Gabrielle ou le jardin retrouvé m'a été donné à lire à l'occasion de la masse critique de septembre (2017). C'est toujours un honneur et une joie de recevoir une oeuvre dans ce contexte particulier, je remercie donc encore les éditions DENOËL.
Le livre objet est un bel ouvrage, de qualité. le format est agréable, le texte aux paragraphes courts est aéré et la police d'une taille confortable.
La couverture représente un jolie peinture bucolique de
Gustav Klimt ; peinture qui renvoie à la notion de "jardin" , qui est présente dans le titre mais qui est également un élément pilier du livre.
L'histoire qui nous est peinte au travers des pages est celle d'un deuil.
Un deuil, au-travers duquel nous allons apprendre à connaître Gabrielle.. et le Jardin.
Le thème principal est donc le deuil, mais l'oeuvre reste malgré tout assez légère, tolérable, poétique... et parsemée de petites choses, de petits bouts de bonheurs, de ceux que l'on ne voit parfois plus lorsque l'on se trouve plongé dans le quotidien.... Une fleur... une odeur... une jolie couleur.
le style de Jougla est donc à la fois léger, concis, poétique.. et déroutant :Légèreté stylistique (dans le sens : pas de style lourd ou pédant, pas de phrases tortueuses... une simplicité naturelle, comme si les choses étaient mises à nues), et gravité dramatique de la situation.
je me suis sentie tiraillée, déroutée, en fait j'ai presque ressenti une gêne du fait de ce style d'écriture léger qui confère à Martin (le personnage endeuillé) un côté enfantin, naïf (fragile), qui l'enferme seul dans une bulle hors du monde des Hommes.....avec en parallèle à cette légèreté la gravité de la situation, le regard inquisiteur de l'extérieur, la cruauté réactionnelle de la majeure partie du reste du monde.
le long de l'oeuvre, martin va passer par différentes étapes psychologiques liées au deuil, comme celle du déni. D'ailleurs, cela m'a interrogée, et à la suite de ma lecture je me suis penchée sur des écrits concernant ce processus de deuil. Jougla jongle avec ces étapes.. je dirais même qu'il joue. Et plus Martin sombre , et plus il avance dans les étapes du deuil. Tout se mélange. ça a un côté terrible. Et je ne rentrerai pas plus dans le détail afin de ne pas "spoiler" l'histoire.
Parallèlement il y a bien sûr le personnage de Gabrielle, sa femme décédée, mais omniprésent. Finalement, Martin va la redécouvrir et se rapprocher d'elle bien plus que lors de son vivant. Il va la vivre à fond.... et finalement la transcender.
Quelque chose qui 'ma semblé important : L'usage de la 3è personne.
Elle nous place au rang de témoins, parfois de voyeurs, parfois de complice.. mais toujours impuissants.
Cette 3è personne nous permet de garder la tête hors de l'eau contrairement au personnage central. Mais cela nous refoule davantage au même niveau que tous ces personnages extriurs, qui voient, mais n'aident pas... Voire qui rejettent, qui lui font du mal. Serait-ce une réaction humaine "normale" face à la déchéance, la souffrance intolérable d'un des leurs ? le rejet pour tenir éloignée cette souffrance intolérable ?
Nous ne sommes pas plongés au coeur de la tourmente, mais maintenus ainsi au-dehors : cela est primordial, L'auteur nous oblige à poser un regard extérieur, objectif sur les réactions de Martin et son malheur. Quel sentiment d'impuissance...
Enfin, fondus dans l'oeuvre, il y a la poésie, et les références littéraires.
L'oeuvre en est truffée, ce sont ses bulles d'oxygène, celles qui nous permettent de respirer l'odeur de la vie et reprendre notre souffle.
C'est un bonheur ! des petites touches de joie, des rayons de soleil !
Comme d'autres lecteurs, je n'ai pas été saisie, touchée par le personnage de Martin, car je ne m'y suis pas identifiée.
Mais au final, c'est somme toute assez logique, non ? L'histoire nous dévoile l'évolution de son deuil tout en nous maintenant au-dehors. Si Jougla avait voulu mettre l'accent sur la douleur dramatique et dévorante de Martin de manière abrupte, en nous touchant de plein fouet (ce qui aurait été d'une douleur insupportable), il nous aurait sans doute fait prisonniers corps et âmes de son personnage (en usant d'un point de vue subjectif, interne par exemple).
Je conclurai donc ainsi : C'est une belle composition. Comme une peinture... une peinture de
Gustav Klimt : un ensemble poétique et frais, fleuri, féminin, composé de différents éléments composants une trame plus complexe et profonde.