AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782355847301
344 pages
Sonatine (20/01/2022)
3.87/5   291 notes
Résumé :
Retraité depuis quelques années du service des forêts, Ray mène une vie solitaire dans sa ferme des Appalaches. Il attend sans vraiment attendre que son fils Ricky vienne le rejoindre. Mais celui-ci a d'autres préoccupations – se procurer sa dose quotidienne de drogue, par exemple.

Autour d'eux, leur monde est en train de sombrer : le chômage qui s'est abattu sur la région, les petites villes dont la vie s'est peu à peu retirée, la misère sociale, la... >Voir plus
Que lire après Nos vies en flammesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (77) Voir plus Ajouter une critique
3,87

sur 291 notes
5
33 avis
4
35 avis
3
8 avis
2
0 avis
1
1 avis
À l'épreuve du feu.
Comment un père peut sauver son fils de la drogue qui le consume, quand sa vie est déjà un champ de braises et alors que tout brûle autour de lui ? Les Appalaches ressemblent à l'enfer dans ce nouveau David Joy au plus près des sans-grades. Une plume précise et généreuse. Un livre magnétique. 

Commenter  J’apprécie          1165
Dans ce coin des Appalaches - déjà ravagé par le chômage et l'exode - que les incendies de forêt menacent désormais de faire partir en fumée, Raymond Mathis, garde forestier retraité, s'accroche à sa ferme, où il vit seul depuis qu'un cancer a emporté sa femme et que son fils s'enfonce toujours un peu plus dans la drogue. Un jour qu'il se voit forcé par les dealers de régler les lourdes créances de son fils en échange de sa vie, il décide de prendre les choses en mains en lieu et place de la police.


L'Amérique de David Joy est celle des oubliés et des défavorisés, ceux qui, rivés à une région économiquement moribonde, ne connaissent que la dureté d'une vie sans espoir, le combat quotidien pour, au mieux, une poignée de dollars qui n'assurera qu'à peine les besoins fondamentaux d'une vie dépourvue d'horizon. Cette Amérique est devenue le terreau des addictions en tout genre, alcool, médicaments et drogues, seules fenêtres ouvertes sur quelques instants d'oubli et de respiration. Des opioïdes bon marché prescrits sur ordonnance aux méthamphétamines et à l'héroïne, ces habitants sont de plus en plus nombreux à se muer en ombres squelettiques que l'on retrouve un jour sans vie au coin d'une rue, la seringue encore au bras, venant grossir les statistiques accablantes que le comté affiche sur des panneaux au bord des routes.


Le fils de Ray est l'un d'entre eux, embarqué sur un toboggan vers l'enfer, au fur et à mesure que l'oubli temporaire exige toujours plus de doses, toujours plus d'argent, et que, pour entretenir la combustion intérieure qui le détruit progressivement, il se retrouve réduit aux pires extrémités. Impuissant, Ray assiste à la lente et irrépressible déchéance de son fils, qui, avant de le mener inévitablement vers la mort, le place à la merci de la violence de trafiquants tellement sûrs de leurs collusions au sein de la police et des autorités que rien ne semble pouvoir les arrêter. Faisant frissonner le lecteur d'effroi et de dégoût, la narration laisse monter le désespoir jusqu'au paroxysme qui déclenche la révolte de Ray, subitement las de trop subir.


Classiquement nouée autour d'un trafic, de victimes et d'une vengeance, l'intrigue s'enroule de manière violente et accablante autour de personnages qui crèvent les pages. C'est qu'ils sont partiellement nourris par le propre vécu de l'auteur, issu d'une ces familles pauvres des Appalaches, jeune consommateur de comprimés en tout genre qui a su ensuite éviter les drogues dures, contrairement à un entourage aujourd'hui décimé. Sa révolte à lui, c'est dans son roman et ses articles qu'il l'exprime, tel celui qui figure en postface, où il dénonce la responsabilité de laboratoires pharmaceutiques dans le développement de la crise des opioïdes aux Etats-Unis depuis les années quatre-vingt-dix. Marketing à tout crin, sous-estimation intentionnelle des risques d'addiction : la cupidité a mené – et continue à mener – chaque année à la mort plusieurs centaines de milliers d'Américains, en tête desquels les plus pauvres et défavorisés.


