Ce qui crie dans l'espace...
Ce qui crie dans l'espace transparent du gel,
dans cette nuit de verre épais qui tient captifs
les arbres et les rocs, les ossements de sel
et les bêtes couchées qui tremblent sous les ifs,
ce qui crie par-delà l'éponge des soupentes,
l'ordre des tuiles, l'humble raison des murs
n'est pas la mort feutrée glissant à la fissure,
collant sa bouche aux bouches des démentes,
mais, déchire, le bel oiseau nocturne,
en ses jardins, livrant au froid désert
son cœur violent sous la poignée de plumes.
Et c'est la vie qui veille quand tout meurt puisque je veille
et que je sais l'entendre,
les mains croisées sur ma gorge poreuse
qui lentement s'irrigue de son cri.
Ainsi je fus, dans cette nuit d'exil...
Ainsi je fus, dans cette nuit d'exil,
prison et prisonnier et lueur à la fissure,
indéchiffrable signe en moi-même gravé,
exilé dans mon corps, dans ce fuseau de pierre,
oisif et prisonnier de lianes et de nerfs,
aveugle, traversant une secrète nuit
de bêtes enlacées, d'insectes et de dards,
où s'effrite la pierre, où s'usent le regard
et la bouche et le cœur à des limes funèbres,
m'alourdissant de tous mes songes, terrassé
par des meutes sorties de l'eau, dont les abois
cernaient, traquaient les gestes et les voix.
Je poursuivais un souvenir de branche
et de neige, un souvenir d'oiseau volant bas
dans le silence pourpre d'un ciel pulmonaire,
sur un rivage où neige, branche, oiseau
n'étaient que l'ombre exsangue et plus lointaine
d'une beauté violente en fuite sur les eaux.
Le visage que tu portes...
Le visage que tu portes,
où tu caches sous la peau
de farouches animaux
qui rodent dans les clairières,
arrache-le ! Tu retrouves
sous la ténébreuse image
la nuit d'un autre visage
qu'il faut encore déchirer.
Et de visage en visage,
arrachés et déchirés,
lèvres noires, plaies figées
au rivage du miroir,
tu gagnes ta propre image
ta demeure d'écorché
où des griffes de clarté
poussent d'étranges ravages :
beau visage de vivant,
camaïeu d'os et de nerfs,
forêt de veines, d'artères
où battent les tambours du sang.
Oiseau noir, oiseau du temps,
ton ombre est un oiseau blanc
dont l'aile épouse ton aile.
Et la fugue que vous faites
de vos grâces accordées
creuse un espace glacé
où dérive un autre oiseau,
transparent, à notre image,
qui ne cesse de chanter
dans les forêts de mon sang.
Ton corps est dispersé...
Extrait 2
Car dans le ciel soudain naissent des bijoux creux,
des fouets, des larmes d'or, des insectes brûlants,
la tempête cuivrée d'une crinière en feu.
Puis tombe le tranchant d'une nuit souterraine
où je m'égare et tremble et m'enracine
tandis que l'eau gravit, pieds nus, ces champs de laine.
Dans l'espace rongé de ma gorge à ma bouche,
dans le temps ralenti de mon cœur qui se noie,
saurai-je si la nuit est notre nuit de noces
ou la dérive à tout jamais sur les deltas.
Poèmes de Jean Joubert, extraits de "Longtemps j'ai courtisé la nuit", et de Jean-Marie Berthier, extraits de "Ne te retourne plus".