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EAN : 9782915018578
188 pages
Quidam (03/03/2011)
4.29/5   7 notes
Résumé :
Au cours de leurs marches incessantes à travers parcs et rues de Londres, Jack Toledano raconte à son ami Damien Anderson qu'il travaille depuis des années sur Moo Pak, magnum opus perpétuellement inachevé, dont il échoue à produire ne serait-ce qu'une ligne. Un paradoxe qui n'est que l'une des nombreuses ironies de ce roman dont le thème central est le langage lui-même, symboliquement exprimé au travers de Moor Park, manoir qui au fil du temps a abrité Jonathan Swi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Fulgurante suite de faux monologues en cheminant dans Londres, pour embrasser 40 ans de modernité.

Publié en 1994 (en 2011 chez Quidam, au décidément impressionnant catalogue), le douzième roman de Gabriel Josipovici est peut-être celui qui se rapproche le plus d'une somme rassemblant presque l'ensemble des préoccupations exprimées tout au long de son oeuvre (dont par ailleurs "Tout passe" constituerait le brillant résumé sous forme d'un poème en prose de 60 pages).

"Moo Pak" reproduit fidèlement de longs monologues de l'écrivain Jack Toledano, rapportés au style indirect par son ami Damien Anderson, solides bribes d'un échange qui n'est qu'en apparence à sens unique, glanées lors de leurs nombreuses promenades à pied dans Londres, dont les parcs, les ponts et les lieux rythment, lancinants et légers à la fois, la déambulation verbale et scripturale qui s'exprime ici.

On peut proposer beaucoup de manières de lire ce faux dialogue foisonnant et fascinant... Se jouant avec brio des essais littéraires commis par Josipovici par ailleurs, tout un parcours de la modernité et de son échec est offert (on sait par ailleurs à quel point l'auteur voit dans le post-modernisme un terrible échec esthétique et moral). Sur le statut du récit, et avec un propos au fond pas si différent, Josipovivi remplace allègrement les denses et doctes travaux d'un Bakhtine par une fable alerte, brillante, et enjouée malgré son pessimisme de façade.

Usant de tous les artifices d'une autofiction qui ne dit pas son nom, Jack Toledano s'appuie sur la vie riche et complexe de Josipovici, Juif de parents russo-italiens et libanais, ayant vécu une enfance niçoise pendant la seconde guerre mondiale, une adolescence dans l'Egypte d'avant 1956, et des études supérieures puis un devenir d'enseignant et d'écrivain en Angleterre (à Brighton et non à Londres...).

Richesse du point de vue, finesse de la narration, brillance du maniement des paradoxes... : cette promenade dans Londres, dans les méandres d'une vie et d'une vocation littéraire qui semble toucher son point final, avec le terrible aveu de l'impuissance à poursuivre, autour de l'impossible roman "Moo Pak" (Moor Park, manoir que l'on pourait croire mythique mais qui existe bel et bien, demeure de Jonathan Swift - dont l'étonnante stature surplombe le roman -, asile d'aliénés, centre de décodage Enigma, institut de recherche sur le langage des primates, avant de finir en école de la deuxième chance pour enfants en difficulté), dont l'écrivain ne parvient pas à s'extraire, est beaucoup plus qu'un cultivé discours de marche... Parcourant le sens de la vie à travers celui de la littérature, Jack Toledano est une rencontre essentielle, qui laisse des traces profondes chez le lecteur.
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Déambulant dans Londres avec Jack Toledano, son ami Damien Anderson nous rapporte ici les longs monologues de celui-ci, ce double fictionnel de Gabriel Josipovici, comme lui porteur d'un nom signifiant la déchirure de l'exil, lui aussi juif séfarade venu d'Egypte, animal exotique ne faisant vraiment partie d'aucune communauté, s'étant par accident retrouvé à vivre et travailler en Angleterre, et ici écrivain embarqué depuis dix ans dans la conception de son oeuvre majeure, Moo Pak.

Ce long monologue ponctué des étapes et des gestes de leurs multiples marches dans Londres, forme une oeuvre performative, qui transmet parfaitement l'ambition la plus haute de la littérature, et en même temps l'impuissance de la faire aboutir, un livre qui contient en lui l'ordre et le chaos, et le désir violent et désespéré de l'écrivain de se libérer des frontières du langage.
Moor Park est le coeur de cette quête du langage universel ou authentique, un manoir autrefois célèbre pour ses jardins, où vécut Jonathan Swift, et qui fut successivement asile d'aliénés, unité de décryptage de codes pendant la guerre, centre expérimental pour l'étude des primates, partie intégrante de l'université du Surrey, et école pour élèves en difficulté, où l'un d'eux tente maintenant avec son langage tronqué de raconter «l'istoir de Moo Pak».

Il serait impossible et tout à fait absurde de prétendre raconter ces déambulations, dans lequel à chaque page les idées brillantes fusent des volutes du texte, et semblent embrasser tout le sens de la vie et de la littérature.