Peinture sociale en même temps que roman policier, un livre noir, dont les personnages, découpés sur le fond d'incendies menaçants et rampants, semblent les victimes d'un monde en perdition, sur la brèche d'un enfer prêt à l'engloutir.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          9613
Un grand merci à Babelio et aux éditions Sonatine...

Lorsque Raymond Mathis rentra chez lui, ce jour-là, la porte de la maison était grande ouverte. Sans surprise, il se doutait que c'était son fils, Ricky, qui était venu se servir, encore une fois, de tout ce qui pourrait se vendre. Quelques malheureux couverts dépareillés manquaient, le garçon ayant eu la décence de ne pas encore voler les bijoux de sa femme, Doris, décédée trois ans auparavant. Mais, le soir venu, alors qu'il fumait tranquillement son cigare et sirotait son whisky, un appel le fit sortir de sa torpeur. Au bout du fil, son fils. La voix gémissante, c'est à bout de souffle qui lui dit qu'ils allaient le tuer. Sauf si, aux dires de ses ravisseurs, Ray pouvait s'acquitter de sa dette, soit 10000 dollars. Et même s'il ne voulait plus jamais entendre parler de tout ça, s'il se demandait combien de fois il pourrait encore sauver Ricky, Ray n'eut d'autre choix que de rouler vers la Qualla Boundary, l'argent en cash à côté de lui. Certain que, même en menaçant ce dealer de ne plus faire affaire avec celui-ci, ce sera sûrement un autre qui se chargera de lui vendre la dose de trop...

