et surtout plus fin que la moyenne le pousse à faire une retraite d'une semaine au sein d'une Trappe. Ce séjour déclenchera la catharsis.
Intervention divine pour certains, purge émotionnelle pour d'autres, Durtal sera transformé à jamais.
Mais ce retour de l'enfant prodige ne va pas annihiler pour autant l'esprit critique de Durtal. Beaucoup alors assimilant Huysmans à Durtal, reprocheront à l'écrivain les coups de griffes de son personnage récurent au clergé séculier.

Grand érudit, maîtrisant parfaitement le long fleuve inspiré de la mystique chrétienne, Huysmans ne s'en laisse pas compter et sait reconnaître l'âme baignant en Dieu de celle des tartuffes et dévots (de ville). D'un style époustouflant de maîtrise, de création poétique et parfois aussi de réelle rosserie, Huysmans se délecte avec aisance et pédantisme de la bêtise de son temps. Car l'un de nos plus brillants romanciers que ses contemporains amères qualifièrent d'opportuniste, demeure un esprit d'exception, une intelligence vive douée d'un incroyable acuité.
Paradoxalement, ce retour en religion impulsé par le si "douteux" Huysmans et son livre à succès draina vers l'Eglise bon nombre de chrétiens de surface qui se mirent à réfléchir plus profondément à l'essence même de leur âme. Et cela, le clergé l'accepta sans barguigner.

J'ai eu le plaisir d'enregistrer ce livre pour le site Litteratureaudio.com. Téléchargement MP3 gratuit, sous forme de fichiers séparés ou d'archives groupées ; durée : 12 h 20 min environ.
http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/huysmans-joris-karl-en-route.html
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Michel Houellebecq a remis récemment Joris-Karl Huysmans à la mode avec son roman Soumission. François, le héros de Soumission, vient d'achever une thèse de littérature sur cet auteur de la fin du XIXème siècle et intitulée : « Joris-Karl Huysmans, ou la sortie du tunnel ». Hommage d'un romancier « pessimiste » du début du XXIème siècle, à un autre.
On comprend que Houellebecq s'inscrive dans la filiation littéraire de cet auteur. Huysmans, dans son oeuvre, s'inscrit, comme Houellebecq, en opposition à une France qu'il juge décadente et dont les symptômes seraient le positivisme, l'occultisme (pratiques auxquelles il s'est lui-même livré), la dépravation des moeurs (dont il a été lui-même adepte) et un catholicisme dépourvu de grâce, celui-ci ayant abandonné toute exigence spirituelle et toute ambition artistique inspirante.
« En route » s'inscrit dans cette critique. le héros du livre, Durtal, qui n'est autre que la figure de papier de Huysmans lui-même, déplore dans la première partie cette abdication du catholicisme, alors qu'il ressent lui-même une attirance irrésistible et renouvelée pour la pratique de cette religion. « Comment était-il redevenu catholique, comment en était-il arrivé là ? Et Durtal se répondant : je l'ignore, tout ce que je sais, c'est qu'après avoir été pendant des années incrédule, soudain je crois ».
Mû par une sorte de sérendipité orientée par cette foi renaissante, Durtal fréquente les églises parisiennes qui lui semblent les plus inspirantes et rencontre l'abbé Gévresin. Celui-ci, progressivement le convainc de faire une retraite de quelques jours dans une Trappe de moines dominicains. Après moult hésitations (il met plusieurs dizaines de pages à se décider), Durtal part pour la Trappe. Là, il approfondit sa foi dans la dureté de la vie monacale. Sa confession et sa communion sont les temps forts de cette retraite qui le transforme définitivement, au terme d'une lutte intérieure entre les restes de sa vie d'avant et son aspiration nouvelle. C'est transfiguré qu'il rentre à Paris.
J'ai aimé En route, un livre qui pourtant n'est ni spectaculaire, ni racoleur. On se laisse charmer par des phrases élégantes et par l'immense culture religieuse et artistique de l'auteur. Si la quête spirituelle de Durtal/Huysmans peut paraître toujours d'actualité, ce livre nous plonge aussi dans une autre époque, celle de la fin du XIXème siècle et d'une France en pleine transformation sociale et « sociétale » dirait-on aujourd'hui. Je suis pourtant sorti de ce livre avec un sentiment de tristesse. Certes, Durtal parvient à trouver le chemin de sa vérité. Mais d'un autre côté, le retour à la pratique qu'il vit apparaît comme un bien maigre barrage face au déferlement du matérialisme.
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Citations et extraits (49) Voir plus Ajouter une citation
Et le matin, leur première messe, la messe des ouvrières et des bonnes était non moins touchante ; il n'y avait là ni bigotes, ni curieux, mais de pauvres femmes qui venaient chercher dans la communion la force de vivre leurs heures de besognes onéraires, d'exigences serviles. Elles savaient, en quittant l'église, qu'elles étaient la custode vivante d'un Dieu, que Celui qui fut sur cette terre l'invariable Indigent ne se plaisait que dans les âmes mansardées ; elles se savaient ses élues, ne doutaient pas qu'en leur confiant, sous la forme du pain, le mémorial de ses souffrances, il exigeait, en échange, qu'elles demeurassent douloureuses et humbles. Et que pouvaient leur faire alors les soucis d'une journée écoulée dans la bonne honte des bas emplois ?

