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Enrique Vila-Matas (Préfacier, etc.)André Gabastou (Traducteur)
EAN : 9782070785360
224 pages
Verticales (09/04/2009)
4.14/5   21 notes
Résumé :

Artistes sans œuvres, essai-météorite qui fit date lors de sa parution en 1997, a notamment marqué l'écrivain Enrique Vila-Matas qui revient sur cette " heureuse rencontre " dans la préface de cette réédition. Catalogue raisonné et déraisonnable des artistes chez qui les œuvres sont " présentes partout et visibles nulle part ", ce large inventaire fait l'éloge a priori paradoxal d'un art qui... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Un livre au titre déjà trompeur. Il est aussi question d’artistes, et d’écrivains d’abord, discrets, qui auraient préféré ne pas créer mais qui n’ont pas pu s’en empêcher, un tout petit peu, parce qu’il faut bien vivre... Ce n’est certainement pas une anthologie de tous les artistes discrets ou sans œuvres, ce n’est pas non plus un éloge du vide, pas plus une tentative de réhabilitation d’écrivains oubliés, ou une réflexion sur le statut de l’artiste en général, ce n’est pas un livre théorique ni de fiction, ce n’est pas un livre sérieux ou drôle et il est loin d’être triste, il n’est pas mal écrit, il n’est pas tout à fait accessible sans être du tout abstrus. La question « A quoi bon ? » a déjà été trop posée. « L’angoisse de la page blanche » a été un sujet trop ressassé, tout comme les liens entre la fiction et la réalité. Alors, à quoi bon revenir là-dessus ?
Et puis, Jouannais n’est qu’un critique d’art. Et vous savez ce que disait Blanchot sur la critique, dans un remarquable texte qui mériterait d’être cité en entier : « Ici, la parole critique, sans durée, sans réalité, voudrait se dissiper devant l’affirmation créatrice : ce n’est jamais elle qui parle, lorsqu’elle parle ; elle n’est rien ; remarquable modestie ; mais peut-être pas si modeste. Elle n’est rien, mais ce rien est précisément ce en quoi l’œuvre, la silencieuse, l’invisible, se laisse être ce qu’elle est : éclat et parole, affirmation et présence, parlant alors comme elle-même, sans s’altérer, dans ce vide de bonne qualité que l’intervention critique a eu pour mission de produire. La parole critique est cet espace de résonance dans lequel, un instant, se transforme et se circonscrit en parole la réalité non parlante, indéfinie de l’œuvre. Et ainsi, du fait que modestement et obstinément elle prétend n’être rien, la voici qui se donne, ne se distinguant pas d’elle, pour la parole créatrice dont elle serait comme l’actualisation nécessaire ou, pour parler métaphoriquement, l’épiphanie. » Et un peu plus loin : « On se plaint de la critique qui ne sait plus juger. Mais pourquoi ? Ce n’est pas elle qui se refuse paresseusement à l’évaluation, c’est le roman ou le poème qui s’y soustrait, parce qu’il cherche à s’affirmer à l’écart de toute valeur. Et, dans la mesure même où la critique appartient plus intimement à la vie de l’œuvre, elle fait l’expérience de celle-ci comme de ce qui ne s’évalue pas, elle la saisit comme la profondeur, et aussi l’absence de profondeur, qui échappe à tout système de valeurs, étant en-deçà de ce qui vaut et récusant par avance toute affirmation qui voudrait s’emparer d’elle pour la valoriser. »
Qui sait, il sera peut-être réservé à un critique aussi dégagé de préoccupations publicitaires, aussi épris de vitalité que Jean-Yves Jouannais de réconcilier la critique et ceux qu’elle ignore ? En tout cas, il y en a au moins un à qui ce livre a été utile, c’est Enrique Vila-Matas, l’auteur d’une préface dans laquelle il reconnait toute sa dette à Jouannais. Car son « Bartleby et compagnie » est plus qu’une variation sur « Artistes sans œuvres », moins qu’un prolongement, ce sont quasiment deux livres jumeaux, à tel point qu’on peut se demander si l’un ne serait pas le fantôme de l’autre. Toutefois je préfère le roman de Vila-Matas.
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« Artistes sans oeuvre », anatomie en coupe des artistes qui n'ont rien produit, pourrait passer pour un exercice futile ou absurde, une apologie gratuite de la paresse. Il n'en est rien.

Ce parcours autour des artistes ayant choisi l'éclipse, qui inspirât Enrique Vila-Matas pour son « Bartleby et compagnie », n'est pas uniquement l'excitation d'une curiosité face à une bibliothèque ou un musée-fantôme, le soufflé d'un fantasme cherchant à atteindre une beauté qui se dérobe.
Grâce à son érudition, à son oeil éclectique ouvert aux arts et aux hasards du monde, Jean-Yves Jouannais nous fait entrer dans l'univers de ces artistes qui ont profondément influencé leur époque, porteurs d'idées souvent plus neuves que les artistes consacrés, mais qui ont fait le choix différent et risqué, de sortir de l'asservissement à la production et à la reconnaissance.