C'est dans une Amérique en proie aux flammes, écrasée par cette chaleur étouffante, se débattent, vaille que vaille, des hommes et des femmes consumés, accros, perdus ou désespérés. Denny Rattler qui vole dans les maisons pour se payer sa dope et sa soeur qui ne sait plus quoi faire pour l'aider ; Ricky Mathis, junkie lui aussi, accro à tout ce sur quoi il pouvait mettre la main (herbe, cachet, meth) ; Ray Mathis, veuf et retraité du service des forêts, qui, suite au drame survenu, va tout faire pour se venger ou encore les flics du comté (quand ils ne sont pas corrompus) qui tentent de démanteler les membres du réseau de drogue qui sévit partout. Des personnages forts, marqués par la vie. Une fois encore, David Joy dresse le portrait sombre d'une Amérique désenchantée, perdue (aussi bien face à la misère sociale, à la drogue qu'au dérèglement climatique) et livrée à elle-même. Un roman, âpre, viscéral, puissant et sans concession. Des portraits croisés déchirants et une plume poignante...
Commenter  J’apprécie          8526
Pout tout vous dire , le choix de ce roman s'est imposé à moi , tout d'abord pour sa puissante couverture , sa quatrième et , surtout par la promesse de " retrouver" une atmoshère à la Ron Rash , ami de l'auteur que , en ce qui le concerne , je ne connaissais pas.
Pas de déception dans ce choix , pas de vrai dépaysement non plus puisque la région des Appalaches où se passe l'intrigue n'avait guère de secret pour moi .
Comme montré sur la couverture , les feux dévorent une contrée socialement si sinistrée que l'on a l'impression de mettre les pieds en enfer .
Dans cet univers de désespérance , impossible de discerner la moindre once d'humanité .Le chômage gangrène tout , les hommes comme l'environnement .Vols . Crimes .Corruption .Trafics en tous genres et surtout de drogue .Règlements de comptes . Comme dans un cauchemar , le vieux Raymond , veuf et retraité assiste , impuissant , à l'inexorable et douloureuse déchéance de son fils , déchéance comme ignorée par une police par trop laxiste .
Les évènements s'enchainent ...
Une extraordinaire vitalité dans ce roman trés bien écrit et agrémenté de dialogues utilisés avec parcimonie , juste ce qu'il faut pour rendre leurs forces à des personnages qui n'en manquent pas . La situation , grave , teintée d'amertume , de rancoeur , de désir de vengeance,s'avère aussi trés touchante et si les personnages ne donnent pas " tout à voir " ils n'en demeurent pas pour autant trop neutres , suffisamment dépeints pour nous toucher .
Oui , il y a du Ron Rash dans ce texte mais qu'on ne se méprenne pas , ce n'est pas du Ron Rash , mais bien du David Joy .Lui oublie " un peu " la nature ( qui brûle ! ) pour se pencher sur les fléaux qui touchent une population à qui la situation désespérante n'offre aucune porte de sortie favorable . Et oui , hélas , là -bas comme ailleurs , l'espoir est fragile .
Un trés bon roman noir , bien noir dont les amateurs vont , si ce n'est déjà fait , se repaître .
A bientôt , amis et amies , pour de nouvelles aventures .
Commenter  J’apprécie          833
Attention ! Livre inflammable, pour ne pas dire incandescent...
Nous sommes dans les montagnes de la Caroline du Nord, à l'extrémité sud des Appalaches, là où vit, là où écrit David Joy dont j'ai eu le plaisir de découvrir l'univers romanesque dans le poids du monde. Son dernier roman, Nos vies en flammes, ne parle rien d'autre que du décor qu'il connaît si bien, des histoires qui parlent de drogue, de violence, de pauvreté, de déracinement, de déplacements, de promesses non tenues. Bref, la vie en Caroline du Nord, quoi !
David Joy convoque tout d'abord ce magnifique et attachant personnage qu'est Raymond Mathis, désormais veuf et retraité, dont le métier naguère était de s'occuper des forêts. Seul dans sa ferme des Appalaches, il survit tandis qu'autour de lui des incendies dévastent depuis quelques jours les chères forêts qu'il aime, par milliers d'hectares. Il attend son fils Ricky qui ne viendra pas ce soir...
Raymond Mathis oscille entre le souvenir douloureux de sa femme qui n'est plus et son impuissance à aider son fils à s'en sortir, Ricky, aujourd'hui junky à bout de souffle qu'anime la quête quotidienne de l'argent nécessaire à sa prochaine dose.
« Ce qu'il avait vraiment oublié, c'était la simplicité qui avait rendu si belle leur vie ensemble. »
Parfois un sentiment de culpabilité étreint Ray.
Il ne lui reste plus dans son existence que ce fils qui part en lambeaux comme les forêts autour de lui ainsi que les souvenirs de l'amour de sa femme.
Un jour, Raymond décide de réagir lorsque son fils, devenu la proie des dealers, franchit un pas insoutenable, pour lui, pour son père, pour les autres...
