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Critique de cprevost


« Je lis présentement beaucoup de choses sur cette époque : l'impression de bêtise que j'en retire s'ajoute à celle que me procure l'état contemporain des esprits, de sorte que j'ai sur les épaules des montagnes de crétinisme. Il y a eu des époques où la France a été prise de la danse de Saint-Guy. Je la crois, maintenant, un peu paralysée du cerveau ». Voilà quelques propos roboratifs extraits de la correspondance de Flaubert qui pourraient tout à fait servir d'exergue à l'ouvrage de Pierre Jourde et aussi malheureusement convenir parfaitement à l'époque. Et bis repetita placent. Qu'un enseignant-chercheur doublé d'un bon romancier, sur son blog, vive son temps au jour le jour et vitupère contre l'époque, nous pouvions que nous en réjouir et nous laisser aller à l'amer plaisir de la critique. Dans cet ouvrage, il devrait être question, d'art, de littérature, de politique et de grande Histoire avec d'étincelants portraits et des mots terribles ; d'anecdote de trottoir et de quotidien mais visionnaire. Il existe d'illustres prédécesseurs. Nenni, rien de tout cela malheureusement mais plutôt l'irrépressible impression en tournant les pages d'être coincé dans une rame du RER bondée avec en face de soi, crachouillant dans son portable de confondantes banalités, le raseur analphabète habituel. Impossible, je crois, passée la première et humoristique chronique footballistique, de se boucher les oreilles et de trouver le moindre intérêt à tous les insupportables et incultes bavardages de l'écrivain. Pas grand-chose dans ce livre, il me semble, qui n'ait été répété ad nauseam par les médias et qui mériterait que l'on s'y arrête. A la lecture du sous-titre : « C'est la culture qu'on assassine », il faut bien songer à un programme personnel et systématique de Pierre Jourde tant ses chroniques procèdent et participent à l'état d'imbécilité générale qu'il feint pourtant de condamner.


"Jamais nous ne nous lasserons d'offenser les imbéciles" écrivait Bernanos. La partie sociétale, loin apparemment des préoccupations de l'auteur, est la plus affligeante de tout l'ouvrage et la plus significative aussi. Il nous coute d'y revenir car nous ignorons de notre côté le bénéfice qu'un lecteur normalement informé peut tirer de ces chroniques et c'est d'ailleurs le moindre de nos soucis. Passé un certain degré de bêtise, les gens cessent de nous intéresser. La structure des billets de Pierre Jourde est invariablement la même. L'auteur, lorsqu'il s'aventure en terra incognita, le plus souvent couvre ses arrières et encense son adversaire. Courageux mais pas téméraire. Puis il feint d'avoir un point de vue équilibré qui renvoie dos à dos les protagonistes : les cinglés (sic) qui considèrent l'Islam comme le mal absolu et les dénégateurs qui présentent la France comme anti arabe par exemple ou les antisémites et les pro-arabes, les racistes et les censeurs, etc. … La quatrième de couverture et surtout la grossièreté du propos pourrait donner l'illusion d'une certaine radicalité mais Pierre Jourde est invariablement du côté des médias, du pouvoir et de la bien-pensance. Passé le premier et si agréable frisson de la désobéissance, il rassure le boboland. Pierre Jourde insulte et prend bien parti, généralement de la plus outrancière façon en caricaturant systématiquement le point de vue adverse et en critiquant cette caricature. Pascal, à juste titre, dénonçait déjà de son temps cette manoeuvre qui consiste à simplifier outrancièrement une pensée et à y appliquer ensuite sa critique. Nihil novi sub sole. La cerise sur le gâteau, c'est sans aucun doute l'arsenal critique de l'échotier. Ses références ce ne sont jamais le travail scientifique faisant l'objet de nombreuses publications sur les conflits du proche et moyen orient, les religions, le terrorisme, le débat des idées ou toutes autres sujets, ni même quelques articles récents. Il en ignore tout. Pierre Jourde, il lui est arrivé, son fils a, sa femme est, il a un ami qui … Voilà certes qui distrait de l'austère argumentation, met un peu de sucre sur la pièce montée de la critique mais n'a absolument aucune valeur d'un point de vue argumentatif. Pareillement, il est difficile d'apprécier, en la matière, ses incessants et si peu originaux parallèles avec la dernière guerre mondiale, le nazisme et la résistance. Partisan des causes gagnées d'avance, Pierre Jourde n'hésite pas, avec trois quarts de siècle de retard tout de même, à revêtir l'habit de Jean Moulin et à faire pour nous des choix héroïques. Stéphane Hessel, n'en doutons pas, a apprécié la leçon. Nous savons que les billets de Pierre Jourde sont destinés à un magazine de salle d'attente, qu'ils sont publiés aux éditions « Hugo et Compagnie » et qu'ils seront estimés non pas malgré leurs déficiences mais grâce à elles. Cependant, le langage parlé littéralement reproduit, parsemé d'inutiles « quoi », « hein », « c'est lui qui le dit » ; le tombereau des expressions maladroites (« des quantités de générosités », « Mais ne pas penser qu'on puisse », etc. …) ; les flemmards couper-coller (pages 218, 231, 232) ; l'humour de potache montrent, si c'était nécessaire, le peu d'estime en laquelle Pierre Jourde tient son lecteur.