ed. Bartillat, p. 391
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Les tableaux de la passion se déroulaient devant elle, tandis que, couchée sur un lit, broyée par les souffrances, saignant par les trous de ses stigmates, elle gémissait et pleurait, anéantie d’amour et de pitié, devant les tortures du Christ.
A sa parole qu’un scribe consignait, le Calvaire se dressait et toute une fripouille de corps de garde se ruait sur le Sauveur et crachait dessus ; d’effrayants épisodes surgissaient de Jésus, enchaîné à une colonne, se tordant tel qu’un ver, sous les coups de fouets, puis tombant, regardant de ses yeux défaits des prostituées qui se tenaient par la main et reculaient, dégoûtées, de son corps meurtri, de sa face couverte, ainsi que d’une résille rouge, par des filets de sang.
Et lentement, patiemment, ne s’arrêtant que pour sangloter, que pour crier grâce, elle peignait les soldats arrachant l’étoffe collée aux plaies, la vierge pleurant, la figure livide et la bouche bleue ; elle relatait l’agonie du portement de croix, les chutes sur les genoux, s’affaissait, exténuée, lorsque arrivait la mort.
C’était un épouvantable spectacle, narré par le menu et formant un ensemble sublime, affreux. Le rédempteur était étendu sur la croix couchée par terre ; l’un des bourreaux lui enfonçait un genou dans les côtes, tandis qu’un autre lui écartait les doigts, qu’un troisième frappait sur un clou à tête plate, de la largeur d’un écu et si long que la pointe ressortait derrière le bois. Et quand la main droite était rivée, les tortionnaires s’apercevaient que la gauche ne parvenait pas jusqu’au trou qu’ils voulaient percer ; alors ils attachaient une corde au bras, tiraient dessus de toutes leurs forces, disloquaient l’épaule, et l’on entendait, à travers les coups de marteaux, les plaintes du seigneur, l’on apercevait sa poitrine qui se soulevait et remontait un ventre traversé par des remous, sillonné par de grands frissons.
Et la même scène se reproduisait pour arrêter les pieds. Eux aussi n’atteignaient pas la place que les exécuteurs avaient marquée. Il fallut lier le torse, ligotter les bras pour ne pas arracher les mains du bois, se pendre après les jambes, les allonger jusqu’au tasseau sur lequel ils devaient porter ; du coup, le corps entier craqua ; les côtes coururent sous la peau, la secousse fut si atroce que les bourreaux craignirent que les os n’éclatassent en crevant les chairs ; et ils se hâtèrent de maintenir le pied gauche sur le pied droit ; mais les difficultés recommencèrent, les pieds se révulsaient ; on dut les forer avec une tarière pour les fixer.
Et cela continuait ainsi jusqu’à ce que Jésus mourût et alors la sœur Emmerich, terrifiée, perdait connaissance ; ses stigmates ruisselaient, sa tête crucifiée pleuvait du sang.
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Sa beauté était extraordinaire, mais elle tomba malade vers quinze ans et devient laide. elle entre en convalescence, se rétablit et un jour qu'elle patine avec des camarades sur les canaux glacés de la ville, elle fait une chute et se brise une côte. A partir de cet accident, elle demeure étendue sur un grabat jusqu'à sa mort; les maux les plus effrayants se ruent sur elle, la gangrène court dans ses plaies et de ses chairs en putréfaction naissent des vers. La terrible maladie du Moyen Age, le feu sacré, la consume. Son bras droit est ronge; il ne reste qu'un seul nerf qui empêche ce bras de se séparer du corps; son front se fend du haut en bas, un de ses yeux s'éteint eet l'autre devient si faible qu'il ne peut supporter aucune lueur.

Sur ces entrefaites, la peste ravage la Hollande, décime la cité qu'elle habite; elle est la première atteinte; deux pustules se forment, l'une, sous un bras, l'autre, dans la région du cœur. Deux pustules, c'est bien, dit-elle au Seigneur, mais trois seraient mieux, en l'honneur de la Trinité Sainte; et aussitôt un troisième bouton lui crève la face.

Pendant trente-cinq années, elle vécut dans une cave, ne prenant aucun aliment solide, priant et pleurant; si transie, l'hiver, que, le matin, ses larmes formaient deux ruisseaux gelés le long de ses joues.