Sans cesse tiraillé entre profonde désillusion et une humeur plus enjouée ou paradoxale, habité par l'espoir de réussir à donner vie à une voie latérale, celui qui pense, devenu «parent pauvre» dans une société dominée par l'argent, est de plus en plus seul dans ce monde moderne qui court vers sa perte, submergé par le torrent des clichés, débordant de bonnes intentions uniquement porteuses de banalité, anéanti par la déshumanisation du travail, des loisirs et de la vie intellectuelle, et où le silence et la joie de l'unique sont en voie d'extinction.

Texte du contrôle et du lâcher-prise, Moo Pak est un livre précieux à garder dans sa poche, pour pouvoir se promener avec, le sortir et le lire quand on en a envie.
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Lire Josipovici, c'est voguer, déambuler à ses côtés et aux côtés de ses personnages, c'est se nourrir d'une pensée érudite, foisonnante et contradictoire, en être émerveillé, c'est être (gentiment) bousculé ou à l'inverse se dire « oh oui, c'est ça, totalement ça », c'est se sentir en résonance avec une pensée-foutoir de vie.

Lire Josipovici, c'est prendre son temps, savourer avec lenteur toute la richesse du propos, c'est le poser et le reprendre afin de s'en imprégner, c'est sûrement le relire.

Dans « Moo Pak », nous divaguons aux côtés de Jack Toledano, écrivain, qui aime se promener dans les parcs et rues de Londres en compagnie de ses amis. C'est d'ailleurs un de ceux-ci qui nous rapporte les conversations de Jack sous la forme d'un seul paragraphe-monologue. Jack se confie sur sa vie et sur son prochain livre « Moo Pak » sur lequel il travaille depuis 10 ans, il discourt sur l'écriture et le travail de création, sur la société, sur la vie, livre sa pensée à contre-courant. En Jack, il y a du déraciné, du décalé, de l'inadapté plein de sagesse.

Lire Josipovici, c'est vivifiant, stimulant et nourrissant. Lire Josipovici, c'est lire un grand écrivain :

« Je pense aux grands écrivains, dit-il, non pas comme de grands enseignants mais plutôt comme de simples pelles et houes, qui aident à briser la terre dure, la terre apparemment aride de notre imagination, et la prépare pour la semaison et la croissance ultérieure des graines de notre propre imagination. »

Et si ce livre n'a rien d'un récit à suspens, sachez tout de même que la fin m'a vraiment surprise…

PS : et puis, je me relis, encore et encore, j'en discute et je me rends compte qu'il manque quelque chose. Lire Josipovici, c'est plus que tout cela, comme si tous les ingrédients dont j'ai parlé, une fois mélangés concoctaient une potion totalement mystérieuse (je serais bien incapable de l'expliquer et n'en ressens même pas le besoin) et ensorcelante. Josipovici, il faut le lire pour goûter cette magie…
Lien : https://emplumeor.wordpress...
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Moo Pak est un livre fascinant, mais dont il est très difficile de parler. Aucune intrigue, aucun récit dont le résumé plus ou moins habile ou alléchant ne peut permettre de meubles un ou deux paragraphe de commentaire et de lancer facilement la note de lecture. Deux types marchent et l'un d'entre eux parle. Quelque chose dont on ne pourra jamais faire un film. Art, musique, littérature, voilà les sujets qui reviennent le plus. Mais dans un désordre apparent. La figure de Swift, homme et écrivain revient en particulier à de nombreuses reprises et donne par une déformation le titre du livre. Mais plus encore l'objet du livre est la façon dont les mots s'articulent, se répondent, s'entrelacent, en phrases, en unités de sens. Et d'une certaine façon nous assistons et participons à la naissance d'un livre. D'un livre peut être pas écrit par l'auteur, mais qui étrangement n'en est que plus réel et plus dense.

