"
Courir ou Mourir" titre qui n'est pas sans rappeler le célèbre "
Marche ou Crève" de
Stephen King et qui illustre parfaitement la vision dichotomique du monde de
Kilian Jornet dans cette superbe autobiographie. Jornet est un "ultra-terrestre" ou plus exactement un traileur de l'extrême capable de courir des centaines de kilomètres de jour comme de nuit sublimant toutes les souffrances physiques et morales. Pris entre Eros et Thanatos, Jornet flirt avec l'auto-destruction corporelle mais tel un roseau planté dans le sol, il ploie mais ne casse jamais. Telle est la force incroyable de cet athlète de l'extrême qui joue avec les limites.
La terre, la montagne, la forêt, chaque parcelle du monde est un véritable terrain de jeu pour lui.
Courir est pour
Kilian Jornet l'occasion de réaliser des prouesses humaines telles que la traversée du Kilimandjaro en courant mais c'est aussi une lutte à mort, un véritable champs de bataille, lors des compétitions notamment où il s'agit de survivre à l'Autre : "Je vois des images de combats, de bataille médiévales dans lesquelles les soldats courent et se traînent, blessés, parfois amputés....Ils ne perdent jamais l'espoir ni la force de continuer."
Lire cette autobiographie au regard de l'excellent ouvrage de la psychanalyste Florence Puklavec "Psychanalyse du sportif d'endurance" permet assurément de comprendre les ressorts inconscients poussant
Kilian Jornet à en vouloir toujours plus.
Jornet prit dans la toute-puissance du narcissisme infantile possède une force de vie et de conquête que rien ne peut ébranler. A la recherche permanente de ses limites, il puise sa jouissance dans la réalisation de courses toujours plus extrêmes. Plonger dans l'inconnu du vécu corporel et aller au-delà du principe de plaisir, c'est déjà ce qu'exprimait
Lacan à propos de la jouissance : "c'est
le corps qui s'éprouve, c'est de l'ordre de la tension, de la dépense, voire de l'exploit".
Être transporté au coeur des pensées de l'ultra-traileur le plus célèbre au monde est à la fois un véritable cadeau pour tout coureur avide de savoir comment les meilleurs athlètes vivent leurs courses mais c'est aussi un moyen de redonner une dimension plus humaine avec ses qualités et ses faiblesses à un être, qui, malgré ses exploits physiques, reste un homme comme un autre.
Celui-ci nous livre durant de rares intermèdes quelques confidences sur sa vie amoureuse et vient ainsi donner un peu plus de profondeur et d'humanité à un homme affirmant lui-même qu'il essaie de "tout contrôler" : "J'essaie de contrôler mon corps, d'être à l'écoute de mes pulsations cardiaques, et de les influencer (...) Tous mes muscles sont contrôlés par ma conscience, et je peux même réguler mon sommeil en fonction de la quantité de repos dont j'ai besoin. Pendant une course je contrôle tout."
"Courir" ne serait-il pas, au final le seul moyen pour Jornet de lutter contre un chaos identitaire dont seul
le corps éprouvé permet d'en établir les contours ?