Elle s'estimait encore trop heureuse, suppliait le Seigneur de ne point l'épargner; elle obtenait de lui d'expier par ses douleurs les péchés des autres; et le Christ l'écoutait, venait la voir avec ses anges, la communiait de sa main, la ravissait en de célestes extases, faisait s'exhaler, de la pourriture de ses plaies, de savants parfums.

Au moment de mourir, il l'assiste et rétablit dans son intégrité son pauvre corps. Sa beauté, depuis si longtemps disparue, resplendit; la ville s'émeut, les infirmes arrivent en foule et tous ceux qui l'approchent guérissent.
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Les tableaux de la passion se déroulaient devant elle, tandis que, couchée sur un lit, broyée par les souffrances, saignant par les trous de ses stigmates, elle gémissait et pleurait, anéantie d’amour et de pitié, devant les tortures du Christ.
A sa parole qu’un scribe consignait, le Calvaire se dressait et toute une fripouille de corps de garde se ruait sur le Sauveur et crachait dessus ; d’effrayants épisodes surgissaient de Jésus, enchaîné à une colonne, se tordant tel qu’un ver, sous les coups de fouets, puis tombant, regardant de ses yeux défaits des prostituées qui se tenaient par la main et reculaient, dégoûtées, de son corps meurtri, de sa face couverte, ainsi que d’une résille rouge, par des filets de sang.
Et lentement, patiemment, ne s’arrêtant que pour sangloter, que pour crier grâce, elle peignait les soldats arrachant l’étoffe collée aux plaies, la vierge pleurant, la figure livide et la bouche bleue ; elle relatait l’agonie du portement de croix, les chutes sur les genoux, s’affaissait, exténuée, lorsque arrivait la mort.
C’était un épouvantable spectacle, narré par le menu et formant un ensemble sublime, affreux. Le rédempteur était étendu sur la croix couchée par terre ; l’un des bourreaux lui enfonçait un genou dans les côtes, tandis qu’un autre lui écartait les doigts, qu’un troisième frappait sur un clou à tête plate, de la largeur d’un écu et si long que la pointe ressortait derrière le bois. Et quand la main droite était rivée, les tortionnaires s’apercevaient que la gauche ne parvenait pas jusqu’au trou qu’ils voulaient percer ; alors ils attachaient une corde au bras, tiraient dessus de toutes leurs forces, disloquaient l’épaule, et l’on entendait, à travers les coups de marteaux, les plaintes du seigneur, l’on apercevait sa poitrine qui se soulevait et remontait un ventre traversé par des remous, sillonné par de grands frissons.
Et la même scène se reproduisait pour arrêter les pieds. Eux aussi n’atteignaient pas la place que les exécuteurs avaient marquée. Il fallut lier le torse, ligotter les bras pour ne pas arracher les mains du bois, se pendre après les jambes, les allonger jusqu’au tasseau sur lequel ils devaient porter ; du coup, le corps entier craqua ; les côtes coururent sous la peau, la secousse fut si atroce que les bourreaux craignirent que les os n’éclatassent en crevant les chairs ; et ils se hâtèrent de maintenir le pied gauche sur le pied droit ; mais les difficultés recommencèrent, les pieds se révulsaient ; on dut les forer avec une tarière pour les fixer.
Et cela continuait ainsi jusqu’à ce que Jésus mourût et alors la sœur Emmerich, terrifiée, perdait connaissance ; ses stigmates ruisselaient, sa tête crucifiée pleuvait du sang.
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Et l’âme, maintenant que la vie n’est plus et que tout commence ? Personne n’y songe ; pas même la famille, énervée par la longueur de l’office, absorbée dans son chagrin et qui ne regrette, en somme, que la présence visible de l’être qu’elle a perdu, personne, excepté moi, se disait Durtal, et quelques curieux qui s’unissent, terrifiés, au « Dies iræ » et au « Libera » dont ils comprennent et la langue et le sens !

Alors, par le son extérieur des mots, sans l’aide du recueillement, sans l’appui même de la réflexion, l’Église agit.

Et c’est là le miracle de sa liturgie, le pouvoir de son verbe, le prodige toujours renaissant des paroles créées par des temps révolus, des siècles morts ! Tout a passé ; rien de ce qui fut surélevé dans les âges abolis ne subsiste. Et ces proses demeurées intactes, criées par des voix indifférentes et projetées de cœurs nuls, intercèdent, gémissent, implorent, efficacement, quand même, par leur force virtuelle, par leur vertu talismanique, par leur inaliénable beauté, par la certitude toute-puissante de leur foi. Et c’est le Moyen Âge qui nous les légua pour nous aider à sauver, s’il se peut, l’âme du mufle moderne, du mufle mort !
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