Si vous ne comprenez pas très bien ce que je viens d'écrire, il ne vous reste qu'une solution : lire Moo Pak pour essayer de comprendre.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Je suis d'accord avec Proust, disait-il, sur le fait que les livres créent leur propre silence d'une manière que l'on atteint rarement avec des amis. Et le silence qui devient palpable quand on a terminé un Chant de Dante, disait-il, est tout à fait différent du silence qui devient palpable quand on a atteint la fin d’Oedipe à Colonne. Ce qui est arrivé de plus terrible aux gens aujourd'hui est qu'ils ont pris peur du silence. Au lieu de le rechercher comme un ami et une source de renouveau, ils essayent de toutes les façons possibles de le faire taire. Jusqu'il y a quelques années, disait-il, les gens avaient encore la possibilité de redécouvrir la valeur du silence lorsqu'ils qu'ils quittaient l'enceinte de leur maison. Même si leur première réaction instinctive en rentrant chez eux était d'allumer la radio ou la télévision, lorsqu'ils ouvraient leur porte pour sortir ils devaient laisser ces bruits derrière eux. Mais maintenant, disait-il, ils peuvent emporter leur Walkmans et les brancher dans leurs oreilles et ils n'ont plus jamais besoin de vivre sans leur horrible musique. C'est un drogue, disait-il, et elle doit être traitée comme une drogue. Elle est plus dangereuse que le cannabis et crée une dépendance comme l'héroïne. A la source, disait-il, se trouve l'habitude et la peur et le désespoir, la peur du silence est la peur de la solitude. Les gens ont peur du silence, disait-il, parce qu'ils ont perdu la capacité à faire confiance au monde pour leur accorder le renouveau. Pour eux le silence ne signifie que la reconnaissance d'avoir été abandonnés.
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Un livre est comme une vie, disait-il. Quand nous commençons à devenir conscients de nous-mêmes, il y a de nombreuses directions dans lesquelles la plupart d'entre nous pensent pouvoir aller et chacune d'elle semble également pertinente. En même temps nous sommes toujours confiants que le temps est avec nous et que si nous nous rendons compte après quelques années que nous sommes sur la mauvaise voie, nous pouvons toujours faire marche arrière et recommencer. Dès le milieu de notre vie, disait-il, nous ne sommes que trop conscients d'avoir pris le mauvais tournant ou un certain nombre de mauvais tournants mais nous sommes allées trop loin pour faire autre chose qu'aller obstinément de l'avant. Mais lorsque nous nous approchons de la fin de notre vie, disait-il, et lorsque nous sentons qu'il ne reste plus beaucoup de temps, nous comprenons que toutes les étapes doivent maintenant être les bonnes parce qu'à présent nous n'aurons pas droit à une seconde chance. En même temps, disait-il, il ne faut pas paniquer, car la panique ne peut que nous paralyser, nous devons continuer à faire le mieux possible les choses que nous savons pouvoir faire et les choses que nous savons devoir faire. C'est la même chose pour un roman, disait-il.
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Le fond de la vérité, dit-il, est que ce n’est que par le plus grand des hasards que nous pouvons aujourd’hui être surpris par le monde qui nous entoure, que nous pouvons tomber sur une partie de ce monde qui n’est pas déjà emballée et préparée pour notre regard et où nous ne nous retrouvons pas au milieu d’une foule de nos prochains, hommes et femmes, déjà en train de goûter à ces emballages, à les photographier et à lire à voix haute le contenu de leur guide touristique. La dimension de surprise a disparu, dit-il, et nous nous rendons compte à présent que c’est la chose la plus précieuse au monde. Partout aujourd’hui, dit-il, les gens voyagent afin de se voir confirmer ce qu’ils savent déjà et afin de prendre des photos pour se souvenir qu’ils se sont vraiment trouvés là. Ils voyagent en groupe et avec des emplois du temps très stricts auxquels ils doivent se conformer, car leur temps est limité et tout doit être absorbé. C’est pour cela, dit-il, tandis que nous attendions pour traverser la rue, qu’il est nécessaire que ceux d’entre nous qui sont conscients de l’énormité du désastre gardent l’esprit ouvert, laissent leurs jambes les emmener où elles veulent, abandonnent les chemins déjà tracés et s’attendent à tout et à rien.
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Quand je suis arrivé la première fois en Angleterre, dit-il, rien ne me paraissait meilleur que les haricots de Heinz suivis par une tasse de lait malté Horlicks. Une des raisons pour laquelle j'ai cessé d'enseigner, me dit-il alors que nous sortions de la gare, est que je craignais de devoir bientôt m'adresser à mes étudiants comme à des clients. Voilà ce qui se passe quand le consensus libéral est rompu, dit-il. L'idéologie se précipite pour le remplacer puis, quand elle s'effondre, l'argent. La peur de l'autorité et de l'autoritarisme qui a balayé l'Amérique puis la Grande-Bretagne est plutôt effrayante, dit-il tandis que nous poursuivions le long de la berge en direction de Tower Bridge. Ce n'est plus une question d'enseignant et d'èlève, dit-il, mais de vendeur et d'acheteur. Mais quand on enseigne la littérature, que signifie un client ?. je n'ai jamais pensé que je renoncerais au monde, dit-il, j'ai toujours imaginé que mon optimisme inné me ferait passer outre. Mais où que je me tourne, les valeurs auxquelles je croyais sans vraiment m'en rendre compte sont tranquillement jetées par-desus bord et à leur place il n'y a plus que l'agression pure et l'argent. Combien de temps une société peut-elle exister quand elle est tirée par un tel moteur ?
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Une bonne conversation, disait-il, devrait être faite de mots ailés, de mots qui s'envolent de la bouche d'une personne et qui se posent sur la poitrine d'une autre, mais des mots tellement légers qu'ils ne tardent pas à s'envoler de nouveau et à disparaître à jamais.
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