Il n’y a pas de « génies méconnus », de novateurs mal connus naturellement. Il n’y a que ceux qui refusent d’être des gens connus en étant maquillés, dans un désaccord éclatant avec ce qu’ils sont en vérité. Ceux qui ne veulent pas se laisser manipuler pour apparaître en public tout à fait méconnaissables, et par le fait même aliénés, réduits à l’état d’instruments hostiles à leur propre cause, ou impuissants, dans la grande comédie humaine. Il ne faut pas se borner à voir seulement comme des gens « maudits » ceux qui eux-mêmes maudissent, pour une bonne raison, ce qu’on leur propose ; et qui donc pour cela sont méprisés par les « gentlemen », ces mêmes « gentlemen » qui par ailleurs pourtant font bonne mine à n’importe quoi, et vont jusqu’à donner comme preuve de leur valeur ce prétendu stoïcisme. Ces gens de goût s’abritent derrière des prétextes formels : ils feignent de trouver simplement « mal dit » le nouveau, ce qui les maudit, ce qui les dit mauvais. Ainsi, dans la culture moderne, Guy Debord n’est pas mal connu ; il est connu comme le mal.
La réalité de la malédiction sociale s'enveloppe d'une apparence tranquillisante et antiseptique de vide : le problème a disparu; il n'y avait pas de problème. En même temps l'étiquette journalistique de "maudit" devient au contraire une valorisation immédiate. Il suffit de se faire maudire pour être dans le vent. C'est assez facile, puisque n'importe quelle agression provoque la malédiction de celui qui s'en trouve victime. Je crois qu'aucun créateur au monde ne nous permet de voir la futilité des fausses explications de ce genre aussi purement que cette personnalité énigmatique qu'est Guy Debord.