Le professeur Jourde est inquiet pour l'université, nous le sommes avec lui et pour les mêmes raisons. Mais, à la lecture de la partie de son livre consacrée à la littérature, nous sommes carrément anxieux. Les motivations du critique ne sont jamais énoncées aussi clairement que lorsqu'il est dans le déni répété des raisons qui le poussent à parler d'une oeuvre ou d'un écrivain. « Je ne trouve pas que c'est un grand écrivain parce que c'est mon ami (…) Ensuite ce texte ne me rapportera rien. Aucun bénéfice. Il est consacré à un écrivain qui ne fait pas d'articles (Nb : le « s » n'est pas de nous), n'a aucune espèce de pouvoir et vit à l'écart du monde littéraire et critique (…) En revanche, vous ne me verrez pas ici faire l'éloge détaillé d'un ouvrage de Jean-Marie Laclavetine ou de Jérôme Garcin. Je les tiens pour des bons écrivains, mais l'un est mon éditeur, et l'autre dirige les pages culture du cher hebdomadaire où nous nous trouvons présentement ». Tout ceci est répété à l'envi. J'aime cet écrivain parce que c'est mon directeur de thèse ou je trouve ce texte intéressant parce que c'est mon voisin et l'ami de Papa qui l'a écrit. Cela ne vaut pas un zéro sur une copie ? Pour dire la vérité, il vaut mieux être démoli par le professeur Jourde qu'encensé par lui. Je vous laisse juge : « Non, mon ami à moi, c'est un vrai génie. C'est, et je pèse mes mots, l'équivalent de ce que furent Nodier, Lautréamont, Mallarmé ou Beckett en leur temps. Un inventeur, un créateur de formes, un ciseleur de texte pour qui chaque mot compte. Il appartient à la douzaine d'auteurs qui seront considérés dans quelques lustres comme les plus grands de notre temps. Ma main à couper. (…) Ce dernier livre, c'est Jules Renard, Pascal et La Rochefoucauld réunis, et encore plus que ça. (…) le livre sur rien rêvé par Flaubert (…)». Rassurez nous professeur, cela ne vaut pas la moyenne en première année de licence de lettres modernes ?


Nous savons que Pierre Jourde est enseignant-chercheur, auteur d'ouvrages fort intéressants sur l'incongru dans la littérature française, de géographies imaginaires ; qu'il est également un romancier exigeant et que ses livres ironiques, décalés, parfois sombres comptent dans le paysage littéraire français. L'écrivain, pour Claude Simon , c'est celui qui travaille son langage. Et d'ajouter, à propos d'une conférence de Merleau-Ponty à son sujet, cette anecdote : « Alors, qu'est-ce que vous en pensez ? » Je lui ai répondu : « Ma foi, je pense que ce Claude Simon dont vous venez de parler doit être un type extrêmement intelligent. » Alors il m'a dit : « Oui, mais ce n'est pas vous, c'est vous quand vous êtes assis à votre table et que vous travaillez, que vous travaillez votre langage ». Proust a répondu une fois pour toute à la question que nous nous posons à propos de Jourde : « Un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitude, dans la société, dans nos vices ». Oublions donc le latitudinaire chroniqueur pour ne retenir que le romancier qui travaille.
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