C'est le pas de trop et c'est le doigt qu'on met dans l'engrenage, le geste qu'il ne faut surtout pas commettre...
C'est alors que l'intrigue prend le pas, mais rien ne nous empêche de continuer à effleurer les beaux personnages de ce roman, tandis que la police s'active et que Raymond est aux manettes...
Un récit peut en cacher un autre. Derrière un polar aussi noir soit-il, aussi bien ficelé soit-il, moi ce qui m'intéresse, ce sont les histoires de femmes et d'hommes qui tirent ou tentent de tirer des ficelles qui leur échappent, cherchant un sens à tout cela. Pour peu qu'il y ait une réalité sociologique, culturelle, historique en arrière-plan, je jubile.
Ici j'ai été davantage séduit par l'arrière-pays que pour l'intrigue, certes qui se tient et nous embarque, mais qui n'a rien d'exceptionnel. La beauté du roman est ailleurs, dans son désespoir et son humanité.
Nous sommes sur les terres des Cherokees, qui brûlent aujourd'hui, et leurs descendants expriment comme ils peuvent des douleurs anciennes et actuelles, qu'on veut éteindre à coup de narcotiques.
On pourrait dire : « Noir c'est noir il n'y a plus d'espoir ». Car l'univers de David Joy n'a rien d'une bluette. Sa prose est sombre, sa propre est noire, il n'écrit pas dans la dentelle mais avec ses tripes. Il y a cependant une part d'humanité dans cette lucidité crasse... Et c'est ce que j'aime chez David Joy, la petite lumière qui finit par se faufiler dans les profondeurs abyssales...
Entre le noir des tréfonds de l'âme et le gris des cendres qui retombent du ciel dans un paysage crépusculaire, ce roman offre une magistrale palette de nuances, où la conclusion n'est pas forcément pessimiste, j'y reviendrai...
Ici la forêt des Appalaches brûle et le hasard a voulu que je lise ce roman au moment où nos forêts brûlaient elles aussi, brûlent encore. Hasard ? Pas forcément, plutôt un rendez-vous avec la réalité mondiale à laquelle il faudra douloureusement s'habituer... Mais là c'est une autre histoire, quoique, pas tout à fait, je pense à cela lorsqu'un romancier tel que David Joy offre la parole à des descendants du peuple Cherokee pour lesquels la terre, la nature, les éléments, existent et ont un sens dans cette trajectoire qui les amène à aboutir à leur destin.
Mais ce qui brûle ici est bien autre chose.
Ici viennent les sans-grades, les laissés-pour-compte, l'Amérique qui a voté Trump. Cette Amérique oubliée sur laquelle on éteint des feux comme des canadairs, on balance du rêve à coup d'opioïdes.
David Joy a cette manière impromptue d'inviter l'Amérique blanche et l'Amérique amérindienne dans un même récit, ces deux Amériques qui se regardent, qui se côtoient, qui se confrontent.
Mais David Joy en fait un récit où ils agissent ensemble brusquement.
Ici, dans ce désastre humain, parmi les personnages multiples et attachants, je me suis épris de Denny, ce junky ébouriffé, et sa soeur Carla qui découvre qu'elle a une grave maladie, tous deux descendants d'un peuple ayant tout perdu.
Denny, brûlé par les soleils de son âme, qui a ce sursaut, non pas pour lui, lui et son corps percé par les seringues, ce corps imbibé d'héroïne et de meth, pour lui c'est fichu c'est déjà trop tard, mais ce sursaut, cette évasion de ses démons, c'est important, c'est essentiel, ne serait-ce que pour sa soeur Clara qui se bat elle aussi mais contre d'autres démons qui n'ont rien à voir...
Les personnages de ce roman sont comme des lapins qui fuient dans la trajectoire des phares d'une voiture traversant le paysage à toute vitesse. On dirait des phalènes qui cognent leurs ailes dans les flammes d'une bougie.
Ce roman dit un monde désespéré à la dérive, une perte de sens, la perte d'un endroit et d'un peuple, la mort annoncée d'une culture, tandis que des femmes et des hommes se consument à petits feux.
Regarder vers ce qui reste de soleil, se dire qu'il y a encore de la lumière malgré le crépuscule qui vient, malgré des lambeaux de nuages qui filent derrière les étoiles.
« Désormais, tout le monde était là à regarder les dernières lueurs danser comme un coucher de soleil, sans voir ni comprendre que quand la nuit finirait par tomber, la lumière ne reviendrait pas. La nature même des choses exigeait qu'arrive un moment dans l'histoire où l'espoir serait synonyme de naïveté, où la situation serait trop désespérée pour être sauvée. Raymond le savait, et c'était ça qui lui mettait le coeur en lambeaux.
Mais il y avait toujours des gens disposés à unir leurs efforts pour défendre le bien commun. »
Nos vies en flamme est un chant déchirant et presque désespéré. Presque.

