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Le récit débute sur la visite d'un appartement à vendre par un jeune couple qui attend la venue prochaine d'un enfant. Les lieux sont insalubres, jonchés de détritus, laissés à l'abandon comme si la vie s'y était emballée, comme si la raison avait laissé place à une folie, une tentative de survie dans un milieu devenu hostile... L'appartement n'a pas toujours eu ce visage… Gabrielle et Martin sont les précédents propriétaires de ce trois pièces en rez-de-jardin dont le charme réside dans l'accès à un jardin privé. Gabrielle ne peut vivre sans livres - elle est professeur de français, quand Martin les ignore, tout juste s'aperçoit-il qu'ils changent de place dans les pièces, sur les meubles, au gré des choix de Gabrielle... Gabrielle "vit" son jardin, l'observe à tout moment, en symbiose avec cette espace créé qui recèle tant d'apparitions colorées et de visiteurs chantants, quand Martin n'y voit que verdure et contraintes. En rentrant de ses cours à bicyclette, Gabrielle est renversée par un camion. Tout dans le déni, Martin refuse d'accepter cette absence, la mort, l'inéluctable. S'il parvient à conserver les témoins de la vie de Gabrielle dans l'appartement, il trébuche au jardin quand celui-ci, doué de sa propre existence, lui rappelle que le temps s'écoule et que ceux qui partent, même s'ils laissent des traces comme des évidences ne reviendront pas... S'il feuillette les livres de Gabrielle déposés un peu partout, c'est pour mieux "écouter" les phrases, les mots lui parler de Gabrielle, lui parler à lui dans les ténèbres qu'il tente de traverser en les niant. Comme un miroir de ce qu'il vit, seul, de ce deuil dont il refuse seulement de prononcer le mot. S'il visite le jardin, c'est pour mieux rester aux côtés de celle qui l'animait de sa présence, c'est pour mieux accéder au seul espace où il pourrait la retrouver... Le jardin ne pleure, ni ne sourit, ni ne console mais au fil des saisons, il va bousculer Martin, lui parlant de son chagrin dans les feuilles qui jaunissent et tombent, dans les fleurs qui se ternissent et fanent... Le jardin "passeur" de compassion, sans mots, sans paroles, sans gestes qui peut permettre des rencontres... Ce texte poétique, construit en courts chapitres, aussi variables en longueur, aussi variés que le sont les feuilles du jardin, se transforme dans ses moments les plus doux en une déambulation botanique, comme une tentative de trouver un équilibre. Dans la vie, certains événements précipitent l'existence, la font trébucher et se débattre dans une folie solitaire. C'est à ce moment qu'on attend des autres la main tendue, l'écoute qui se ferait attentive, la bienveillance, en un mot, un moment de tolérance. Or, cette tolérance fait si défaut dans nos sociétés qu'on ne la croise qu'occasionnellement. Martin ne la rencontre guère, ni chez ses collègues qui lui reprochent de taire la réalité, ni chez ses proches pressés d'oublier… Il se débat, tellement seul, tellement emmuré dans son chagrin, tellement désireux de perpétuer le vécu de Gabrielle, que les autres prennent peur, sa réaction folle les fait choisir de l'exclure, de le chasser, ne lui donnant comme unique réconfort, comme unique cocon de tranquillité, comme unique lieu de repos que sa présence au jardin. Un jardin comme une île pour se mettre en retrait, choisir une autre cadence de vie, un jardin pour se retirer au sein de la nature dont le rythme devient sien. Jardin qui continue son cycle de vie, au rythme de a croissance végétale ou aidé par celui – messager inattendu - qui épaule Martin, le seul qui l'écoute et le comprend : ne s'agit-il pas d'un plus exclu que lui, celui qui connaît davantage l'intolérance et le rejet ? Quand comprendra-t-on qu'exclure, c'est "camisoler" une partie de nos pensées, de nos actes, comme d'autres ont camisolé Martin ou tout autant son beau jardin tout en vie pour n'en conserver qu'une vision immobilisée sans changement et donc sans émotion à partager? + Lire la suite |