Felix Fénéon (1861-1944) est l'un de ces discrets, publiant dans la presse des nouvelles anonymes de quelques lignes, points de condensation ultimes de la comédie humaine : «Quittée par Delorce, Cécile Ward refuse de le reprendre, sauf mariage. Il la poignarde, cette clause lui ayant paru scandaleuse». Felix Fénéon ne publia rien en son nom mais porta devant le public certains des textes les plus célèbres de Mallarmé, Apollinaire et Rimbaud, « le sacerdoce tout de légèreté d'un homme qui n'était pas amoureux de son nom. »

De l'éclipse la plus discrète à la plus lumineuse, Jean-Yves Jouannais consacre des pages superbes à Borges, soucieux de ne pas encombrer les étagères déjà surchargées de la bibliothèque de Babel, qui écrit des résumés de livres dont on feint qu'ils existent déjà, envisageant son oeuvre comme « une évacuation, un désamorçage des possibilités, une limitation du pire. L'oeuvre de Borges n'est pas à proprement parler une chose de plus ajoutée au monde, comme le sont tous les hauts et superbes volumes dans la bibliothèque de l'Auteur, elle est l'inverse, une saignée à blanc, la violente extinction de la littérature par les Lettres elles-mêmes… L'apnée, la respiration retenue de part et d'autre du livre pourrait-on dire, la sensation de profondeur, l'euphorie cérébrale qu'elles entraînent, confirment l'intuition que l'espace est hanté par une sourde culpabilité, celle de n'avoir pas respecté le silence, d'avoir importé du trop dans l'économie pléthorique de l'univers. »

Invention et humour habitent aussi ce livre hybride, avec les Hydropathes ou les Incohérents, qui tournent en dérision les conventions bourgeoises et les salons officiels à la fin du XIXème siècle, avec le romanesque Félicien Marboeuf, « le plus grand des écrivains n'ayant jamais écrit », inspirateur fictif de la Recherche du temps perdu, ou encore avec la communauté shandy imaginée par Vila-Matas (Abrégé d'histoire de la littérature portative), communauté d'écrivains qui se revendiquent mobiles, insolents, légers et curieux, et dont l'oeuvre doit impérativement tenir dans une mallette.

Dénonciation d'une époque essentiellement marchande ou méthode du bonheur, «Artistes sans oeuvres» est un livre précieux, dans lequel légèreté et érudition sont enfin réconciliés.
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Une malicieuse et follement intelligente réflexion sur la "production" (et son absence) en art.

Publiée en 1997, la première oeuvre de Jean-Yves Jouannais marquait l'apparition d'une voix bien particulière, pour un travail résolument difficile à classer, entre l'essai social et politique, la réflexion historique et littéraire et le jeu langagier subtil.

Servi par une écriture élégante et efficace qui parvient à distiller au fil des pages de distincts brins de poésie au sein des sujets semblant parfois le moins s'y prêter, l'auteur s'engageait ici dans une démarche d'étude et de réflexion sur les « artistes sans oeuvres », créateurs réels ou même parfois fictifs, ayant choisi de « ne pas » produire d'oeuvre, en tout cas au sens classique du terme, et ce pour des raisons à la fois bien précises et très variables pour chaque individu concerné.

Traquant ces émules du Bartleby de Melville (le sous-titre d' « Artistes sans oeuvres » est d'ailleurs bien « I would prefer not to »), Jean-Yves Jouannais entame aussi un incroyable trajet parallèle et néanmoins convergent à celui du Catalan Enrique Vila-Matas (dont l'« Abrégé d'histoire de la littérature portative » de 1985 serait l'emblème, reconnu d'emblée comme point de départ par Jouannais), qui conduira les deux écrivains à devenir amis et complices intimes dans la construction croisée de réflexions littéraires flirtant bien habilement avec le canular sérieux : la préface de Vila-Matas pour la réédition d' « Artistes sans oeuvres » en 2007, ou l'introduction de Jouannais à « L'usage des ruines » en 2012, en sont d'éclatants exemples.

Avec les figures ici de Jacques Vaché, d'Armand Robin, de Félix Fénéon, de Roland Barthes, des dandies et des shandies, de Valéry Larbaud, de Jacques Rigaut, « de Marcel Duchamp, de Félicien Marboeuf, de Joseph Joubert, de Mychkine, d'Yves Klein ou encore de Gilles Barbier, le tout sous le haut patronage initial de Borges (et de sa décapante analyse sur l'inutilité d'écrire une fois que le concept de l'oeuvre existe), Jouannais réalise un tour de force captivant, ouvrant à chaque chapitre, en souriant malicieusement, des abîmes de réflexion et d'érudition enjouée sous les yeux du lecteur.