« La joie nécessitait bien souvent qu'on la cherche ».
Commenter  J’apprécie          5818


critiques presse (7)
Telerama
24 juillet 2023
Un témoignage de l’autre Amérique, celles des territoires à la dérive où les personnages appartiennent à la race des perdants.
Lire la critique sur le site : Telerama
Telerama
20 février 2023
Partout la forêt brûle, illuminant les montagnes, laissant une odeur de fumée dans le nez et la bouche. Ray Mathis a été garde forestier dans les Appalaches, en Caroline du Nord. Il en connaît chaque recoin et sait que les braises vont repartir vers d’autres pans de terre hautement inflammables.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
31 mars 2022
Dans une langue somptueuse, précise et sobre, celui-ci met en scène un père, Ray Mathis, en quête d'un semblant de justice après avoir vu son fils happé par la drogue.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Lexpress
21 mars 2022
Brillante figure d'un nouveau polar américain enraciné dans des territoires ruraux, David Joy dépeint dans "Nos vies en flammes" les maux qui les ravagent, celui de la drogue en tout premier lieu.
Lire la critique sur le site : Lexpress
FocusLeVif
23 février 2022
Dans le douloureux Nos vies en flammes, David Joy met en parallèle l'arrivée de Trump à la Maison-Blanche et les incendies de forêts en Caroline du Nord avec la crise des opioïdes qui ravage les siens.
Lire la critique sur le site : FocusLeVif
LeMonde
17 janvier 2022
Une nouvelle et déchirante complainte des déshérités de l’Amérique blanche signée David Joy.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaTribuneDeGeneve
17 janvier 2022
Après «Ce lien entre nous», tel un Clint Eastwood du roman noir, l’auteur affronte les contradictions de l’Amérique contemporaine sans craindre de passer les bornes. Dans cette Caroline du Nord en friche, les bons sentiments crament à la moindre allumette. Comme les mobile homes des dealers.
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
Citations et extraits (105) Voir plus Ajouter une citation
On a dénombré 93 331 morts par overdose aux États-Unis pour l’année 2020. Parmi ces décès, 69 710 étaient liés à la consommation d’opioïdes, dont 57 500 causés spécifiquement par les opioïdes synthétiques. Rétrospectivement, il est frappant de constater à quel point l’estimation des experts évoquée précédemment dans l’article, qui prévoyait 300 000 morts de plus entre 2015 et 2020, s’est avérée juste. Au cours de cette période de cinq ans, on a dénombré 289 312 morts par overdose d’opioïdes, chaque année surpassant la précédente en termes de chiffres. Dans 63 % des cas, la mort était due à un opioïde synthétique, dont fait partie l’OxyContin.
« Les derniers chiffres du CDC (agence fédérale des États-Unis en charge du contrôle et de la prévention des maladies) montrent que vingt-huit États ont enregistré une hausse de plus de 30 % du nombre de morts par overdose en 2020 par rapport à l’année précédente, parmi lesquels dix États ont enregistré une hausse de 40 %... Sur les quinze États qui ont enregistré la hausse la plus importante, neuf d’entre eux sont situés dans les États du Sud ou des Appalaches. »
Fin août 2021, le juge fédéral Robert Drain a approuvé un plan de faillite qui garantit à la famille Sackler l’immunité contre toute tentative future de poursuites à l’encontre de leur compagnie Purdue Pharma et de leur produit, l’OxyContin. En échange, la famille Sackler a accepté de payer environ 4,3 milliards de dollars de pénalités tout en renonçant à la propriété de leur entreprise. Les Sackler, qui d’après leurs propres estimations ont gagné plus de 10 milliards de dollars grâce à la vente d’opioïdes, restent l’une des familles les plus riches des États-Unis.
Commenter  J’apprécie          240
Ceux qui restaient élevaient leurs enfants dans l'espoir qu'ils s'en sortiraient mieux. Ils leur conseillaient de faire des études pour trouver un bon boulot qui ne rendrait pas leurs mains calleuses, qui ne leur crevasserait pas la peau, qui ne leur briserait pas les os. Nous ne voulons pas que tu sois obligé de travailler comme nous l'avons fait. Voilà ce qu'ils disaient, et c'était une pensée noble mais de mauvais augure. Car au lieu de rester ancrés à l'endroit qui portait leur nom, ils emportaient leur nom avec eux quand ils partaient. Le tissu même de ce qui avait autrefois défini les montagnes se fragmentait et était remplacé par des étrangers qui construisaient leurs résidences secondaires sur les crêtes et faisaient tellement monter le prix de l'immobilier que les quelques gens du coin qui restaient ne pouvaient plus payer leur taxe foncière.
Commenter  J’apprécie          210
Chaque cercueil est fermé. Chaque vie retourne à la terre. Il est impossible d'échapper à la mortalité du monde, une durée de vie limitée qui touche non seulement ceux qui respirent, mais aussi les pierres du lit des rivières et les étoiles qui tapissent le ciel.
Pourtant, dans ces visions furtives entraperçues au faible éclat de la mémoire, demeure un peu de nous-mêmes, des parties enterrées trop profondément pour les larmes. Et dans l'obscurité vacillante il y a, pour ceux qui regardent assez longtemps pour voir, des fragments de ce que nous avons été, de ce que nous sommes, et de ce que nous serons toujours.
Commenter  J’apprécie          221
Des années durant, il avait tenté de mettre le doigt sur le moment où les choses avaient commencé à se déliter. Aussi idiot que ça puisse paraître, il jugeait parfois responsable l’arrivée de la télévision. Quand les gens pouvaient voir ce que les autres avaient, ils se mettaient à le vouloir aussi. Ils entendaient la façon dont les gens parlaient de la montagne, et ils commençaient à lentement changer de discours. Les choses qui sur le moment avaient semblé insignifiantes et inoffensives représentaient, avec le recul, un commencement. Mais même avant ça, avant que l’extérieur exerce son influence, les communautés se divisaient et les gens partaient.
Quand l’exploitation forestière avait cessé et que les montagnes s’étaient retrouvées aussi nues que la lune, des familles avaient fait leurs valises et s’étaient rendues dans l’Ouest, dans des endroits comme l’Oregon et l’État de Washington où les arbres étaient encore intacts. Si vous faisiez un bond de soixante ans en avant, ça avait été la même histoire quand les fabriques de papier avaient fermé, quand les vieilles usines de plastique à l’extrémité sud du comté étaient parties, quand Dayco avait licencié tout le monde à Waynesville ou quand Ecusta avait disparu de Brevard. Des étrangers conduisant de belles voitures et portant de beaux costumes faisaient de belles promesses d’emploi, puis ils repartaient avec leur portefeuille en peau d’autruche bien garni une fois que tout ce qui pouvait être pris l’avait été. Les gens leur couraient désespérément après en agitant les mains dans la poussière et les gaz d’échappement, à bout de souffle, vaincus et brisés, et quand ils finissaient par s’arrêter et regardaient autour d’eux, ils se rendaient compte qu’ils étaient dans un endroit qu’ils ne reconnaissaient plus, qu’ils étaient aussi perdus que des chiens errants.
Ceux qui restaient élevaient leurs enfants dans l’espoir qu’ils s’en sortiraient mieux. Ils leur conseillaient de faire des études pour trouver un bon boulot qui ne rendrait pas leurs mains calleuses, qui ne leur crevasserait pas la peau, qui ne leur briserait pas les os. Nous ne voulons pas que tu sois obligé de travailler comme nous l’avons fait. Voilà ce qu’ils disaient, et c’était une pensée noble mais de mauvais augure. Car au lieu de rester ancrés à l’endroit qui portait leur nom, ils emportaient leur nom avec eux quand ils partaient. Le tissu même de ce qui avait autrefois défini les montagnes se fragmentait et était remplacé par des étrangers qui construisaient leurs résidences secondaires sur les crêtes et faisaient tellement grimper les prix de l’immobilier que les quelques gens du coin qui restaient ne pouvaient plus payer leur taxe foncière.
Évidemment, il y avait la drogue. Il y avait eu la décennie de la meth, la transition vers les antidouleurs et les seringues, et ce n’était pas tant un problème spécifique aux montagnes qu’un problème national. C’était le remède qui permettait d’échapper à la pauvreté systémique, le résultat d’une politique qui privilégiait les bénéfices aux dépens de la population depuis deux cents ans. Au bout du compte, c’était ça, la cause première de tout.
Mais il ne s’agissait pas uniquement d’économie, ni de drogue. Il s’agissait de l’abandon des valeurs. C’était remplacer le dur labeur par la commodité. C’était dire que le Starbucks le plus proche était plus important que chez soi.
Commenter  J’apprécie          30
Quand les choses deviennent vides, il ne reste que ce que l'on a gardé en mémoire, les histoires éparpillées comme des graines, les récits qui nous lient les uns aux autres dans ce monde. Nous pouvons les raconter de nouveau, rassembler les vestiges d'âmes qui nous ont explosé dans l'infini, redonner forme aux morceaux éclatés et insuffler la vie de ceux que nous avons aimés et perdus. Quand nous ferons face à l'oubli et nous éloignerons lentement de ce qui nous est familier, ces histoires seront les visages qui nous entoureront, et les voix que nous entendrons quand nous aussi nous éteindrons.
Commenter  J’apprécie          212

Videos de David Joy (32) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de David Joy
Cette semaine, la librairie Point Virgule vous présente deux romans récemment sortis en format poche et qui, chacun à leur façon et à deux périodes historiques très distinctes, mettent en scène des personnages à qui on refuse l'accès au fameux "rêve américain".
- Nos vies en flammes, David Joy, 10/18, 8,90€ - Aminata, Lawrence Hill, Folio, 10,20€
autres livres classés : Appalaches (États-Unis)Voir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (680) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (6 - polars et thrillers )

Roger-Jon Ellory : " **** le silence"

seul
profond
terrible
intense

20 questions
2855 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , thriller , romans policiers et polarsCréer un quiz sur ce livre

{* *}