Une bien belle découverte pour moi.
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Marrant, ça, de vouloir être un artiste sans faire d'art ou presque. Pourquoi et comment ? Ce bouquin s'y intéresse et on se rend compte qu'un grand nombre de personnes ont participé au mouvement abstentionniste, mouvement qui, fidèle à son esprit, n'existe pas vraiment non plus.
On rit presque en lisant ce livre, à trouver tous les arguments possibles pour ne pas en faire plus que nécessaire. Puis on commence à se poser la question : est-ce que ce n'est pas eux finalement qui ont raison ? Pourquoi vouloir à tout prix déflorer l'imagination en la couchant sur des supports aussi vils que la matière ? Pourqsuoi à tout prix vouloir montrer son oeuvre ? Existerait-elle sans le regard des autres ? Serait-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Et ce genre de raisonnements peut aller très, très loin.
En-dehors du sujet que traite le livre, on apprécie également tout le reste. Enfin un bouquin qui considère la littérature comme un art au même rang que la peinture. On apprend énormément de choses pour notre culture : rien que le passage sur Chateaubriand est une anecdote énorme qui ferait trembler tous les profs de Lettres classiques. Un mot également sur le style : il est fluide, passant facilement d'une idée à une autre tout en multipliant les questionnements intelligents. Mais malheureusement, à trop user de métaphores et de problèmes sans réponse, certains finiront par se sentir fortement agacés. du reste, il est parfaitement accessible, en-dehors d'un ou deux termes techniques.
Même moi qui serais plutôt dans la branche maximaliste, je reconnais qu'il y a énormément de pertinent dans ce livre. Une réussite, en somme, et très pratique pour justifier vos zérochromes lors des oraux du bac d'arts plastiques.
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A piller d'une main, à déchirer de l'autre.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
La page s’est habituée à votre mutisme face à elle et pourtant, combien fort j’aimerais vous le clamer, parmi les littérateurs du siècle, vous êtes le plus grand, le plus juste, le plus original. Votre silence a plus d’intelligence, de profondeur que le bruit de bien des brasseurs de mots. Seule l’ambition est référence ; la vôtre est immense, indépassable, idéale. Et cela n’a pas à voir avec ce que le populaire entend par l’expression : « il n’y a que l’intention qui compte. » Non, je parle de votre ambition littéraire comme d’un absolu. Si votre silence mérite tant le respect du siècle c’est qu’il est exactement le contraire d’un aveu de médiocrité et d’une incapacité à écrire, mais bien le signe d’un projet aux rivages jusqu’alors inabordés, d’une idée de la littérature si vertigineuse qu’aucun grand homme avant vous ne l’avait conçue. Il existe des écrivains muets comme il existe des volcans en sommeil ; leur nom infernal aux résonnances mêlées de soufre, de feu et de mort n’en fait pas moins trembler les hommes.
[…]
Votre fidèle Marcel Proust
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Combien d'intelligences sont-elles demeurées libres, simplement attachées à nourrir et embellir une vie, sans fréquenter jamais le projet de l'asservissement à une stratégie de reconnaissance, de publicité et de production ?
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Jacques Vaché fut un écrivain de temps de guerre, non pas un guerrier écrivain. La faire, la guerre, suppose une activité a priori exclusive. Les loisirs s’y voient limités aux techniques de la survie. Les lettres de guerre sont donc des messages envoyés de cet endroit où la littérature ne peut s’écrire, où la prospérité lui est interdite. Elles peuvent être lues comme les traces subtiles, en pointillé, d’une visée littéraire, formant une image peu fidèle de celle-ci mais qui la situe dans le champ des possibles. Lettres pareilles à ces silhouettes ombrées aperçues du ciel et qui signalent dans le sous-sol des plaines cultivées les ruines de quelques thermes gallo-romains. Des ruines enfouies, qui font par là même l’économie de la mélancolie, frustrant les peintres des motifs du sublime, flouant l’industrie de la carte postale.
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« Défilé laborieux et appauvrissant que de composer de vastes livres, de développer en cinq cents pages une idée que l’on peut très bien exposer oralement en quelques minutes. Mieux vaut feindre que ces livres existent déjà, et en offrir un résumé, un commentaire. » C’est de là qu’il faut partir pour saisir le projet borgésien, lequel ne recoupe qu’en un nombre infime de points l’univers blanchotien. Pour Borges, le livre ne peut se concevoir à venir. Aussi l’ensemble des textes existant matériellement, signés Jorge Luis Borges, a moins pour fonction d’introduire un nouveau nom dans les histoires de la littérature que d’économiser mille ouvrages aux rayons de la Bibliothèque. Les Chroniques de Bustos Domecq consistent ainsi en une galerie d’artistes a priori fictifs dont l’œuvre, gigantesque pour la plupart, nous est livrée en quelques pages précises et économes. Plus Borges écrit plus il économise, non pas en réduisant le champ des possibles littéraires, mais en démontrant que ces possibles, parce que possibles, se doivent d’être considérés comme épuisés.
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« Ne pas faire » est moins une réponse au tout industriel qu’à la logique commerciale de la société. C’est moins l’objet qui pose problème que l’horizon de stocks qu’il promet ; c’est moins l’artisanat que le devenir-marchandise des tableaux ; moins le travail que la plus-value, les pilonnages qu’il nourrit. Le dilettante n’apprécie rien moins que les formules violentes et molles du marketing. Il ne fait pas campagne. Il n’est pas un homme de la vente, du mensonge. Il donne sa préférence à la paresse.
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Vidéo de Jean-Yves Jouannais
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